Le chef de la junte militaire approuve le convoyage de nombreux ouvriers burkinabés en Russie pour travailler dans des usines en échange d’un petit salaire et d’un toit. Ce qui rappelle l’époque de la traite négrière, où des bras valides du continent étaient capturés pour aller travailler dans les plantations outre-mer.
« Ce qu’il se passe au Burkina Faso est lamentable, et certains finiront devant la Cour pénale internationale. On ne peut pas massacrer tout un village et stigmatiser toute une ethnie, au risque que cela ressemble à un génocide. Cela doit cesser ». Il ne faudrait surtout pas se méprendre pour penser que ces paroles qui font froid dans le dos seraient prononcées par un opposant burkinabè en exil et en mal de publicité.
Elles émanent d’un chef d’État en fonction, qui connaît le poids des mots et leur importance, qui se garderait bien de mettre à l’index un pays « frère », si la situation dans laquelle le Burkina Faso s’est retrouvé ne lui faisait pas de la peine ou n’était que de simples rumeurs colportées par les ennemis de la junte au pouvoir. Ce sont les propos du chef de l’État bissau-guinéen, Umaro Sissoco Embaló, lors d’une interview en juillet 2023.
Ce dernier, qui est lui-même un officier général, reconnaissait que depuis l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré, les dirigeants du Burkina Faso se sont égarés. Ici, il faisait allusion aux massacres dont sont victimes les peuls, et appelait à protéger les populations civiles des attaques terroristes ainsi que des opérations de représailles menées par l’armée burkinabè et ses supplétifs des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), formés de villageois recrutés par les putschistes pour contribuer à la lutte antiterroriste. Le moins qu’on puisse noter, c’est que ce constat n’a pris aucune ride depuis.
Aucun geste de compassion de la part du chef de la junte
Elle est bien loin l’époque où le Burkina Faso était craint et respecté dans la sous-région. Le « pays des hommes intègres » a perdu de sa superbe. Il ne reste plus rien de l’État, pas même l’élégance du concept ou ses reflets de naguère. Le chef du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR, organe dirigeant de la junte) s’est imposé à ses compatriotes par la force.
Un peu plus deux ans après le coup d’État, il n’évoque même plus l’éventualité de céder le pouvoir aux civils, encore moins la possibilité d’organiser des élections dans un délai raisonnable. Le capitaine putschiste a clairement indiqué que les élections ne sont pas sa priorité. Voilà pourquoi il continue de gérer les « affaires courantes » qu’il devait « expédier » avant de se retirer.
Pire, il s’est découvert une nouvelle passion, celle de persécuter tous ceux qui osent contester ses choix. Ceux-là, qu’on recense parmi les journalistes, les leaders politiques les membres de la société civile, sont désormais visés par une violente campagne (lancée depuis novembre 2023) d’intimidation et d’enrôlement forcé au sein de l’armée et de la milice gouvernementale. Cette campagne, menée dans le cadre de la guerre contre les jihadistes, n’est pas sans rappeler, comme l’a évoqué un éditorialiste réputé, les méthodes de conscription utilisées par l’administration coloniale française pendant le premier conflit mondial.
Les mêmes méthodes que les anciens négriers
On est donc étonné de s’apercevoir que la référence à ce passé douloureux, dont les stigmates traversent encore les sociétés africaines, ait pu ainsi échappé à Ibrahim Traoré, l’homme qui prétend pourtant être un anti-impérialiste fervent. Comme on a du mal à comprendre que ce chantre auto-désigné de la dignité africaine se refuse à publier le bilan des massacres de populations et traîne souvent les pieds pour rendre public des communiqués présentant ses condoléances aux familles éplorées. Rien que pour l’année 2024, on a dénombré une vingtaine d’attaques terroristes et des centaines de morts.
Le 24 août dernier, au moins 133 personnes, dont une grande majorité de civils, étaient tuées dans une attaque terroriste au village de Barsalogho. Ce bain de sang aurait pu être évité si les soldats burkinabés n’avaient pas forcé les villageois à creuser des tranchées pour protéger cette localité abritant une base militaire. Pour couronner le tout, aucun geste de compassion de la part des autorités, aucun message du président de la transition n’est venu marquer la solidarité nationale avec les victimes.
En revanche, quand il y a eu l’attentat terroriste dans la proche banlieue de Moscou, le 22 mars 2024, Ibrahim Traoré s’est empressé de transmettre un message de condoléances à Vladimir Poutine. La vie d’un citoyen russe est-elle supérieure à celle d’un Burkinabè ?
Nous sommes d’autant plus troublés d’apprendre que de nombreux ouvriers burkinabés sont envoyés en Russie pourtravailler dans des usines en échange d’un petit salaire et d’un toit. On nous répondra que ces travailleurs n’ont pas été forcés d’aller travailler en Russie et que ce geste est loin d’être illégal. Seulement, le Burkina Faso fait partie des pays qui prônent un nationalisme africain, et l’arrêt de toute ingérence étrangère dans les affaires africaines.
Force est donc de constater que les autorités autoproclamées acceptent de déporter les hommes valides en Russie pour servir de main d’œuvre à bas coût, comme du temps de l’esclavage et de la traite négrière. Alors que les propagandistes de Vladimir Poutine, dont Ibrahim Traoré se sent proche, nous ont habitués avec des discours présentant la France comme un pays esclavagiste, à la différence de la Russie, qui n’aurait jamais colonisé aucun État africain.
Les faits étant têtus, plutôt que d’aider les burkinabè à développer leur économie et leurs commerces, les Russes lesdétournent, avec la complicité des dirigeants, pour utiliser leurs forces de travail dans les usines implantées en Russie. Preuve est faite que les Russes sont déterminés à s’implanter en Afrique pour pouvoir exploiter les Africains, faire venir chez eux une main d’œuvre moins chère et corvéable à volonté.
Ce qui ne manque pas de confirmer les révélations sur ces nombreux jeunes africains recrutés dans les rangs de l’armée russe sous diverses menaces. Ces jeunes infortunés sont déployés sur le front ukrainien pour servir de chair à canon. On le voit, les Russes ont jeté leur dévolu sur des Africains pour faire face à une pénurie de personnel militaire et à l’enlisement du conflit qu’ils ont déclenché en Ukraine.
Les forces de défense et de sécurité fragilisées
Pourtant, nous pensions avoir fini avec l’époque du « nègre musclé ayant une belle dentition » envoyé de force dans les plantations par-delà les mers. Aujourd’hui, les Russes sont en quête des combattants noirs pour servir de chair à canon et pour travailler comme ouvriers dans leurs usines. Hélas, ils peuvent compter sur le zèle de certains dirigeants à la russophilie assumée.
Et les critères du nouveau négrier peuvent être ainsi résumés : se retrancher derrière un pseudo-nationalisme qui vise à masquer un manque de légitimité, se laisser entraîner dans une crise ouverte avec les partenaires traditionnels, à commencer par la France, présentée comme le mal absolu, et se lier aux mercenaires du groupe paramilitaire russe Wagner plutôt que de privilégier les armées régulières.
Résultat, le chef de la junte burkinabè s’emploie à fragiliser les forces de défense et de sécurité de son pays. Si l’on en croit de nombreuses sources, les gendarmes burkinabè ne reçoivent plus les moyens financiers nécessaires à la lutte contre les groupes armés terroristes. Conséquence, ils ne peuvent plus efficacement assurer la sécurité du pays et lutter contre le terrorisme qui ravage certaines régions. Ils n’ont même plus suffisamment de carburant dans les véhicules pour pouvoir mener à bien leurs missions de terrain.
À cela, il faut ajouter divers autres problèmes, notamment les retards de salaires, la suspension des primes des unités déployées dans les zones les plus à risque, des retards récurrents de relève dans certains endroits, la méfiance du chef de la junte envers la hiérarchie de la gendarmerie et les arrestations de certaines gendarmes.
Yasmina Perrière