Avec Doumbouya à sa tête, la Guinée va à vau-l’eau !

Inflation galopante, répression féroce contre les médias et les forces politiques, instauration d’un climat de peur dans le pays, le chef de la junte guinéenne se distingue plus par ses prouesses autocratiques que ses aptitudes de dirigeant. 

En s’emparant du pouvoir par la force de la mitraillette, le 5 septembre 2021, le colonel Mamadi Doumbouya bombardé entre-temps général d’armée, avait embouché une trompette rassurante : « La Guinée respecte et respectera les engagements, conventions et accords auxquels elle a souscrit ». Mais en réalité, c’était pour le folklore et les besoins de justification de sa forfaiture, puisque les mois passant, dès trois années à tourner en rond, le putschiste de Conakry a ignoré cette promesse ainsi que ses autres belles paroles. C’est dire que ceux qui ont cru ou voulu croire aux déclarations de cet usurpateur patenté de la légitimité populaire en sont aujourd’hui pour leur naïveté. À peine son forfait entériné, et sa silhouette longiligne confortablement installée au Palais Mohamed V de Conakry, s’est-il violemment attaqué aux entreprises minières en prenant des décisions téméraires. 

D’abord, ce sont le groupe anglo-australien Rio Tinto et le chinois Winning Consortium Simandou qui ont fait les frais des méthodes pour le moins contestables du chef de la junte militaire. Il a imposé à ces deux sociétés, comme si on était dans une caserne militaire, la création d’une coentreprise afin de construire les infrastructures nécessaires à l’exploitation du plus grand gisement de fer au monde découvert à ce jour. En exigeant de leur part, au passage, sur aucune base sérieuse, de céder gracieusement à l’État guinéen, quelque 15 % de cette joint-venture chargée de construire la ligne de chemin de fer qui doit relier la mine au port. Il faut dire que cette rodomontade de Mamadi Doumbouya ne menace pas moins de quinze mille emplois directs dépendant de l’avancement du projet d’exploitation de Simandou. Comme il fallait s’y attendre, ces majors miniers ont rechigné à se plier à ce populisme de mauvais aloi. 

Ce faisant, le chef des putschistes a oublié deux choses. D’une part, les contrats de concessions minières bénéficient tous d’une clause de stabilité, qui protège les investisseurs des changements brutaux de régime ou de la législation. Autrement formulé, si l’envie le prenait, lui et sa clique, de modifier de façon unilatérale ces contrats, c’est la Guinée qui devra trinquer, car le pays s’exposera alors à des poursuites judiciaires. D’autre part, la gestion de l’économie d’un pays est si sensible qu’elle doit se faire avec tact, professionnalisme et sans émotion. Gérer l’économie d’un pays comme la Guinée n’est pas une tâche aisée à la portée de n’importe quel quidam, fut-ce un ex-légionnaire français. On le voit, Doumbouya s’est lancé dans cette aventure non seulement par ignorance mais surtout parce qu’il peine à s’entourer de vrais spécialistes des questions macroéconomiques. Or, et c’est ce qui est fâcheux, c’est la dynamique minière qui porte la croissance guinéenne attendue cette année à 5,6 %, mais dont on n’est nullement certain qu’elle atteindra ce chiffre mirobolant. Surtout dans un contexte de ralentissement du commerce mondial, provoqué notamment par la guerre en Ukraine. Notons que le secteur minier guinéen seul devait rapporter l’année dernière, selon les estimations, au moins 72 % des recettes douanières et près de 80 % d’entrée d’argent en recette d’impôt. Indiquons par ailleurs qu’au moins 6 milliards de dollars ont été investis dans le secteur minier pendant les deux mandats du président Alpha Condé. Un véritable tour de force. 

Ensuite, comme dans tous les régimes autocratiques, Mamadi Doumbouya a sommé les organisations patronales de fusionner. Raison invoquée : l’ex-légionnaire français voudrait avoir un interlocuteur unique parmi les hommes d’affaires du pays. Seulement, en se comportant comme si la Guinée était dans une économie centralisée – on n’ose pas dire communiste – il accentue les nombreuses réticences des milieux d’affaires à l’égard de son quasi-régime. Faut-il rappeler que généralement, ces derniers sont rétifs à mettre des billes dans un pays dirigé par des militaires imprévisibles. Et ils ont raison, à cause du manque de légitimité de ceux-ci. Seul un régime bénéficiant de l’onction du suffrage universel est habilité à engager des réformes économiques durables. Cela est d’une cristalline limpidité. Pour ne rien arranger à la situation des ménages guinéens, l’inflation a atteint un chiffre record depuis 2023. 

Faisant preuve d’une ignorance abyssale en matière économique, Mamadi Doumbouya et sa suite ont envisagé un temps d’utiliser 30 millions de dollars des 284 millions de Droits de tirage spéciaux (DST) versés à la Guinée par le Fonds Monétaire International (FMI) avant la chute du président Alpha Condé, en vue d’assurer le financement de la construction des infrastructures devant abriter la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) 2025. Là encore, il a fallu que l’institution financière mondiale mette son holà, obligeant les putschistes de Conakry à un rétropédalage honteux. Une défection en rase campagne. En vérité, ces amateurs ignoraient que le FMI scrute à la loupe l’utilisation des fonds octroyés et que ceux-ci doivent être exclusivement consacrés à des dépenses d’investissement dans les secteurs sociaux tels que l’éducation et la santé. Doumbouya croyait naïvement que les fonds du FMI constituaient sa popote familiale dans laquelle il pouvait taper allègrement. On imagine que sa déception a été grande. 

Pourtant, quand le président Alpha Condé était au pouvoir, la Guinée était devenue un pôle économique régional important. En 2020 par exemple, son PIB était chiffré à 15,68 milliards de dollars américains, le cinquième en Afrique de l’Ouest après le Nigeria, le Ghana, la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Avec les réformes engagées et une gestion orthodoxe des ressources de l’État, le pays ambitionnait de devenir à l’horizon 2030, la deuxième économie de la région, après le Nigeria. Il faut savoir que le pays venait de très loin puisque son PIB a presque triplé en une décennie de présidence Condé. 

C’est dans ce contexte que le 18 décembre dernier, peu après minuit, une puissante explosion a provoqué un incendie qui a détruit un dépôt de carburant de Conakry. En plus des victimes, une vingtaine de personnes tuées et plusieurs centaines d’autres blessées, le drame a réduit complètement en cendres la principale source d’approvisionnement en carburant de tout le pays. D’ailleurs, l’explosion est intervenue dans un contexte de répression féroce contre les médias et les défenseurs des droits de l’homme. Certains n’ont pas hésité à pointer directement la responsabilité du chef de la junte dans ce qui s’est passé. Et pour cause : un projet de délocalisation du dépôt était à l’étude sous la présidence du président Alpha Condé. Car le risque d’explosion avait été identifié lors de l’étude d’impact environnementale pour la concession et l’extension du port de Conakry. « L’opérateur identifié pour cette concession était chargé de réaliser à ses risques et périls la réhabilitation et l’extension vers l’est du port selon le contrat de concession signé en 2018 entre le gouvernement du président Alpha Condé, le port autonome de Conakry et le Groupe Turc Albayrak », explique un fin connaisseur du dossier.

Ce dernier précise par ailleurs que « pour réduire les risques aussi bien pour le port que le quartier des affaires et de l’administration de Kaloum, le dépôt de carburant devait être déplacé. À cet effet, le président Alpha Condé avait créé en 2018 un ministère ayant pour charge prioritaire le déplacement du dépôt de carburant. À la suite de la visite exploratoire des experts commis par le nouveau ministre nommé par Alpha Condé, le site de Morybayah dans la préfecture de Forécariah avait été choisi pour abriter le nouveau dépôt pétrolier ». L’ancien président avait fait démarrer les études d’avant-projet sommaire (APS) permettant de définir le programme d’investissement pour le nouveau port pétrolier. Ce nouveau port devait aussi servir de port minéralier dans le cadre du projet d’exploitation de minerai de fer de Simandou dont le port d’évacuation a été identifié dans la même zone via un chemin de fer long de 650 km entre Simandou et Conakry.

Après l’approbation de l’étude d’avant-projet sommaire, « un port en eau profonde était nécessaire. Mais le faible tirant d’eau obligeait la construction de sea-lines sur plusieurs kilomètres pour permettre aux bateaux de décharger leur cargaison sans incident. Un projet de raffinerie était inclus dans le programme, y compris une zone de stockage des produits dérivés comme le mazout, le bitume, le gaz et les lubrifiants, ainsi qu’une zone d’extension future justifiée par une croissance annuelle de 12 % de consommation de produits pétroliers. La capacité initiale projetée était de 100 000 tonnes de gasoil et de 50 000 tonnes d’essence pour une durée de réalisation de 30 mois. En avant-projet sommaire, le coût était évalué à 180 millions d’euros pouvant évoluer à la hausse ou à la baisse après les études d’avant-projet détaillé (APD). L’ensemble du programme a permis de délimiter une parcelle de 100 ha attribuée par décret présidentiel au projet. Le site est alloué et borné, le démarrage des travaux étant fonction de la réalisation des études détaillées et de la mobilisation du financement », ajoute la source citée précédemment. Le partenariat public privé (PPP) avait été retenu comme mode de financement du projet, avec 55 % revenant à l’État dans l’actionnariat. Les dispositions étaient prises concernant la structure du prix du carburant pour financer la part de l’État. La société guinéenne de pétrole avait même été créée par décret présidentiel avec des statuts aux normes OHADA pour porter les actions. Les trois actionnaires privés du partenariat (TOTAL, VIVO, COPEG) avaient confirmé leur participation ainsi que STAR OIL et le groupe OCTOGONE. D’autres projets de raffineries étaient à un stade très avancé dont celui de Kamsar porté par la société Brahms et financé par l’AFC, ACCES BANK et AFREXIM BANK, pour un montant de 430 millions USD, pouvant raffiner 15 000 barils/j avec une capacité de stockage de 60 000 m3. Le démarrage des travaux était prévu pour novembre 2021 avec un délai de réalisation de 12 mois pour la première phase. 

Tous ces efforts ont été anéantis par un assoiffé du pouvoir. Ce qui fait dire à l’opinion que s’il n’y avait pas eu le putsch sanglant de l’ancien légionnaire français, la délocalisation du dépôt de carburant de Kaloum relèverait déjà du passé. Il n’y aurait pas eu le drame du 18 décembre et on aurait épargné la vie de nombreux Guinéens. 

Yasmina Perrière 

  • Le Courrier Panafricain

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