C’est une sortie qui n’a pas fait l’objet d’un traitement médiatique à la hauteur de son importance, au regard des défis sécuritaires d’importance majeure auxquels sont actuellement confrontés les États fondateurs de l’AES, à savoir le Burkina Faso, le Niger et le Mali. Ce dernier plus que les deux autres et d’une ampleur sans précédent depuis la prise de pouvoir par l’actuel régime. Éric Topona, journaliste à la Deutsche Welle
S’exprimant récemment dans le cadre d’une réunion du Conseil de sécurité intitulée : «Consolidation de la paix en Afrique de l’Ouest : relancer la coopération régionale dans la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest et au Sahel », l’ambassadeur Issa Konfourou, représentant permanent du Mali auprès des Nations unies, n’a pas fait mystère de voir l’Afrique de l’Ouest toute entière et, bien au-delà, l’ensemble de la communauté internationale apporter leur concours à l’Alliance des États du Sahel au nom de laquelle il s’exprimait, dans leur lutte commune contre le terrorisme.
Exhortant par ailleurs le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, à proposer des mesures « concrètes, rapides et adaptées » pour venir à bout de cette crise. De ces trois vocables, il transparaît l’urgence et la nécessité de réponses pratiques.
Appel de détresse…
À l’évidence, un tel discours qui résonne comme un appel de détresse était impensable il y a quelques jours. Néanmoins, comme le disait le général de Gaulle : « Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ». Le blocus économique imposé depuis quelque temps aux principales villes du Mali par les terroristes du Jama’at Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin (JNIM), au premier rang desquelles Bamako, privant celles-ci de l’approvisionnement indispensable en carburant, avec la volonté affichée de déstabiliser le Mali, était un défi majeur lancé non seulement au Mali, mais à l’Alliance des États du Sahel dans son ensemble.
… et viabilité de l’AES
L’interrogation qui depuis lors s’exprime de manière lancinante, tant du côté des populations de ces pays que des observateurs internationaux, est celle de la viabilité même de l’AES, dans la mesure où c’est justement pour protéger ses États membres et leurs populations de telles attaques contre leur souveraineté et leur cohésion interne que cette institution sous-régionale a été créée. Depuis l’annonce de la création d’une Force conjointe de l’AES en janvier 2024, on n’a pas noté d’opérations militaires conjointes entre les trois pays par manque de moyens financiers et d’équipements. C’est fort donc de ce constat que l’ambassadeur Issa Konfourou a lancé ce cri de détresse en appelant la communauté internationale à agir.
Certes, depuis quelques jours, dans le cadre d’une mutualisation des forces et des moyens, plus de 80 camions-citernes d’hydrocarbures ont été acheminés vers le Mali afin de protéger ce pays d’une asphyxie économique qui devenait imminente. Au demeurant, cette intervention somme toute ponctuelle, dont l’efficacité ne pourra être évaluée que sur le court et le moyen terme est en réalité salutaire pour le Burkina Faso et le Niger, dans la mesure où une déstabilisation du Mali serait une menace grave pour ces deux pays.
Rapprochement avec la CEDEAO ?
Toutefois, il y a lieu de se demander jusqu’où iront les États de l’AES dans cette démarche qui peut être analysée comme l’amorce d’un rapprochement avec une CEDEAO dont elle a pourtant claqué officiellement la porte, voire avec une Europe dont elle a semblé s’être définitivement éloignée.
Il est indéniable qu’il s’agit là d’une véritable bascule, même si ces États ont compris qu’ils ne doivent pas voir prospérer cette impression auprès de leurs opinions publiques. Il y a néanmoins lieu de relever qu’il s’agissait tout au moins d’un retour au principe de réalité.
Il n’est pas anecdotique de noter que les populations maliennes, qui ont choisi le chemin de l’exil lorsque semblait imminent le déferlement des terroristes du JNIM sur Bamako, se sont massivement dirigées non pas vers le Niger ou le Burkina Faso, mais vers la Côte d’Ivoire, rassurées par la stabilité de ce pays, même si aucun pays d’Afrique de l’Ouest n’est désormais à l’abri des attaques meurtrières du terrorisme islamiste.
Rhétorique complotiste
Le discours de l’ambassadeur Issa Konfourou ne se départit pas néanmoins de la rhétorique complotiste. Il continue d’accuser de tous les maux les pays étrangers, en l’occurrence l’Europe et notamment la France, sans les nommer. Bien plus, il dénonce un complot médiatique contre les pays de l’Alliance des États du Sahel, alors que ces médias étrangers, notamment européens, ne font que rendre fidèlement compte de la réalité du terrain.
Or les autorités de l’AES ne devraient pas perdre de vue que l’on peut casser le thermomètre, mais jamais ça ne fera baisser la température. Par ailleurs, à l’heure de l’omniprésence des réseaux sociaux, les médias des grands groupes d’information mondiaux n’ont plus le monopole de l’information. Même en dépit des restrictions drastiques d’accès à l’information dans ces pays, il existe de nombreux moyens qui permettent aux citoyens de garder une fenêtre ouverte sur le monde.
Et ce d’autant plus que, même depuis l’extrémité du Sahel, théâtre de combats avec les forces régulières de ces États, les terroristes islamistes trouvent le moyen d’investir efficacement les réseaux sociaux.
Réalisme
En définitive, on ne peut que se réjouir de cette ouverture de l’AES au système global de sécurité auquel nul ne peut se soustraire, au regard de l’interdépendance entre les États, au-delà du seul champ sécuritaire. Il est en revanche important pour ces États de l’AES de ramener leurs opinions publiques à la réalité des relations internationales, au lieu de les entretenir dans un esprit de confrontation idéologique permanent avec l’Europe dont le destin et celui de l’Afrique sont géopolitiquement liés, comme l’attestent les attentes du récent sommet Afrique-Europe en Angola qui célèbre les 25 ans d’un indispensable partenariat qui doit être consolidé et, en certains points, repensé.



