Djibouti à l’heure chinoise : entre enjeux géostratégiques et souveraineté

Djibouti, c’est un secret de polichinelle, est confronté à un endettement massif vis-à-vis de la Chine. Pékin détient plus de la moitié de sa dette extérieure totale de 2,6 milliards de dollars. Le pays a donc décidé de suspendre le service de sa dette auprès de la Chine et a obtenu un moratoire de quatre ans en 2023, afin de faire face à ses obligations. Même si les prêts consentis ont été utilisés pour financer de grands projets d’infrastructure, de nombreuses interrogations subsistent au sujet du poids de cette dette qui étrangle ce pays de la Corce ne l’Afrique. Analyse d’Éric Topona Mocnga, journaliste à la rédaction Afrique-francophone de la Deutsche Welle, à Bonn (Allemagne).

De l’Égypte, on a coutume de dire que c’est un don du Nil. Rarement boutade n’a autant été habilement choisie pour décrire la générosité de la nature envers un pays. Lorsque l’on connaît la rareté des points d’approvisionnement en eau au pays des pharaons, on ne peut que saluer le sens de la formule heureuse de l’historien et géographe grec Hérodote (484-485 av. J.-C.).

De Djibouti, on pourrait dire que c’est un don du golfe d’Aden et de la Corne de l’Afrique. En effet, pour ce pays de moins de 24 000 km2 pour moins de 900 000 habitants, son principal mérite est de se situer sur l’une de ces voies de circulation qui sont le théâtre d’enjeux géostratégiques parmi les plus importants du monde actuel.​

Djibouti, un passage obligé

Ce pays, petit par la superficie, mais grand par les intérêts qu’il charrie, se situe au croisement de la mer Rouge, la mer Méditerranée et l’océan Indien.

Djibouti est l’un de ces passages obligés pour le commerce international. Le pays, actuellement dirigé par ​Ismaël Omar Guelleh, voit circuler dans ses eaux maritimes environ 30 000 navires par an. L’Éthiopie voisine, puissance économique régionale, qui vient d’inaugurer le grand barrage de la Renaissance, par ailleurs le plus grand d’Afrique, doit se servir de la façade maritime de Djibouti. Le large des côtes djiboutiennes est traversé par sept câbles sous-marins stratégiques qui relient l’Europe et l’Asie.

La plus grande présence militaire française hors de l’hexagone est stationnée à Djibouti (FFD)​ – environ 1 500 militaires et civils​ – depuis son accession à la souveraineté internationale ​27 juin 1977, sur la base d’un accord renouvelé en 2014, puis en 2024. Elle contribue entre autres à la sécurisation du commerce maritime français dans une zone devenue de plus en plus périlleuse du fait de l’augmentation exponentielle de la criminalité maritime.

Addiction à la dette chinoise

Paradoxalement, Djibouti, au regard de ses indicateurs socio-économiques, ne manque pas d’inquiéter et de surprendre, notamment en raison de son addiction à la dette chinoise devenue problématique, comme dans nombre de pays africains convaincus depuis plus de deux décennies que tous les chemins mènent à Pékin.

Ce pays, selon la Banque mondiale, occupe en 2023 la 175e place sur 193 au titre de ​l’Indice sur le développement humain (IDH). Toujours selon les mêmes statistiques, le taux de chômage national se situe à 15,9 % en 2024.

Or, Djibouti abrite la plus grande zone franche internationale d’Afrique qui s’étend sur 4 800 hectares. La Chine investit ​d​ans ce pays un milliard de dollars par an, soit la moitié d​e son PIB​.

Dans le cadre du projet chinois des Nouvelles Routes de la soie, Djibouti se trouve sur la voie de circulation maritime qui relie la Chine, l’Afrique et l’Europe via la mer de Chine et l’océan Indien. La présence chinoise à Djibouti remonte à 1979, soit deux années seulement après l’indépendance du pays.

Au titre des investissements majeurs de l’Empire du Milieu, on peut citer entre autres : la construction d’un hôpital pour 8,2 millions de dollars ; la construction d’un nouveau siège du ministère des ​Affaires étrangères pour 2,41 millions de dollars ; la création d’un aqueduc transfrontalier d’eau potable entre Djibouti et l’Éthiopie long de 102 kilomètres financé à hauteur de 322 millions de dollars.

Une présence militaire chinoise

Il faut par ailleurs préciser que 400 militaires chinois stationnent à Djibouti depuis 2017 pour protéger les intérêts de Pékin dans la région. Il s’agit de la première base militaire chinoise en Afrique : « Annoncée comme « la première perle » du collier que Pékin veut créer le long de l’océan Indien pour protéger l’une de ses routes de la soie, la construction de la base militaire chinoise s’inscrit dans une stratégie économique silencieuse, mais non moins efficace, qui impose la Chine comme partenaire privilégié de Djibouti, prenant de court les États partenaires historiques tels que la France ou les États-Unis », selon l’École de guerre économique de Paris.

Reddition des comptes

Aussi est-on en droit de se demander ce qu’a fait ce pays de sa fabuleuse rente géostratégique au regard de son endettement, notamment par rapport à la Chine. Toujours selon une note de l’École de guerre économique (EGE) de Paris :

« Pékin poursuit sa tactique d’endettement systémique de son partenaire djiboutien avec des projets structurants, assortis de taux d’emprunt importants […]. La Chine peut, lorsque le pays récepteur est en difficulté pour rembourser, transformer ses créances en actifs physiques. »

La question que pose désormais cet endettement fulgurant et colossal est celle du bon usage de ces actifs et de la capacité de remboursement à court terme. Selon l’EGE de Paris, cet état d’endettement « […] pose néanmoins la question de la souveraineté nationale face au risque d’une mise sous tutelle économique puis politique et militaire par la Chine ».

L’endettement de Singapour, par exemple, est souvent cité en exemple pour risquer une comparaison avec Djibouti. Mais, dans ce cas d’espèce, comparaison n’est absolument pas raison. La Cité-État a massivement investi dans les services et se situe par exemple au quatrième rang mondial pour l’innovation.

​Il est à redouter que se pose, sur le court ou le moyen terme, la question cruciale de la soutenabilité de sa dette par l’État djiboutien envers Pékin. Le réveil pourrait alors être brutal.

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