Coopération Union européenne-Afrique: quel bilan d’étapes?

La reconfiguration des relations internationales en cours, depuis la présence grandissante de la Chine et de la Russie en Afrique, voire des puissances émergentes telles que l’Inde, la Turquie et le Brésil, suscite des interrogations pour en arriver à des déductionsÉric Topona Mocnga, journaliste à la Deutsche Welle, à Bonn (Allemagne)

Cette reconfiguration des relations internationales conduit certains analystes à conclure que la relation Union européenne-Afrique non seulement a du plomb dans l’aile, mais est vouée à un déclin inexorable. Pour d’autres observateurs, parfois de mauvaise foi ou qui pâtissent d’un déficit d’informations, il faudrait se réjouir de cette glaciation de la relation Europe-Afrique, et ce d’autant plus qu’elle n’aura apporté au berceau de l’humanité que drames et tragédies qui ne semblent par ailleurs pas connaître de terme.

La fermeture récente des bases militaires françaises dans plusieurs pays africains, la diversification des partenariats et le multilatéralisme, qui sont désormais légion en matière de coopération internationale dans la quasi-totalité des États africains, donne davantage de grain à moudre à ces discours qui estiment que la relation avec l’Union européenne n’a plus d’avenir, d’autant moins qu’elle n’a pas à son actif des réalisations qu’il mérite de célébrer.

Comme nous le verrons tout au long des décennies précédentes, en Afrique et au Tchad en particulier, nous nous rendrons à l’évidence que les jugements et les analyses à l’emporte-pièce sont parfois fort éloignés des réalités du terrain et de la vérité des faits.

Spécificité de la coopération UE-Afrique

Il faut commencer par souligner la spécificité de la relation Europe-Afrique. En effet, au-delà des drames et des vicissitudes de l’histoire, l’Europe et l’Afrique sont vouées à une coopération étroite.

Comme nous le verrons dans la suite de cette tribune, cette coopération géostratégique trouve davantage son importance dans le chamboulement actuel des alliances depuis l’arrivée à la Maison-Blanche de Donald Trump.

Contrairement à une idée fort répandue en Europe, mais aussi en Afrique, dans les milieux des décideurs politiques, des médias ou des intellectuels, entre l’Europe et l’Afrique, la Méditerranée n’est pas une frontière, mais un pont. Cette vérité qui s’impose d’elle-même est attestée par des siècles d’histoire. Cet espace maritime n’est pas seulement la voie de passage privilégiée de migrants africains qui tentent de rejoindre au péril de leur vie l’Eldorado européen. Mais tout au long de l’histoire, avant comme après la Traite transatlantique, ce fut un lieu d’échanges, de transmission de cultures, de savoirs et de visions du monde.

Les propos de l’ancien président de la Commission de l’Union européenne, José Manuel Barroso, corroborent cette évidence dans sa préface à la publication du Conseil de l’Europe intitulée Le Partenariat stratégique entre l’Afrique et l’Union européenne. Investir dans les personnes pour la prospérité et la paix : « L’UE et l’Afrique sont voisines, ce qui en fait des partenaires naturels. Nous avons une mer en commun et, bien qu’ils vivent sur deux continents différents, nos peuples partagent une même vision, celle d’une Europe et d’une Afrique plus prospères, plus stables et plus ouvertes. Nous avons aussi la volonté commune d’œuvrer conjointement à la concrétisation de cette vision. Dans un monde de plus en plus interdépendant et en mutation rapide, les destinées de l’Europe et de l’Afrique sont étroitement liées. Depuis les menaces qui pèsent sur la paix, la démocratie et la prospérité économique jusqu’à la lutte contre la pauvreté et le changement climatique, ce qui concerne l’Afrique concerne l’Europe, et inversement. C’est la raison pour laquelle nous avons fait nôtre une nouvelle vision tournée vers l’avenir : la stratégie commune Afrique-UE adoptée en 2007 lors du sommet de Lisbonne, dont est issu un partenariat d’égal à égal et qui dépasse le cadre du développement pour aborder les questions d’intérêt commun. »

C’est sur le fondement de cette réalité géostratégique, des liens et des intérêts communs qui se sont noués entre Européens et Africains, en dépit des contingences dramatiques de l’histoire, qu’au lendemain de la colonisation, Européens et Africains conviennent de construire une relation partenariale nouvelle. Le 20 juillet 1963, la Convention de Yaoundé sera signée entre l’Europe des Six et dix-huit États africains et Madagascar associés (EAMA).

Dans l’esprit de la Convention de Yaoundé, les anciennes colonies africaines, notamment françaises et belges, étant désormais de nouveaux États indépendants, il s’agit de manière primordiale pour l’Europe, au plan géopolitique, d’éviter qu’elles ne basculent dans la sphère d’influence de l’URSS de l’époque.

Financement des projets

Dans les objectifs initiaux de cette coopération naissante, il s’agira essentiellement de financer en Afrique les projets d’infrastructures. Ainsi naîtra le partenariat UE-ACP (Union européenne-Afrique Caraïbes et Pacifique). L’une des innovations de ce partenariat se situe au plan commercial.

Il accorde notamment aux pays africains un accès préférentiel au marché européen, en dépit des fluctuations des prix sur le marché mondial. C’est d’ailleurs dans le même esprit que les États-Unis ont promulgué, en 2000, sous la présidence du démocrate Bill Clinton, l’AGOA (African Growth and Opportunity Act). Cette loi commerciale historique permet aux pays africains d’exporter de nombreux produits vers les États-Unis sans droits de douane, s’ils respectent une série de conditions (pluralisme politique, respect des droits humains, lutte contre la corruption).

Malheureusement, ce dispositif, crucial pour les exportations africaines vers les États-Unis arrive à échéance en septembre 2025. Son avenir est incertain, car il pourrait être remis en cause par l’administration de Donald Trump.

Aménagements majeurs

Ce nouvel horizon de la coopération Europe-Afrique connaîtra trois aménagements majeurs qui intègrent les mutations de l’environnement international. Suivront alors successivement la Convention de Lomé, en 1975, puis les Accords de Cotonou, signés en 2000 et qui entreront en vigueur en 2003.

La coopération Afrique-Union européenne a évolué pour s’étendre aux préoccupations majeures et communes aux deux entités et elles ont concerné, par exemple pour la période 2014-2017, les axes ci-après : paix et sécurité, démocratie, bonne gouvernance et droits de l’homme, développement humain, développement et croissance durables et inclusifs et intégration continentale, questions globales et émergentes.

En 2020, ce partenariat stratégique a été renouvelé tout en intégrant les mutations nouvelles du monde global avec notamment les enjeux autour de la transition écologique et la transformation numérique. 

Certes, il est indéniable que la coopération UE-Afrique n’est guère parfaite et nécessite en certains points des ajustements, voire des améliorations. Mais il n’en demeure pas moins vrai qu’elle est tout aussi indispensable.

Cette vision commune pour la paix et la sécurité s’est traduite par des financements substantiels de l’Union européenne en Afrique par le biais de la Facilité de soutien à la paix pour l’Afrique.

Dans ce cadre d’appui, l’Union européenne a financé, entre 2004 et 2019, des opérations de maintien de la paix à hauteur de 2,7 milliards d’euros. En 2022, dans le cadre de la Facilité européenne pour la paix, l’Union européenne a financé l’Union africaine à hauteur de 600 millions d’euros.

Au-delà de son soutien aux processus de paix ou à la sécurisation des frontières, il y a également lieu de relever que l’Union européenne est fortement présente en Afrique dans l’appui aux sociétés civiles, aux projets de développement ou aux projets humanitaires, qu’ils soient étatiques ou non-étatiques.

Pour l’année 2024, l’Union européenne a accordé une aide de 171 millions d’euros de soutien à des projets humanitaires à certains pays de la Corne de l’Afrique, à savoir l’Éthiopie, le Kenya, la Somalie, le Soudan du Sud et l’Ouganda, comme l’atteste le communiqué de la Commission de l’Union européenne qui officialise cette aide : « Les habitants de la Corne de l’Afrique sont confrontés à des besoins humanitaires sans cesse accrus, la région étant durement touchée par de multiples conflits, des phénomènes climatiques extrêmes et des chocs économiques, environ 65 millions de personnes ont besoin d’une aide immédiate. »

Appui aux processus politiques

La coopération entre l’Afrique et l’Union européenne s’illustre également sur le terrain de l’appui aux processus politiques. L’UE a ainsi été la cheville ouvrière du Dialogue inter-togolais rendu nécessaire par la grave crise sociopolitique consécutive aux événements dramatiques à l’occasion des consultations électorales de 2005. L’UE a par ailleurs poursuivi un travail de veille, pour préserver cet accord bâti sur un « code de bonne conduite» entre les différents acteurs politiques.

Au Tchad, l’Union européenne s’est déployée dans une dynamique similaire qui aura abouti à la signature de “l’accord politique en vue du renforcement du processus démocratique au Tchad” par l’ensemble des partis politiques tchadiens, de la majorité et de l’opposition. L’objectif était de renforcer le processus démocratique au Tchad.

L’UE aura non seulement établi les conditions pour un dialogue quasiment bloqué entre les principaux acteurs politiques du pays, mais elle aura également, par son entregent, contribué à la décrispation durable du climat sociopolitique selon la déclaration de l’Union européenne au terme de ces négociations ardues :

« Cet accord représente une avancée majeure dans la restauration de la confiance politique et la consolidation du processus démocratique tchadien. Il est le fruit d’un exercice de dialogue politique exemplaire, engagé en décembre 2006 avec le soutien de l’Union européenne et mené depuis, avec courage et détermination, par dix-sept partis représentatifs de la scène politique tchadienne. »

Au Tchad, l’Union européenne apporte également un appui substantiel au renforcement de l’État de droit et à la bonne gouvernance. Durant six années, de 2015 à 2021, le Tchad aura ainsi bénéficié, de la part de l’Union européenne, d’une aide substantielle, sous forme d’appui budgétaire pour un montant de 172 millions d’euros, ainsi que de 12 millions d’euros pour soutenir la réforme des finances publiques.

Aide humanitaire

S’agissant de l’aide humanitaire, pour ne prendre que cet autre exemple parmi tant d’autres qu’il serait fastidieux d’évoquer ici, l’Union européenne a apporté une aide de 350 000 euros, comme elle le fait d’ailleurs dans de nombreux pays africains en pareille circonstance.

Récemment, l’Union européenne a annoncé une aide humanitaire au Tchad pour l’aider à faire face à l’afflux des réfugiés soudanais sur son sol. En visite dans l’est du Tchad début avril 2025, Hadja Lahbib, la commissaire européenne à l’Égalité, la Préparation et la Gestion des crises, a annoncé une aide de l’UE à hauteur de 74 millions d’euros.

Selon elle, « les fonds seront utilisés pour l’aide alimentaire et nutritionnelle, la protection des personnes et des familles vulnérables, les soins de santé et les médicaments essentiels, l’eau, l’assainissement et les services d’hygiène, les abris pour les populations déplacées, l’éducation et la réponse rapide multisectorielle ».

En somme, au-delà des idées reçues et des contre-vérités sciemment répandues par certaines campagnes médiatiques, les acquis de la coopération UE-Afrique sont incontestables, en dépit des aménagements substantiels à faire. Pour l’avenir, ce partenariat devra nécessairement se renforcer au regard des nouvelles options diplomatiques de Donald Trump.

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