AES: état des lieux de la situation sécuritaire

Trois ans après le retrait des troupes françaises du Mali (le 15 août 2022) et cinq ans après le premier coup d’État qui a renversé, le 18 août 2020, le président Ibrahim Boubacar Keïta, les récentes arrestations massives de militaires de haut rang renseignent à suffisance sur le bilan que l’on peut rétrospectivement établir de la situation dans le pays. Par ailleurs, cette actualité est symptomatique du fonctionnement des institutions chez les autres membres de l’Alliance des États du Sahel (AES), à savoir le Burkina Faso et au Niger. Éric Topona, journaliste à la rédaction francophone de la Deutsche Welle (DW). 

Les arrestations des militaires maliens ont principalement eu lieu au sein de la Garde nationale, un corps de l’armée malienne auquel appartient le ministre de la Défense, le général Sadio Camara, une des principales figures du régime en place.

Les militaires arrêtés sont accusés d’avoir tenté de renverser la junte au pouvoir, elle-même arrivée aux affaires et qui s’y maintient dans des conditions despotiques qui ont renvoyé aux calendes grecques l’instauration d’un État de droit.

Dans un communiqué, mi-août, les militaires à Bamako se sont pour la première fois exprimés sur la vague d’arrestations d’officiers de l’armée malienne. Ils ont signalé « l’arrestation d’un groupuscule d’éléments marginaux des forces armées de sécurité maliennes » qui cherchait selon elle à « déstabiliser les institutions de la République », avant d’annoncer l’ouverture d’une enquête judiciaire pour identifier d’éventuels complices.

Dans le même communiqué, la junte militaire a aussi révélé l’arrestation d’un Français soupçonné de travailler pour les services de renseignement de son pays. Elle a aussi accusé des « États étrangers » d’être derrière une tentative de déstabilisation, dans un communiqué lu jeudi à la télévision.

Traitement de faveur des mercenaires russes

Interrogé récemment par nos confrères de Jeune Afrique, le sociologue malien Oumar Maïga a affirmé que « cette histoire est la preuve que les militaires ont du mal à maîtriser la situation. Dans les rangs de l’armée, il y a une grogne ». C’est pourquoi, ajoute le chercheur, « des soldats ne sont pas d’accord avec le traitement qui est fait aux mercenaires russes au détriment des militaires maliens ».

Toujours au sujet de ces séries d’arrestations, Ledjely, à Conakry, soutient qu’« à la chape de plomb imposée au pays s’ajoute un malaise grandissant : la différence de traitement entre les mercenaires russes, érigés en partenaires privilégiés, et les militaires maliens, relégués au second plan, alors que ce sont eux qui paient le plus lourd tribut dans la lutte contre le terrorisme ».

Situation sécuritaire volatile dans les autres pays de l’AES

Ce fait d’actualité récent au Mali, qui est loin de connaître son épilogue, est symptomatique du fonctionnement des institutions au Mali, au Burkina Faso et au Niger depuis que ces trois juntes ont vendu à leurs peuples la promesse selon laquelle le départ des militaires français de leurs territoires respectifs était la solution à tous leurs maux.

D’une part, preuve est faite que l’union sacrée autour des juntes au pouvoir ne cesse de se désagréger et, d’autre part, comme dans tous les classiques politiques du genre, la révolution commence à dévorer ses propres enfants et l’implosion est en marche.

 Promesses chimériques

La fermeture des bases militaires françaises, telle que vendue initialement aux peuples de ces États du Sahel, n’était pas seulement arrimée à un enjeu sécuritaire. Elle gravitait autour de trois promesses phares : une accession véritable à la souveraineté jamais acquise depuis la proclamation des indépendances au début des années 1960, la reconquête de l’intégrité territoriale et l’élévation substantielle du standard de vie des populations en raison de la gestion désormais souveraine des ressources nationales.

S’agissant notamment du défi sécuritaire, force est de constater que non seulement il n’a été relevé dans aucun des trois États du Sahel, mais la situation oscille entre le statu quo et la régression.

Au Burkina Faso et au Mali, les juntes ont été frappées au cœur des centres névralgiques de leur pouvoir ; tant et si bien que cette vulnérabilité surprenante a progressivement instillé des doutes dans les troupes et au sein des populations qui ont commencé à questionner la capacité de ces régimes à leur assurer protection et stabilité.

Au Burkina Faso où le jeune capitaine Ibrahim Traoré n’hésite pas à se draper dans le mythe d’un Sankara réincarné, une communication tous azimuts et perverse, faite de contre-vérités entre ce qui se passe réellement sur place et son aura réelle à l’international, masque les réalités dramatiques du terrain où les hommes des forces armées régulières sont tombés, sur les théâtres d’opérations, par centaines depuis sa prise de pouvoir le 30 septembre 2022 suite à un coup d’État.

Toujours fertile en idées inopérantes dans son art de l’esbroufe et de la démagogie, il s’appuie sur les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), une sorte de caricature du concept Armée-Nation créé le 21 janvier 2020 par une loi adoptée par l’Assemblée nationale sous la présidence de Roch Marc Christian Kaboré. Celui-ci a été renversé le 24 janvier 2022 par l’armée.

 À l’épreuve de la réalité

Depuis leur création, les Volontaires pour la défense de la patrie excellent par leur incivisme, d’innombrables actes criminels pour les populations qu’ils terrorisent et qu’ils sont pourtant censés défendre. Par ailleurs, face aux terroristes djihadistes, ils ont enregistré de lourdes pertes en matériels et en hommes qui ont fait le tour des réseaux sociaux.

Au Mali, la situation n’est guère meilleure. Le monde entier a vu défiler en boucle, sur les réseaux sociaux, les troupes de Wagner humiliées, parfois martyrisées, alors que la junte avait vendu aux populations ces hommes de Prigogine, désormais de Poutine, comme le bouclier protecteur de leur souveraineté.

Au Niger, la junte s’illustre davantage dans les médias d’État pour masquer son incurie ou ses échecs. Après avoir réclamé à cor et à cri la fermeture de la base militaire française de Niamey, il ne lui reste plus que le chiffon rouge de l’ennemi invisible pour justifier son incapacité à tenir ses promesses en matière de sécurité. La France est ainsi régulièrement pointée du doigt comme la pourvoyeuse en armes et en renseignements des terroristes.

Boucs émissaires pour masquer les échecs

Il faut pourtant se souvenir que les trois États de l’AES avaient annoncé à grand renfort de propagande la création d’une force commune contre les terroristes djihadistes. À ce jour, les juntes au pouvoir n’ont toujours pas dressé le bilan des actions engagées par cette force commune.

Toujours dans la quête d’un bouc émissaire, les juntes de Bamako, de Niamey et de Ouagadougou ont initié des traques impitoyables contre de supposés ennemis de l’intérieur. Le placement récent en détention, au Mali, de l’ancien Premier ministre Moussa Mara est fort révélateur à cet égard, tout comme l’épée de Damoclès qui pèse depuis quelque temps sur la tête de l’ancien Premier ministre Choguel Kokalla Maïga placé en garde à vue depuis le 12 août au Pôle national économique et financier de Bamako. Elle a été prolongée jusqu’au lundi 18 août. Choguel Kokalla Maïga a été limogé de ses fonctions fin novembre 2024.

Le Burkina Faso n’est pas en reste dans cette chasse à l’homme ; la recrudescence d’enlèvements et les disparitions d’acteurs politiques ou de la société civile, au mépris de toutes les règles qui régissent un État de droit, sont légion.

Dès lors, il est aisément compréhensible que la promesse d’un retour à l’État de droit et les chartes de Transition soient devenues caduques. Car toute perspective d’un retour à l’État de droit induit la nécessité d’une reddition des comptes. C’est sans nul doute la hantise de ces régimes militaires actuels. Or, dans un monde où la verticalité du pouvoir devient l’exception, cette perspective est peut-être lointaine, mais inéluctable.

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