Ne disposant d’aucune légitimité que confère le suffrage universel, le pouvoir nigérien multiplie les décisions qui risquent de renforcer les clivages communautaires dans le pays. Éclairage.
Il y a un peu plus de deux ans, le 24 septembre 2022 plus précisément, devant l’Assemblée générale des Nations unies, le colonel Abdoulaye Maïga, alors Premier ministre malien par intérim, avait qualifié le président nigérien Mohamed Bazoum « d’étranger qui se réclame du Niger ».
Repli identitaire
Nous étions loin d’imaginer que cette déclaration participait d’un vaste projet d’exclusion, et prenait ses racines dans l’esprit même du chef de la garde présidentielle, censée assurer la sécurité de Mohamed Bazoum. En décidant, ce 10 octobre, de retirer « provisoirement » la citoyenneté nigérienne à neuf personnalités proches de l’ancien président et considérées comme des opposants à son pouvoir, le général Abdourahamane Tiani, a tombé le masque, ajoutant l’ignominie à la félonie. Il devient ainsi le premier chef d’État nigérien ayant décidé de priver ses compatriotes de leur nationalité.
Faut-il le souligner, la déchéance de nationalité des anciens dignitaires s’appuie sur le fichier créé récemment par la junte militaire au pouvoir à Niamey, qui recense les personnes accusées d’être impliquées dans des actes de terrorisme ou d’atteinte aux intérêts de l’État. Une formulation suffisamment vague, qui ouvre la voie à toutes les dérives.
Parmi les neuf personnalités concernées figure notamment Rhissa Ag Boula, ancien ministre d’État et conseiller à la présidence, mais surtout chef historique des rébellions touarègues de 1991 et de 2007. Deux semaines après le putsch du 26 juillet 2023, il avait lancé un Conseil de résistance pour la République dont l’objectif était de contrer le nouveau pouvoir putschiste.
« Ne vous attaquez pas aux fondements de votre pays. J’ai pris les armes en 1991 pendant six ans pour lutter contre le régime de l’époque, mais je n’ai alors jamais demandé à me séparer du Niger. Je suis nigérien et je resterai nigérien, quelle que soit la situation », a fait savoir ce dernier dans un message audio destiné à Abdourahamane Tiani, avant de conclure, catégorique : « nous sommes nigériens et nous resterons nigériens : personne ne peut nous enlever cela. Il faut lutter pour la démocratie au Niger, mais ne jamais renier la nationalité nigérienne ».
Au-delà du cas personnel des personnes visées par cette cabale, la junte nigérienne démontre qu’elle ne reculera devant rien, pas même la décence, pour restreindre l’espace public et confisquer l’ensemble des libertés fondamentales. Elle le fait sans avoiré été mandatée par les populations, donc sans légitimité et dans l’illégalité totale.
Craindre le pire
Dans le manuel de propagande qui leur a été offert par la Russie – la seule chose que les Russes peuvent offrir – il est demandé à la junte militaire d’adopter une stratégie d’isolement afin de vivre en marge des sociétés modernes et ainsi éviter de faire face aux exigences qu’imposent les valeurs démocratiques. Les modèles qui leur sont proposés sont ceux de la Corée du Nord, de l’Iran ou de la Russie, trois États dont les systèmes politiques n’ont rien de démocratiques et qui évoluent en marge de la communauté internationale.
Sinon, une décision aussi lourde de conséquence, ne serait pas prise avec autant légèreté et désinvolture dans une société démocratique. Elle aurait fait l’objet d’un processus transparent auquel les personnes visées sont associées, avec la possibilité de fournir leurs arguments de défense. Une chose impossible sous le régime autoritaire de la junte militaire.
Les inquiétudes exprimées après cette décision inique qui confine à un règlement de compte sont fondées. Sans doute parce que le Niger est un pays traversé par de multiples problématiques identitaires et secoué dans le passé par une rébellion communautaire. Sans doute aussi parce que le général Abdourahamane Tiani ne montre pas une envie excessive de préserver la cohésion sociale et l’unité nationale de son pays.
Non seulement, il ne dispose d’aucune réelle influence sur l’appareil sécuritaire nigérien mais il est peu apprécié des autres putschistes qui l’attendent au tournant. En d’autres termes, le chef de la junte nigérienne est perçu par bon nombre de chefs militaires comme un arriviste, inflexible, incompétent, qui a favorisé le recrutement des membres de son ethnie, les Haoussa, dans la garde présidentielle, au détriment des autres composantes ethniques, constituant ainsi une source de frustration propice aux tensions intercommunautaires.
Surtout que le Niger est un État faible, en proie à des violences jihadistes dans l’ouest et le sud-est, incapable de faire face seul aux défis sécuritaires. Avec de telles décisions, il faut craindre l’exacerbation des divisions inter-ethniques. En clair, ni les mercenaires russes de Wagner ni encore moins les Gardiens de la révolution iranienne, qui négocient actuellement l’achat d’uranium avec les militaires, vont empêcher le pays de sombrer dans le chaos. On ne gouverne pas un pays avec les haines recuites et une politique d’exclusion.
Osseni Camara