
C’est un événement qui a visiblement échappé à nombre de médias africains, hormis quelques-uns de la diaspora africaine de France. Le 4 octobre 2025, à Paris, a été inaugurée, au cœur de la capitale française, La Maison des mondes africains (MansA). À quoi sert-elle ? Éric Topona, journaliste à la Deutsche Welle (Allemagne).
Situé dans le 10e arrondissement de Paris, ce lieu de rayonnement des cultures des peuples d’ascendance africaine est aussi un espace de brassage des cultures entre les apports culturels africains et ceux du vaste monde. MansA « est une institution culturelle française dédiée aux créations et cultures issues des mondes africains et afrodiasporiques ».
À la fois lieu de programmation artistique, plateforme média et réseau d’acteurs, MansA « se donne pour mission de promouvoir les expressions artistiques et les récits portés par l’Afrique d’aujourd’hui et ses diasporas. Elle se veut un lieu d’expression des cultures afrodescendantes ».
Un projet porté par Emmanuel Macron
La Maison des mondes africains (MansA) est la réalisation d’un projet du chef de l’État français, dans le sillage du Sommet Afrique-France de Montpellier (du 8 octobre 2021), lors duquel Emmanuel Macron avait mis un accent particulier sur l’importance d’un dialogue renforcé entre la France et les sociétés civiles africaines. Il s’agissait alors, pour le chef de l’État français, de rapprocher son pays de l’Afrique des peuples, notamment la jeunesse.
Il faut d’emblée souligner que cette institution dédiée au dialogue des cultures et des civilisations entre l’Afrique et l’Europe arrive à point nommé. Le contexte de sa création est celui d’un repli identitaire et d’une résurgence des discours nationalistes que l’on croyait typiques d’un passé révolu. La Maison des mondes africains devient réalité dans une France où les cultures et les peuples n’ont jamais été aussi nombreux à coexister ; mais dans laquelle, paradoxalement, la méconnaissance de l’autre, la multiplication des poncifs et des préjugés, les difficultés d’intégration dans la République n’ont jamais autant mis en péril le vivre ensemble.
La France, bastion des mouvements de réappropriation culturelle
Il faut néanmoins rappeler que la présence culturelle des peuples appartenant aux mondes noirs ou afrodescendants en France, plus précisément à Paris, n’est pas nouvelle, tant s’en faut. Bien au contraire, Paris a été, dans la première moitié du XXe siècle et jusqu’au début des années 1980, l’un des bastions des mouvements de réappropriation culturelle et de libération des peuples colonisés d’Afrique.
C’est à Paris que s’est tenu, à la Sorbonne, le premier Congrès international des écrivains et artistes noirs (du 19 au 22 septembre 1956), à l’initiative d’Alioune Diop, le charismatique fondateur des éditions Présence africaine. Ce grand rendez-vous des créateurs du monde noir venus d’Afrique, des Amériques et des Caraïbes aura bénéficié de l’appui intellectuel, moral, voire matériel des hommes de culture de renom, européens, tels que Pablo Picasso, Jean-Paul Sartre ou Michel Leiris.
S’agissant de la diffusion des idées et des savoirs, Paris a été et demeure, et ce depuis fort longtemps, l’une des plaques tournantes de la diffusion des travaux des intellectuels et des créateurs originaires d’Afrique noire. Dans cette dynamique, les éditions Présence africaine, toujours sous le leadership intellectuel éclairé du Sénégalais Alioune Diop, ont joué un rôle irremplaçable. Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Cheikh Anta Diop, Léon Gontran Damas, Wole Soyinka, pour ne citer que ceux-là, ont reçu au sein de Présence africaine une écoute et un accompagnement attentifs.
La FEANF, un moule qui a formé les premières élites africaines
S’agissant des mouvements de libération politique, impossible d’évoquer cet âge d’or de la présence africaine dans la capitale française sans mentionner l’emblématique FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire de France).
En effet, la FEANF ne fut pas seulement une association estudiantine militante et revendicatrice pour le droit des peuples africains à l’autodétermination, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ; elle aura également été, à travers le monde occidental, l’un des moules dans lequel ont été formées les premières élites africaines francophones qui se retrouveront plus tard aux responsabilités les plus éminentes dans leurs pays respectifs.
Le rappel de ce passé prestigieux est important à plus d’un titre pour ceux-là, Africains comme Européens, qui découvriront La Maison des mondes africains (MansA). Il s’agit davantage de la réhabilitation dans l’espace public français d’une présence africaine, réduite malheureusement à l’oubli depuis quelques décennies. Il s’agit aussi de rappeler aux peuples européens d’aujourd’hui, notamment français, qu’entre l’Afrique et l’Europe ont été construits, à travers le temps et au-delà des drames de l’histoire, des ponts qu’il convient de rappeler aux générations présentes et futures qui appartiennent aux deux espaces de civilisation.
Il sera intéressant pour les mois et les années à venir, comme le fait déjà depuis des décennies le musée du quai Branly – Jacques Chirac, de convier dans cette vitrine des cultures afrodescendantes, des jeunes des collèges et lycées, y compris des universités françaises, à travers des voyages d’études et de classes, afin de faire reculer le plus loin possible les murs de la division, de la haine, voire de l’incompréhension.
Pour y parvenir, la nouvelle Maison des mondes africains (MansA) devra s’investir dans une stratégie de communication imaginative et s’ouvrir aux talents de la création – nombreux en Afrique –, comme le font depuis belle lurette les instituts français ou les alliances françaises qui sont devenus, au fil des ans, des vitrines de l’innovation culturelle en Afrique, mais aussi de son patrimoine immémorial.