Les condamnations et les protestations n’auront mis que quelques minutes à venir après l’arrestation des deux opposants congolais, à telle enseigne qu’ils ont été relâchés presque dans la foulée.
Insultes, bousculades, brutalité et traitements dégradants : l’avenue Victoire, à Kinshasa, a été le théâtre de la violente interpellation de deux figures de l’opposition congolaise, Delly Sesanga et Bernadette Tokwaulu Aena, ce jeudi 14 novembre. Les deux personnalités ont été arrêtées alors qu’ils distribuaient des tracts en vue de sensibiliser leurs partisans contre le projet de révision de la Constitution défendue par le président Félix Tshisekedi ainsi que les militants de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, au pouvoir).
Ils ont été conduits au commissariat de Funa, situé dans la commune de Kalamu avant d’être libérés un peu plus d’une heure plus tard. Devenue virale sur les réseaux sociaux, la vidéo de l’arrestation musclée des deux opposants et du traitement brutal qui leur a été infligé par la police a certainement contribué à leur libération rapide.
Vague d’indignation
En tout cas, elle a provoqué une vague d’indignation au sein de l’opposition congolaise. « La défense de notre constitution est désormais criminalisée. L’arrestation de Delly Sesanga constitue une étape supplémentaire alarmante dans la dérive totalitaire du pouvoir », a écrit l’opposant Moïse Katumbi sur son compte X (anciennement Twitter), avant d’exprimer sa « plus vive indignation » et d’inviter le président congolais à « retrouver le bon sens et à libérer le président d’Envol et les autres prisonniers politiques ».
Contacté, un conseiller à la présidence congolaise n’a pas souhaité commenter ces incidents, se contentant de dire que les « deux opposants ont certainement été arrêtés parce qu’ils ont créé un attroupement sur la voie publique, perturbant ainsi la circulation » Il croit savoir que « personne dans l’entourage du chef de l’État n’a ordonné ces arrestations ».
Il faut dire que Delly Sesanga et Bernadette Tokwaulu Aena mobilisaient leurs militants dans le cadre d’une série d’actions prévues par les acteurs politiques, les membres de la société civile et les leaders citoyens pour s’opposer au projet de modification de la Constitution. Ils soupçonnent le président Félix Tshisekedi de vouloir changer certaines dispositions constitutionnelles afin de briguer un troisième mandat.
Propriétaire du pouvoir
Le 23 octobre dernier, dans la ville de Kisangani, où une partie de l’actuelle Loi fondamentale avait été écrite, le chef de l’État congolais à fustiger une Constitution « rédigée à l’étranger par des étrangers », et qui ne serait « pas adapté aux réalités » de la République démocratique du Congo. Promulgué en 2006 par l’ex-président Joseph Kabila, le texte en vigueur avait été approuvé en 2005 par plus de 84% de la population.
Dans une déclaration commune, les opposants au régime de Kinshasa parmi lesquels figurent Delly Sesanga, Ados Ndombasi, le défenseur des droits humains Jean-Claude Katende, ainsi que les activistes Fred Bauma et Bienvenu Matumo, ont affirmé que « toute initiative de renversement du régime constitutionnel constitue une infraction imprescriptible contre la Nation et l’État ». Ils appellent les élus, notamment les députés et sénateurs, à rejeter cette « initiative funeste » et à défendre la démocratie congolaise.
Ce collectif prévoit d’organiser plusieurs manifestations dans tout le pays et à l’étranger, avec un grand rassemblement prévu le 16 décembre 2024 pour marquer l’anniversaire du référendum constitutionnel de 2005.
Soulignons que les adversaires de Félix Tshisekedi sont persuadés qu’il souffre du « syndrome de l’opposant historique », lequel constitue pour l’Afrique, l’un des référentiels politiques et sociologiques de l’ère postcoloniale. Pour eux, le président congolais se réduit désormais à une « banale incarnation du pouvoir personnel, adepte de la gestion privative de l’espace national, pathologiquement convaincu que sa destinée se confond à celle de la collectivité qui lui a accordé un bail temporaire à la tête du pays dont il détourne méthodiquement les clauses essentielles ».
Sinon, il ne se comporterait pas selon eux, comme ceux qu’il a combattus hier. Aujourd’hui, Félix Tshisekedi ne souffre ni la contestation ni le débat. Chargé de réaliser la promesse du changement, il s’est transmué en propriétaire du pouvoir, rompu aux plus triviales manœuvres politiciennes et mentales. Devenu maître du monde, il n’hésite plus à se référer à la volonté divine pour affirmer son bon droit sur le pays.