Bethel Mandekor
La récente annonce du renforcement de la coopération militaire entre la République centrafricaine (RCA) et la Fédération de Russie soulève plusieurs interrogations concernant la souveraineté de ce pays d’Afrique centrale. Analyse de Béthel Mandékor, spécialiste des questions géopolitiques en Afrique et dans le monde.
L’arrivée prévue de 25 000 soldats russes et de matériels de défense de dernière génération[1], notamment des avions de chasse, des hélicoptères, des chars de combat et des systèmes de défense antiaériens, marque une nouvelle étape dans les relations entre Moscou et Bangui.
Une coopération militaire stratégique ou une emprise croissante ?
Depuis plusieurs années, la Russie a intensifié ses engagements militaires en Afrique, et en particulier en RCA, où elle soutient le gouvernement du président Faustin-Archange Touadéra dans sa lutte contre les groupes rebelles. Cette nouvelle dotation en matériel de pointe et le déploiement massif de soldats russes sur le territoire centrafricain témoignent de la volonté de Moscou de consolider son influence dans cette région stratégique, mais interrogent sur la nature véritable de cette coopération : partenariat gagnant-gagnant ou néocolonialisme déguisé ?
Cette annonce intervient lors de la visite officielle à Moscou du président centrafricain, le 15 janvier 2025 pour une durée de trois jours[2]. Lors de ce déplacement, Touadéra et son homologue russe Vladimir Poutine ont signé un accord de coopération qui renforcent les liens militaires et économiques entre leurs deux pays. Toutefois, cette coopération soulève des questions sur les motivations sous-jacentes de Moscou, au vu du nombre de 25 000 soldats russes avancé à l’issue du déplacement, pour une arrivée prochaine en RCA. Pourquoi un tel déploiement militaire dans le pays ?
Ce nombre impressionnant soulève une question fondamentale : la Russie cherche-t-elle vraiment à aider la RCA dans la sécurisation de son territoire, ou est-ce le signe d’une volonté plus profonde d’ancrer son influence dans le pays, voire dans la sous-région ? D’aucuns y verraient une forme de « russification » progressive de la RCA, qui consisterait en une emprise géopolitique allant au-delà de la simple coopération.
Quoiqu’il en soit, en signant cet accord, la RCA semble se tourner résolument vers la Russie, ce qui pourrait entraîner des répercussions sur sa souveraineté et sa position vis-à-vis des autres puissances mondiales et régionales. Car si le partenariat russe répond à un besoin immédiat de sécurité, il peut également signifier une dépendance accrue vis-à-vis de Moscou. L’arrivée de milliers de soldats russes, accompagnée d’une forte présence d’équipements militaires, risque d’éroder l’autonomie décisionnelle de la RCA. Dans quelle mesure la Centrafrique pourrait-elle réellement exercer sa souveraineté si une partie de son armée dépend désormais d’un acteur étranger ?
Des tensions régionales exacerbées ?
Au-delà des relations bilatérales, ce déploiement militaire pourrait également avoir des conséquences sur la stabilité régionale, en exacerbant certaines tensions déjà latentes. Plusieurs pays voisins de la RCA, comme le Tchad, le Cameroun ou encore la République démocratique du Congo (RDC), ont des préoccupations sécuritaires communes et partagent des frontières avec la RCA ; frontières par ailleurs déjà sujettes à l’instabilité. Le renforcement militaire de la RCA pourrait être perçu comme une tentative de domination sur une zone stratégique, et la « russification » de l’influence régionale pourrait également raviver certaines tensions géopolitiques entre voisins.
Alors qu’à première vue, le renforcement militaire russe en RCA s’apparente à un moyen pour le pays de renforcer sa sécurité, cet accord semble comporter des risques, non seulement pour la souveraineté du pays, mais aussi pour la stabilité de la région. À travers ce partenariat, Moscou cherche à s’imposer comme un acteur incontournable sur le continent africain. Un échange de bons procédés, qui semble pourtant renvoyer au « néocolonialisme » tant décrié ces derniers temps dans la région.
La RCA deviendra-t-elle un pion dans le jeu d’influence de la Russie en Afrique, ou parviendra-t-elle à maintenir son indépendance tout en naviguant dans les eaux troubles de cette coopération militaire ?
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[1] Cercle de Réflexion pour l’essor de la Centrafrique | COOPERATION RUSSIE-RCA : BIENTOT LA DOTATION DES MATERIELS DE DEFENSE DE DERNIERE GENERATION ET DEPLOIEMENT DE 25000 MILITAIRES RUSSES | Facebook
[2] Centrafrique : le Président Faustin-Archange Touadéra en visite officielle à Moscou
Eric Topona Mocnga