Assimi Goïta ou le coup d’État permanent

Après le 26 mars 2024, date officielle de la fin de la période de transition, les militaires maliens sont toujours au pouvoir. Au moment où nous mettons ce dossier sous presse, aucune explication n’a été fournie par la junte pour justifier le non-respect de son propre engagement. Preuve est faite que les putschistes ont pris le Mali en otage. 

Depuis la fin du mois de mars, les Maliens sont entrés de plain-pied dans une zone grise institutionnelle, en continuant de subir un pouvoir non élu qui a accaparé l’État, imposant sa loi à la collectivité nationale et refusant catégoriquement de proposer un calendrier pouvant offrir la perspective d’une sortie de cette transition qui n’a que trop duré. La dissolution, en décembre 2023, de l’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance au Mali, illustrait le renoncement de la junte à céder la place à un gouvernement civil. Pourtant, comme le rappellent certains citoyens maliens, le rôle de l’armée n’est pas de s’occuper indéfiniment des fonctions politiques mais de se consacrer pleinement à la défense du territoire souverain de l’État. Mais certains putschistes arguent un manque de sécurité dans l’arrière-pays pour prolonger leur bail à la tête des institutions. Alors qu’en organisant le 18 juin 2023 un référendum constitutionnel, la junte malienne a apporté la démonstration qu’un scrutin était possible. Donc, comment comprendre qu’il soit devenu impossible d’organiser l’élection présidentielle qui doit marquer le retour des militaires dans leurs casernes ? 

Poser la question, c’est reconnaître que le ver est dans le fruit depuis bien longtemps. Malgré un pseudo-nationalisme, une posture médiatique construite autour des revendications légitimes d’une partie de la jeunesse africaine en quête de repères, le chef de la junte malienne peine à trouver des réponses adéquates aux préoccupations élémentaires de ses compatriotes. Pire, il semble être dépassé par les exigences de sa fonction. Très rapidement, lui et sa bande ont montré une tendance à désigner des ennemis imaginaires, soit une appétence pour la stratégie du complot permanent. Laquelle les a poussés à voir le mal partout pour ne pas être amenés à répondre sur l’essentiel. Or, le problème du temps qui passe, c’est qu’il est encore plus assassin en politique qu’ailleurs. Et le quarteron de colonels qui dirige le Mali depuis presque quatre ans donne l’impression de découvrir cette réalité. Évidemment à ses dépens, puisque son étoile a déjà fini de pâlir auprès de ses compatriotes. 

Accusations en série 

Dès le lendemain du putsch qui l’a porté au pouvoir, le colonel Assimi Goïta nous a habitués à des dénonciations de tentatives de coup d’État. Par exemple, en décembre 2020, quatre mois seulement après son premier putsch, il avait accusé l’ancien Premier ministre Boubou Cissé et l’animateur radio Ras Bath de tentative de déstabilisation, avant que la justice malienne mette les accusés hors de cause. En novembre de la même année, il y a eu les accusations portées contre l’ex-secrétaire général de la présidence, Kalilou Doumbia et ses coaccusés, tous inculpés pour tentative de déstabilisation. Dans un communiqué publié le 16 mai 2021, son porte-parole avait attribué une tentative de putsch à un « groupuscule d’officiers et de sous-officiers antiprogressistes », qui auraient tenté de prendre le pouvoir dans la nuit du 11 au 12 mai et auraient été « soutenus par un État occidental ». Et ce, quarante-huit heures seulement après que le Mali avait annoncé son retrait de la force G5 Sahel. Il y a également eu la « tentative d’assassinat du chef de la junte » en pleine prière du vendredi et le « plan pour renverser le gouvernement » évoqué par l’actuel Premier ministre, Choguel Maïga, pour justifier l’expulsion de l’ambassadeur de France. On ne saurait oublier la fameuse arrestation de 49 militaires ivoiriens à leur descente d’avion à l’aéroport de Bamako, le 10 juillet 2022, alors qu’ils venaient dans le cadre de la mission de maintien de la paix de l’ONU. Ils avaient été inculpés à la mi-août par la justice pour « tentative d’atteinte à la sûreté extérieure de l’État » avant d’être écroués. 

Une affaire qui avait provoqué l’incompréhension de l’ensemble de la communauté africaine, tant la justice malienne avait très peu de choses à reprocher à ces soldats, si ce n’étaient des « manquements minimes », comme l’a reconnu le directeur de cabinet à la présidence ivoirienne, Fidèle Sarasso. Et puis d’ailleurs, en moins de deux mois, on était passé des accusations de « mercenaires » venus dans le pays avec le « dessein funeste » de « briser la dynamique de la refondation et de la sécurisation du Mali, ainsi que le retour à l’ordre constitutionnel », tel que le proclamait le communiqué des officiels maliens au début de cette affaire, à des spéculations purement conjoncturelles. C’était la preuve, si besoin en était, que les accusations portées contre les 49 militaires ivoiriens défiaient la raison. Car en tant qu’auteur d’un double coup d’État, Assimi Goïta ne pouvait sérieusement expliquer à l’opinion publique africaine qu’on peut parvenir à renverser un régime avec moins de 50 soldats. 

Il est évident que les autorités ivoiriennes ne nourrissaient aucun projet déstabilisateur envers le Mali. Auquel cas, elles auraient eu une autre attitude. On suppose que même en péchant par un excès de naïveté, elles n’auraient pas pu envoyer leurs soldats la fleur au fusil pour se faire ainsi cueillir comme de simples touristes à leur descente d’avion. À l’évidence, l’arrestation de ces malheureux soldats illustrait les tensions entre le Mali et la Côte d’Ivoire, accusée par la junte militaire d’avoir incité la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à durcir les sanctions – finalement levées en juillet 2023 – contre elle. Il faut croire que ces militaires étaient des victimes expiatoires de la paranoïa ambiante à Bamako, mais aussi des caprices d’Assimi Goïta. La preuve, en septembre 2023 les trois femmes du groupe ont été libérées, tandis que les 46 autres soldats ont été condamnés par la justice malienne à 20 ans de prison avant d’être graciés dans la foulée par le chef de la junte. Ils ont pu regagner la terre de leurs ancêtres au mois de janvier 2024. 

Par ailleurs, nous avons encore en mémoire les mélodrames liés au retrait des troupes françaises ainsi que des soldats de la Mission des Nations Unies au Mali (MINUSMA). Des missions dont les apports aussi bien en matière d’économie que concernant la lutte contre les jihadistes étaient inestimables. 

Régression éthique 

Chaque fois, les accusations brandies par Assimi Goïta ne sont nullement détaillées, et les enquêtes annoncées avec tambours et trompettes par son porte-parole ne vont pas plus loin que le contour de ses lèvres, ni au-delà des communiqués tonitruants qui sont lus à la télévision publique. D’ailleurs, à chaque tentative supposée de coup d’État, un « État occidental » est mis en cause sans être nommément désigné mais on peut aisément deviner à quel pays pensent les putschistes : la France. Ce qui est un classique des régimes africains aux abois qui cherchent des boucs émissaires pour justifier leurs propres contradictions. En l’espèce, des putschistes certifiés qui accusent les autres de tentative de coup d’État, cela ne manque pas de sel. 

Au demeurant, la réalité que les putschistes essaient de dissimuler est beaucoup moins glamour pour eux. En effet, le chef de la junte est incapable de proposer des solutions aux problèmes quotidiens de la population. La parade qu’il a trouvée pour détourner les regards de sa mauvaise gestion, qui a rendu l’économie malienne exsangue, est de se retrancher derrière un pseudo-nationalisme visant à masquer son incompétence et son manque de légitimité, en reproduisant jusqu’à la caricature le théorème de Charles Pasqua  : « Quand on est emmerdé par une affaire, il faut susciter une affaire dans l’affaire, et, si nécessaire, une autre affaire dans l’affaire de l’affaire, jusqu’à ce que personne n’y comprenne rien. » 

Cependant, « tout ce qui est excessif est insignifiant. » C’est ce que l’on pourrait rétorquer aux autorités maliennes qui multiplient les propos virulents à l’égard de tous ceux qui exigent un calendrier raisonnable pour la fin de la transition. À titre d’illustration, l’un des puissants colonels de Bamako, Abdoulaye Maïga, alors Premier ministre par intérim, avait tenu un discours au lance-flammes à la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies contre le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, auquel il avait dénié la qualité de « chef d’État », contre le président bissau-guinéen Umaro Sissoco Embaló qui assurait la présidence tournante de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO et contre le président ivoirien Alassane Ouattara. Il avait réservé sa charge la plus violente à l’ancien président nigérien, Mohamed Bazoum, qualifié « d’étranger qui se réclame du Niger ». Un comble ! 

Le péché de ce dernier était d’avoir exhumé un secret de polichinelle : la montée en puissance des jihadistes depuis le retrait du Mali de la force française Barkhane, et le risque réel de voir la ville de Ménaka, frontalière avec le Niger, passer sous le contrôle des terroristes. À mots à peine couverts, Mohamed Bazoum avait pointé l’incapacité de la junte malienne à obtenir des résultats probants en matière de sécurité. Il avait également fustigé l’inefficacité des mercenaires de Wagner dans la lutte contre le terrorisme, en dépit de leur déploiement sur le terrain aux côtés des Forces armées maliennes (FAMA). En juillet 2021, l’ex-président avait vertement critiqué la propension des colonels maliens à renverser les régimes démocratiquement élus, après des revers militaires. « Il ne faut pas permettre que les militaires prennent le pouvoir parce qu’ils ont des déboires sur le front […], que les colonels deviennent des ministres ou des chefs d’État », avait-il déclaré lors d’une conférence de presse commune avec son homologue français Emmanuel Macron. Des propos qui avaient suscité une « vive protestation » des putschistes. 

Manifestement, ces critiques de Mohamed Bazoum étaient restées en travers de la gorge des membres de la junte militaire. En le qualifiant « d’étranger qui se réclame du Niger », les colonels maliens rendaient la pareille et persistaient dans la surenchère langagière à laquelle ils nous ont habitués, au mépris des sacro-saintes règles de bienséance qui caractérisent les relations entre les pays « frères » d’Afrique. Au-delà du fait que les discours incendiaires des putschistes contre certains chefs d’État de la sous-région vont malheureusement à l’encontre des « solides relations d’amitié et de fraternité » unissant les peuples africains, ils portent surtout les germes de prochains affrontements fratricides dans la zone. On ne peut s’empêcher de s’étonner que des gens qui se proclament panafricanistes à longueur de discours en soient réduits à traiter d’autres Africains « d’étrangers ». En clair, le panafricanisme bruyant dont se targuent les militaires maliens, ainsi que leurs soutiens stipendiés par les Russes, se heurte à leur vraie nature : ce sont de pseudo-nationalistes assoiffés de pouvoir. 

En outre, le président de la transition, Assimi Goïta, est dans une quête permanente de reconnaissance. Psychanalyse de comptoir mise à part, il semble être porteur du syndrome du « mal-aimé », qui est le marqueur d’individus posant des actes uniquement guidés par l’outrance et les exagérations afin de se faire remarquer, donc d’exister. Voilà pourquoi il a décidé d’adopter la stratégie du complot permanent. D’autre part, en multipliant les fronts, le chef des putschistes cherche à masquer ses échecs, puisqu’il peine à obtenir des résultats probants dans le domaine de la sécurité, lequel a servi de prétexte à son putsch. 

La vérité, c’est qu’Assimi Goïta a toujours voulu être considéré par ses pairs de la sous-région comme un véritable chef d’État. Or, la pire chose qui puisse arriver au balbutiant processus de démocratisation du continent, c’est que les autres dirigeants qui ont bénéficié de l’onction du suffrage universel – parfois il est vrai dans des circonstances contestables – en viennent à juger que les militaires ayant usurpé la souveraineté populaire à l’ouest du continent seraient leurs homologues. Ce qui ressemblerait à une régression éthique, doublée d’une déchéance morale.

Les dures réalités de l’exercice du pouvoir

Pour le malheur des putschistes de Bamako, les fuites en avant, les diversions et les tentations d’isolement ne durent qu’un temps. Au début, les populations, qui vivent dans le désespoir complet, se laissent séduire. En revanche, sur la durée, ne voyant rien venir et ne pouvant pas facilement faire bouillir leurs marmites, ces populations se lassent, non sans identifier les véritables responsables de la misère dans laquelle elles se trouvent. Le temps étant l’autre nom de la Providence, Assimi Goïta et sa clique ont été rattrapés par les dures réalités de l’exercice du pouvoir. 

Il n’a échappé à personne que les Maliens cachent de moins en moins leur exaspération, et ce, pour plusieurs raisons incontestables, à commencer par l’absence de courant. Dans le Mali des putschistes, pour avoir un peu d’électricité, même pendant le mois du jeûne musulman où la chaleur est insupportable, il faut s’armer de patience. À Bamako, un « programme de rationnement » a été instauré depuis le mois de mars dernier, prévoyant 12 heures de coupures quotidiennes, en alternance selon les quartiers. À Gao, la plus grande ville du nord du pays, la population est totalement privée d’électricité depuis plusieurs semaines. Ces coupures intempestives d’électricité rendent la vie difficile aux populations. Ceux qui ont les moyens se débrouillent avec des petits générateurs ou des panneaux solaires, mais ça coûte cher. Même la glace est devenue aussi rare que précieuse. Le petit bloc qu’on trouvait à 50 francs est vendu actuellement plus de 500 francs. 

Face à ces problèmes, l’Énergie du Mali (EDM), la société chargée de la production et la distribution de l’électricité dans le pays, n’est malheureusement pas en mesure de proposer des solutions dans les meilleurs délais. D’abord, les pièces de remplacement des générateurs défectueux ne sont pas disponibles sur place, et il faut beaucoup d’argent pour qu’elles puissent être achetées et acheminées à Bamako. Mais les caisses de l’entreprise étatique sont désespérément vides. Ensuite, avant la prise du pouvoir par les militaires, la MINUSMA mettait ses avions à la disposition du Mali pour le transport des pièces de rechange des installations de l’EDM dans le reste du pays. Reste qu’en chassant tous ceux qui aidaient à faire fonctionner les structures sensibles de l’État, la junte a rendu la situation beaucoup plus complexe. 

Toujours à Gao, les jihadistes du JNIM et de l’État islamique ont imposé depuis plusieurs mois un blocus, rendant la route reliant la ville à la capitale particulièrement dangereuse, et les axes menant au Niger ainsi qu’en Algérie très risqués, ce qui complique les approvisionnements. Autrement dit, la situation est intenable. Au manque d’électricité, il faut ajouter la cherté du coût de la vie. Le prix des produits de premières nécessités tels que le sucre ou la farine de blé a grimpé dans des proportions inquiétantes. Même l’essence n’est pas épargnée par cette hausse. 

Et les Maliens ne peuvent pas compter sur les militaires pour faire face aux difficultés de leur existence. Ceux qui osent protester ou montrer leur mécontentement, sont envoyés en prison ou promis à la mort. Le marabout Komani Tanapo, qui a été enterré le 19 mars dans son village de Koui, dans la région de Ségou, au centre du pays, en a fait la triste expérience. Connu pour son implication dans la signature d’accords intercommunautaires locaux, il avait été arrêté le 25 février dernier par l’armée malienne et ses supplétifs russes du groupe Wagner. Le religieux, accusé de collaborer avec les jihadistes du JNIM, liés à Al-Qaïda, qu’il contribuait pourtant à combattre grâce à son soutien matériel et financier aux chasseurs traditionnels dozos, est mort en détention dans le camp militaire de Bapho, près de Ségou, à la suite des tortures infligées par les soldats maliens et les mercenaires russes. Le désespoir du peuple est tel qu’il est réduit à confier son sort à Dieu.  

Sur le plan sécuritaire, la situation est loin d’être reluisante comme le prétend la propagande des militaires. Certes, Assimi Goïta et son état-major ont annoncé, le 14 novembre 2023, s’être emparés de la ville stratégique de Kidal, bastion des séparatistes touareg et symbole de l’insoumission du nord du pays au pouvoir central de Bamako. Il ne fait aucun doute que cette prise de Kidal est un succès symbolique significatif pour les putschistes, tant l’État malien et ses soldats n’avaient quasiment pas mis les pieds dans la ville depuis mai 2014. Ils avaient été chassés de Kidal quand une visite du Premier ministre de l’époque, Moussa Mara, avait donné lieu à des violents affrontements qui avaient causé de lourdes pertes dans les rangs de l’armée. 

Mais il s’agit d’une victoire en trompe-l’œil. On parle d’un succès symbolique obtenu grâce au soutien et à l’implication des mercenaires russes de Wagner, qui n’ont pas manqué de doucher la propagande officielle en hissant leur étendard noir sur le fort de la ville après la fin des combats. Ce qui vient contredire le discours officiel de la junte, continuant de nier, contre toute évidence, la présence dans le pays du groupe de sécurité privé russe aux pratiques décriées. On l’a vu, les putschistes n’ont pas hésité à s’attribuer cette victoire hautement symbolique. Toutefois, les faits étant têtus, les hommes sans foi ni loi de Wagner ont joué un rôle de premier plan dans la reprise de cette ville de l’extrême nord du Mali aux rebelles indépendantistes du Cadre stratégique permanent (CSP). Incontestablement, ils étaient en première ligne, et leur engagement a « coûté un bras » à l’État malien.  

En plus des images qui ont circulé sur les réseaux sociaux montrant certains mercenaires russes entrant dans la ville de Kidal à bord de blindés ou juchés sur des motos le jour même où on a annoncé le départ des rebelles, il n’est pas sans intérêt de s’interroger sur la bagatelle que le régime d’Assimi Goïta a dû payer à Wagner. On se garde d’imaginer la somme, qui ne peut être qu’astronomique. Car, malgré ses promesses impossibles à réaliser et l’incapacité de ses hommes à améliorer la situation sécuritaire dans les pays où ils sont implantés, Wagner propose ses prestations à un coût exorbitant, incluant surtout la prise de contrôle de ressources naturelles. Un prix considérable que les populations maliennes ne peuvent supporter, elles qui ont déjà du mal à joindre les deux bouts. 

Avant l’offensive sur Kidal, plusieurs sources crédibles laissaient entendre que Wagner facturait ses services au gouvernement malien à 103 millions d’euros par an, soit 45 % du budget national de la santé. Il ne s’agit, là encore, que d’estimations minimalistes. C’est dire que personne ne saura jamais combien Assimi Goïta a dû verser aux hommes d’Evgueni Prigojine, disparu dans un étrange accident d’avion fin août après s’être rebellé contre Poutine, pour la prise de Kidal. Et puis, les rebelles se sont retirés de la ville sans combattre, donc on imagine qu’ils ont conservé leur capacité de nuisance intacte. En outre, sans un processus politique prenant en compte les exigences des différentes parties, il est illusoire de miser sur la pacification de la région. Visiblement, les putschistes de Bamako ne sont pas disposés à dialoguer avec les membres du CSP. Jusque-là, ils ont ignoré l’accord de paix d’Alger et ont besoin d’entretenir artificiellement la situation de belligérance afin de détourner les regards sur les véritables préoccupations des populations. Ils se sont tellement agités que même l’Algérie a été obligée de montrer les muscles afin de les calmer. 

Guerre d’ego au sein de la junte 

C’est dans ce contexte que les Maliens, désabusés par les promesses non tenues de la junte, observent la guerre des chefs parmi les militaires au pouvoir. Selon toute vraisemblance, le torchon brûle entre Assimi Goïta et son ministre de la Défense, le colonel Sadio Camara. Après avoir été retenu pendant dix jours dans les locaux du Pôle national économique et financier (PNEF) où il était arrivé le 12 janvier, l’ancien ministre malien des Mines, de l’Énergie et de l’Eau, Lamine Seydou Traoré, a été présenté le 22 janvier à la chambre d’instruction de la Cour suprême. À l’issue de son audition, il a été placé sous mandat de dépôt et renvoyé à la maison d’arrêt centrale de Bamako. Trois mois plus tard, il s’y trouve toujours en attendant la tenue d’un hypothétique procès. 

Ce qui frappe, c’est que cette arrestation a résonné comme un coup de tonnerre dans le ciel sans nuage de Bamako, au regard du statut de Lamine Seydou Traoré, qui reste une figure importante du régime de transition. Les observateurs sont surpris de voir son nom apparaître dans l’enquête visant des faits de détournements de deniers publics qui ébranlent l’Énergie du Mali. Tout s’est passé comme si quelqu’un en haut lieu avait voulu chercher des poux sur son crâne pourtant dégarni en l’impliquant dans ce dossier. Le problème, c’est que l’ancien ministre des Mines n’est pas n’importe qui. C’est un intime du tout-puissant ministre de la Défense, le colonel Sadio Camara. Tout comme d’ailleurs les treize autres personnes, dont l’ancien directeur général de l’entreprise, Koureissi Konaré, qui sont accusées dans ce dossier aux côtés de Lamine Seydou Traoré.  

Il n’en fallait pas plus pour persuader Sadio Camara que son ami n’est qu’un simple bouc émissaire. Il est convaincu qu’on cherche à lui nuire et qu’il est dans le collimateur du président de la transition, qui supporte de moins en moins la contradiction. Le ministre de la Défense estime être le tout prochain sur la liste de la purge. Les mauvaises langues de Bamako affirment qu’il se prépare à toutes les éventualités. Comprenne qui pourra. Il faut parier que d’ici là les tensions qui sont apparues au sein de la junte se révéleront au grand jour. Ce ne sera pas forcément à l’avantage d’Assimi Goïta. 

Le réveil des forces démocratiques 

Enfin, le président de la transition a également du souci à se faire avec les forces démocratiques maliennes, qui avaient mené la contestation populaire contre le président Ibrahim Boubacar Keïta, justement renversé par les militaires en octobre 2020. Depuis le mois de mars 2024, on observe un frémissement du côté des forces politiques et de la société civile. Après une longue période de léthargie, il y a un regain d’activité au sein des états-majors politiques. Par exemple, le 5 mars, le Premier ministre malien, Choguel Kokalla Maïga, a été démis de son poste de président de la coalition de l’opposition, le M5-RFP. Les frondeurs ont accusé le Premier ministre d’avoir « manipulé » les nominations gouvernementales en 2021 et de s’être laissé « placardisé » par les militaires.

Les colonels au pouvoir ne peuvent pas voir d’un bon œil l’activisme des forces démocratiques du pays. Et pour montrer clairement leur agacement, ils ont accusé l’imam Mahmoud Dicko, qui se trouve en Algérie depuis le mois de décembre 2023 pour y passer sa convalescence après avoir été victime, selon lui, d’une tentative d’empoisonnement, d’être derrière les manœuvres de l’opposition. Le lendemain du limogeage du Premier ministre à la tête de la coalition de l’opposition, c’est-à-dire le 6 mars, les militaires ont annoncé la dissolution de l’association que parraine l’influent leader religieux, accusé de « déstabilisation et de menace pour la sécurité publique ». Selon le communiqué publié par la junte, « le parrain de la CMAS s’adonne clairement à des activités subversives susceptibles de troubler l’ordre public, notamment à travers ses récentes visites à l’extérieur et ses rencontres officielles avec des personnalités de puissances étrangères sur des questions d’intérêt national sans l’autorisation des autorités du Mali ». On ne peut être plus clair. 

Cette dissolution de la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS) n’a pas surpris grand monde. L’imam est l’une des rares personnalités maliennes à oser exprimer ouvertement ses désaccords avec les militaires. D’autant plus que depuis des mois, l’association qui soutien ses activités appelle à une transition civile, estimant que la transition dirigée par les militaires a montré ses limites. C’est, de l’avis des observateurs, ce qui a valu à la CMAS d’être la cible de la junte. 

L’ire des colonels de Bamako n’a pas seulement visé la CMAS mais tous ceux qui formulent des critiques à leur endroit. Le 13 mars, ils ont également annoncé la dissolution de l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM) qu’ils accusent d’être responsable de violences et d’affrontements depuis plusieurs années dans le milieu scolaire et universitaire. « Les agissements en cause sèment des troubles au sein de l’espace scolaire et universitaire et provoquent des perturbations de cours, des assassinats, des meurtres et des destructions de biens publics et privés par des manifestations violentes de rue et des ports illégaux d’armes », selon le communiqué rendu public par la junte pour justifier sa mesure. Des motifs jugés peu convaincants par de nombreux observateurs. Comme il fallait s’y attendre, l’organisation estudiantine, souvent prise pour un potentiel foyer d’agitation politique, a refusé de se plier aux injonctions des militaires et a décidé d’engager un bras de fer avec eux. 

Tous ces signes indiquent un basculement et montrent qu’Assimi Goïta pourrait bientôt être dans de beaux draps. Comme quoi, même le meilleur prestidigitateur a ses limites. Il est évident que le temps joue contre lui. 

Oumar Touré, depuis Bamako 

  • Le Courrier Panafricain

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