Le Togo à l’avant-garde du renouveau démocratique en Afrique francophone?

En dépit des remous et des controverses suscités par le changement de Constitution au Togo, Adrien Poussou estime que le pays est en train de tracer un chemin démocratique inédit pour l’Afrique francophone. Le parlementarisme togolais pourrait être, selon lui, la première ébauche d’une lame de fond qui, depuis Lomé, gagnera d’autres capitales africaines. Réflexion.  

Vu de l’Occident, le Togo ne figure pas parmi les nations africaines dans lesquelles la démocratie libérale progresse sans entraves. Jusque-là, les scrutins organisés dans ce petit pays d’Afrique de l’Ouest se suivent et se ressemblent, laissant souvent un goût d’inachevé, tant la forte contestation des résultats par l’opposition agit comme le poison dévastateur du soupçon. D’ailleurs, la question de savoir si les autorités togolaises étaient décidées à construire un système politique inclusif et tourné vers le bien commun, n’est pas sans provoquer une certaine perplexité, sinon la méfiance.

Mais il convient de dépasser cette circonspection initiale, de se départir de certaines certitudes pour analyser les choses en toute sérénité. Surtout en ce moment de vérités brûlantes, où les hérauts d’un panafricanisme revanchard s’en vont en guerre contre tout modèle importé du monde occidental, où dans le Sahel, des putschistes ne font pas que pointer du doigt la démocratie comme la source de tous les maux du continent, mais opèrent des restrictions draconiennes sur les libertés fondamentales.

Évolutions notables

Ces juntes militaires, faut-il le souligner, au prétexte de restaurer la souveraineté nationale, musellent la presse, emprisonnent les opposants et s’offrent des mandats sans légitimité électorale – ce que les rues africaines appellent ironiquement « mandat cadeau ». Inutile donc de rappeler que la régression démocratique est devenue un motif d’inquiétude majeure.

Dans ce contexte, le Togo, souvent critiqué à tort ou à raison pour sa gouvernance autoritaire, a surpris les observateurs en adoptant en 2024 une nouvelle Constitution instaurant un régime parlementaire. Le nouveau texte fondamental, qui a ouvert la voie à une cinquième République remplaçant l’ancien régime présidentiel en régime parlementaire, donne le pouvoir au Parlement d’élire le président de la République pour un mandat unique de 6 ans.

Il a également instauré un poste de président du Conseil des ministres. Ces changements, qui apparaissent comme une évolution notable en Afrique francophone, ont été présentés par leurs initiateurs comme une mesure « moderne » visant à réduire la prépondérance du président de la République et à améliorer la collaboration entre les pouvoirs exécutif et législatif.

Comme il fallait s’y attendre, l’adoption de la nouvelle Constitution a provoqué des remous dans le pays. De nombreuses manifestations ont été organisées par l’opposition, qui y a vu une manœuvre du pouvoir pour prolonger sa mainmise sur l’appareil étatique. Les opposants ont dénoncé une réforme taillée sur mesure pour maintenir Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005, à la tête des institutions. Le principal reproche adressé au gouvernement togolais est d’avoir privilégié la voie parlementaire pour adopter cette réforme, au lieu de soumettre la nouvelle Constitution à un référendum populaire. Une telle démarche aurait conféré une légitimité incontestable à l’évolution institutionnelle, tout en offrant un espace de débat public.

Symbole fort

Pour autant, ce changement constitutionnel audacieux pourrait, contre toute attente, esquisser les contours d’une nouvelle voie pour la gouvernance en Afrique francophone. Au-delà des critiques, l’idée d’un régime parlementaire mérite d’être examinée avec sérieux, non seulement pour le Togo, mais aussi comme un modèle potentiel pour d’autres pays d’Afrique subsaharienne francophones profondément marqués par le recul démocratique.

Si de multiples facteurs peuvent expliquer la résurgence des coups d’État dans une partie du continent, notamment le terrorisme, qui frappe durement les pays du Sahel, la régression démocratique constatée est aussi la conséquence de l’avidité de certains acteurs politiques eux-mêmes, lesquels encouragent les militaires à prendre le pouvoir en espérant tirer les marrons du feu parce que les alternances démocratiques favorisées par des élections libres et transparentes sont quasiment impossibles dans plusieurs pays.

Conséquence de cette obstruction du processus politique, de nombreux acteurs nationaux, désespérant d’accéder un jour à la magistrature suprême de l’État, ont de moins en moins de réticence à recourir à la pire des solutions : le putsch militaire. Malheureusement, ils peuvent compter sur la trop grande tentation des officiers africains à retourner leurs armes contre les pouvoirs en place, souvent accusés d’être faibles ou de ne pas donner assez de moyens aux soldats.

Autrement dit, l’adoption d’un système dépouillant le « monarque républicain » des leviers décisionnels qu’il détenait seul, et le confinant à un rôle honorifique, constitue non seulement un symbole fort – montrer qu’un chef d’État n’est pas un surhomme et peut se contenter d’un simple rôle de serviteur –, mais pourrait répondre à plusieurs défis structurels des démocraties africaines.

Réponse à plusieurs défis structurels

D’abord, désormais au Togo, le président du Conseil des ministres, issu de la majorité parlementaire, est élu par des grands électeurs – les parlementaires. Cette élection au suffrage universel indirect peut être vue comme une réponse à l’argument souvent invoqué relatif au fort taux d’analphabétisme dans de nombreux pays africains ; ce qui mettrait les électeurs dans l’incapacité de faire des choix éclairés faute d’une meilleure compréhension des enjeux démocratiques.

Même si cet argument semble discutable, il n’en demeure pas moins que le suffrage indirect, par le truchement de représentants élus, renforce la qualité des délibérations au niveau des chambres et accroît la responsabilité des parlementaires dans leur choix. Sans compter que dans un système parlementaire, l’équilibre des pouvoirs est mieux garanti, parce que le chef du gouvernement dépend de la confiance du Parlement, lui-même redevable à ses électeurs.

C’est un mécanisme qui présente au moins un avantage : inciter les parlementaires à être plus présents sur le terrain dans leurs circonscriptions, favorisant ainsi une décentralisation effective et une meilleure prise en compte des problèmes locaux. Car tous les cinq ans, ces élus doivent retourner vers leurs électeurs pour solliciter le renouvellement de leur mandat, ce qui les contraint à rendre des comptes et à s’impliquer dans la vie des communautés.

On nous objectera que la plupart du temps les parlements africains sont de simples caisses de résonance du pouvoir et que l’élection des parlementaires est loin d’offrir toutes les garanties de transparences. Certains iront même plus loin en disant qu’on aura beau réformer les Constitutions et repenser les institutions, si les élections restent marquées par l’exclusion, l’opacité ou la fraude, les progrès démocratiques resteront lettre morte.

Un chemin démocratique inédit

Toutefois, nous voudrions rappeler que lorsqu’un peuple est parvenu à une conscience citoyenne, il est difficile de faire dire aux urnes autre chose que ce qu’il a exprimé. Dans ce sens, il ne faut pas hésiter à tacler les leaders de l’opposition, dont l’inconséquence laisse pantois, et qui nous ont habitués à se complaire dans la désunion. S’ils étaient parvenus à transcender leurs différences, s’ils n’étaient pas dispersés, affaiblis par les querelles de personnes ou d’ego surdimensionné, les opposants africains pourraient être à l’avant-garde des changements démocratiques sur le continent.

Plutôt que de continuer à faire comme un mauvais danseur accusant son pantalon de ses propres maladresses, certains dirigeants des partis politiques de l’opposition devraient avoir à l’esprit que les systèmes politiques ne valent que par ceux qui les incarnent. Repenser la démocratie africaine pour l’adapter aux réalités locales est une entreprise complexe, qui suppose des tâtonnements, des ajustements, voire des errements, puisqu’on ne naît pas en marchant selon l’adage. Mais aussi la contribution de tous ceux qui ne partagent pas les vues des dirigeants en place.

En définitive, le changement constitutionnel au Togo, malgré ses imperfections et les controverses qu’il suscite, n’est peut-être pas une mauvaise chose. S’il est accompagné d’un engagement sincère pour des élections transparentes et une gouvernance inclusive, il pourrait ouvrir la voie à une démocratie plus ancrée dans les réalités locales. Le Togo, souvent considéré comme un mauvais élève sur l’échiquier démocratique du continent, pourrait ainsi, contre toute attente, tracer un chemin inédit pour l’Afrique francophone. Le parlementarisme togolais pourrait être la première ébauche d’une lame de fond qui, depuis Lomé, gagnera d’autres capitales africaines. À condition, bien sûr, que les acteurs politiques jouent le jeu de la sincérité et de la responsabilité.

 

 

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