Renversé le 30 août dernier, l’ex-chef de l’État a été destitué de la présidence du Parti démocratique gabonais, le 7 mars. Pour Adrien Poussou, si les cadres du parti n’ont pas eu de scrupules à rejeter celui qu’ils ont docilement servi, rien ne les empêchera de récidiver.
Disons les choses clairement : voir des personnalités qui, encore récemment, usaient leur langue à lécher les sandales d’Ali Bongo Ondimba le démettre de sa fonction de président du Parti démocratique gabonais (PDG) créé par son défunt père, Omar Bongo Ondimba, au prétexte qu’il serait subitement devenu radioactif parce que le pouvoir l’a quitté, laisse sans voix.
Pis, que ces mêmes anciens collaborateurs montrent à la face du monde entier qu’ils peuvent allègrement ruser avec leur propre conscience, piétiner les convenances ainsi que le respect – certains diront la vénération – dû aux mères, si cher aux sociétés africaines, en radiant sa génitrice, Patience Dabany, de la formation politique portée sur les fonts baptismaux par l’ex-époux de cette dernière, exhale un parfum de scandale.
On est d’autant plus choqué que quelques semaines auparavant, ceux qui étaient considérés comme des fidèles parmi les fidèles du président déchu l’avaient déjà débarqué de la tête de la Grande Loge du Gabon (GLC) avant le terme de son mandat. Et que ces opérations violentes ne sont pas motivées par l’intérêt général mais relèvent plutôt de desseins peu avouables.
On se demande encore ce qu’a bien pu faire la mère de l’ancien président pour mériter un tel sort. Que l’on ne nous dise pas que c’est l’envie de voir le PDG survivre à la perte du pouvoir qui a commandé ces purges. Car rien, absolument rien, ne justifiait cet empressement des dignitaires de l’ex-parti unique à porter l’estocade finale à un homme à terre, si ce n’est leur volonté de donner des gages au nouveau pouvoir.
Acheter les bonnes grâces d’Oligui Nguema
Rompus aux triviales manœuvres politiciennes, ces anciens membres de l’establishment gabonais, qui croient que leur salut ne peut se trouver ailleurs qu’autour de la mangeoire, projettent de monnayer l’appareil du PDG au nouveau maître détenteur du pouvoir de nomination, parce qu’ils sont pathologiquement convaincus que tout s’achète, y compris l’honneur et la dignité. Leur désir le plus ardent ? C’est d’entrer dans les bonnes grâces du général Brice Clotaire Olingui Nguema.
On attend toujours de voir les anciens collaborateurs d’Ali Bongo Ondimba sacrifier au difficile exercice d’introspection ou se consacrer au nécessaire travail de contrition sans lequel il n’y a point de rédemption. Malheureusement, à notre grand étonnement, ils sont surtout portés sur les prochaines échanges, déterminés qu’ils sont à retrouver les ors de la République d’où ils ont été chassés, le 30 août 2023, par les hommes de Brice Clotaire Oligui Nguema.
De leur balcon, ils observent l’évolution de la société gabonaise sans rien comprendre. Au désir de changement exprimé par la jeunesse, qui réclame un renouvellement du personnel politique, ils opposent le mépris et l’indifférence, seuls comptent leurs besoins immédiats du bas ventre. Or, en voulant imposer, avec une rare arrogance, leur propre agenda aux souhaits légitimes des populations, ils prennent le risque de passer à côté de l’Histoire, et d’être considérés par l’opinion publique gabonaise comme l’incarnation du mal absolu. Déconnectés des réalités du pays, ils peinent à admettre que les petits arrangements politiciens ne font plus recettes, tant s’en faut.
Mais eux sont persuadés du contraire. Ils ont pris le contrôle des instances de l’ancien parti au pouvoir dans les conditions détestables que l’on déplore dans l’objectif de les échanger au moment opportun au nouvel homme fort du pays contre leur retour autour du bifteck républicain. Et pour ne pas que la présence d’Ali Bongo ou de sa mère ne puisse contrarier leur plan, ils n’ont pas hésité à les sacrifier violemment. Cette attitude donne une idée sur ce qu’ils sont réellement.
Recycler les membres de l’appareil ?
En réalité, sauf un séisme d’on ne sait quelle magnitude, le général Brice Clotaire Oligui Nguema ne renoncera pas à la tentation de troquer son treillis de militaire contre le costume trois pièces d’un politicien. Il est presque certain que le chef du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) sera candidat lors de la prochaine élection présidentielle censée restaurer l’ordre constitutionnel. D’autant que les dispositions de l’actuelle charte de la transition lui offrent la possibilité d’être candidat, et qu’il s’est toujours gardé de dévoiler ses véritables intentions. Nous sommes en Afrique, et personne n’est dupe : l’œuvre de restauration des institutions est si exaltante que le chef de la transition ne s’arrêtera pas en si bon chemin. En tout cas c’est ce qu’il dira pour justifier sa candidature. Les différents chantiers de construction des infrastructures essentielles qu’il a lancés sont là pour illustrer cette volonté de continuer.
Dans cette perspective, même si on a coutume de dire que c’est dans les vieilles marmites qu’on fait les meilleures soupes, Brice Clotaire Oligui Nguema aurait tort de recycler les membres de l’appareil du PDG. S’il le fait, il aura non seulement douché l’espérance des populations, mais il aura également trahi ses propres promesses. La République des « nouvelles valeurs » promise à ses concitoyens ne peut s’accommoder d’un personnel politique qui n’a que faire de la loyauté. Si ces cadres du PDG n’ont pas eu le moindre scrupule à renier Ali Bongo qu’ils ont pourtant servi avec servilité, très peu de choses pourraient les empêcher de récidiver.
On nous objectera que le président de la transition aussi comptait parmi les serviteurs zélés de l’ancien président et qu’il n’a pas hésité à le renverser. Nous répondrons ceci : la préservation de l’unité nationale et la sauvegarde des institutions gabonaises sont les raisons fort louables fournies par le général Brice Clotaire Oligui Nguema pour justifier son coup d’État. Mais il reste à prouver si l’exclusion d’Ali Bongo de la tête du PDG procède de la même logique.
*Article publié pour la première fois en ligne, le 14 mars 2024, sur le site internet de Jeune Afrique.