Depuis la victoire du Parti socialiste sénégalais aux élections de 1998, aucune autre formation politique n’a réalisé le même raz-de-marée que le Pastef lors d’un scrutin législatif, sans le soutien d’une coalition. Moralité : le tandem Diomaye-Sonko, désormais maîtres incontestés du pays, est tenu de répondre aux nombreuses attentes des Sénégalais. Ils sont dos au mur.
Les résultats provisoires des élections législatives anticipées du 17 novembre dernier ne consacrent pas seulement l’hégémonie des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) sur la vie politique sénégalaise, mais apporte surtout un cinglant démenti à tous ceux qui, en Afrique, sont tentés par le mirage des hommes en treillis, ces auteurs de coups d’État, qui ont pris l’habitude de promettre monts et merveilles à une jeunesse nombreuse en colère.
Malheureusement, ces promesses des lendemains meilleurs sont souvent très vite renvoyées aux calendes grecques, puisque les putschistes africains, notamment ceux du Sahel, ne tardent généralement pas à renier leurs propres paroles d’officiers supérieurs, refusant de restituer le pouvoir aux civils, tout en entrainant les pays, dont ils ont confisqué la direction, dans les vallées périlleuses de la déchéance éthique et morale.
Se prenant pour de vrais chefs d’État ayant bénéficié de l’onction du suffrage universel, ils passent le clair de leur temps à vitupérer contre l’impérialisme, le néocolonialisme, les traîtres à la patrie…autant dire tous ceux qui leur demandent de raccourcir le délai de gestion des « affaires courantes » pour retourner dans leurs casernes.
Les leçon de Dakar
Les 130 sièges obtenus par le Pastef sur les 165 que compte l’Assemblée nationale sénégalaise montrent avec quelle force, en Afrique, la solution reste et demeure éminemment politique. En dépit du fait que les néo-panafricains du numérique, ces anti-impérialistes autoproclamés au discours virulent et clivant, parfois stipendiés, essaient, avec un certain succès, de convaincre les forces vives du continent que leur salut viendra des caporaux avides de pouvoir et de gloire, qui ne s’encombrent pas de scrupules pour confisquer les libertés individuelles.
Preuve est faite que sur le continent, les pays qui progressent, malgré les contraintes de tous ordres et les contingences diverses, comme le Botswana ou Maurice, sont ceux chez qui les principes démocratiques ne sont pas foulés aux pieds par quelques individus, fussent-ils providentiels. Donc, la démocratie n’est pas le problème, c’est même la solution.
Voilà des jeunes leaders politiques, Ousmane Sonko et Diomaye Faye, qui voulaient le pouvoir, et qui l’ont conquis par les voies légales, sans avoir besoin de marcher sur le cadavre de leurs compatriotes ou d’exposer leur pays à des sanctions internationales, bien au contraire. C’est la preuve de la maturité du peuple sénégalais. La preuve en outre que lorsqu’un peuple est parvenu à une conscience citoyenne, il est difficile de faire dire aux urnes autre chose que ce qu’il a exprimé.
Dans un tel environnement, les différentes personnalités qui dirigent les institutions sont conscientes de leur rôle et des limites imposées par le droit à leurs prérogatives : l’armée nationale reste à sa place, ne se préoccupant que des questions de défense nationale et de sécurité ; le président de la République n’est pas au-dessus des lois et ne peut avoir raison sur tout ; les juges constitutionnels n’ont pour seule boussole que la Constitution.
Être digne de la confiance des Sénégalais
Même si, pour le moment, personne ne peut prévoir la trajectoire du Sénégal durant le quinquennat du Pastef, le duo Diomaye-Sonko sait qu’il est attendu au tournant et se doit d’être digne de la confiance de ses concitoyens. N’ayant pas le monopole du populisme et du dégagisme, le président sénégalais et son Premier ministre auraient tort de ne pas prévoir la prochaine apparition sur l’échiquier politique national d’un hâbleur, bon chic bon genre, pour chasser sur leur platebande et leur voler la vedette. Les peuples ont la réputé d’être friands des nouveautés.
D’ailleurs, selon la loi de couple, où le succès peut laisser place à l’infortune, la haine succédant à l’amour, ceux qui ont accordé leur confiance aux leaders du Pastef pour un bail temporaire à la tête du Sénégal hésiteront le moins du monde à porter d’autres leaders au pinacle. D’autant que la seule certitude que l’on a en entrant au service de l’État, c’est d’en sortir (Charles de Gaulle). Ainsi de leurs prédécesseurs Abdoulaye Wade et Macky Sall, qui avaient également raflé presque tous les sièges du parlement lors des scrutins législatifs ayant suivi leur élection à la magistrature suprême.
Anticiper le désamour
S’il souhaite que l’inéluctable échéance du désamour arrive le plus tard possible, le tandem Diomaye-Sonko est tenu de satisfaire l’immense attente soulevée par leur élection. Comme on est bien au-delà de la majorité qualifiée des 3/5 qu’espérait obtenir le Pastef pour réaliser les réformes constitutionnelles, les actuels maîtres du pays sont désormais au pied du mur. Ils feraient mieux de donner au plus tôt aux différents ministères les moyens de travailler et de commencer à mettre en œuvre les promesses contenues dans leur plan de développement économique, Sénégal 2050.
Ousmane Sonko et Diomaye Faye ont dorénavant les mains libres pour abroger comme ils l’ont promis, la loi d’amnistie protégeant toutes les personnes – protestataires et forces de l’ordre – impliquées dans les manifestations de 2021 à 2024 durement réprimées. Un texte qui avait été adopté dans les tous derniers jours au pouvoir de l’ex-président Macky Sall, officiellement pour apaiser les tensions politiques dans le pays. Ils sont également très attendus sur leur promesse de reddition des comptes, et notamment de la création d’une Haute cour de justice, seule institution habilitée à poursuivre un ancien chef de l’État. C’est désormais à eux de faire leur preuve.
Adrien Poussou