Entre l’éventualité d’une disparition soudaine de Paul Biya, le bal des prétendants et les menaces sur la stabilité liées à d’âpres luttes de clans rivaux au sommet de l’État, le pays, déjà au bord du précipice, peut à tout moment basculer dans le chaos.
Alors que les inquiétudes se multiplient quant à l’état de santé du président camerounais, lequel a annulé ses trois derniers engagements internationaux, certains dirigeants politiques des partis satellites du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir) lui ont demandé de briquer un nouveau mandat lors de la présidentielle de 2025.
Le 6 octobre dernier, à l’issue d’une convention qui s’est tenue à Maroua, dans la région de l’Extrême-Nord, les membres du Mouvement démocratique pour la défense de la République (MDR) ont réitéré dans les résolutions finales leur volonté d’« accompagner le président de la République », c’est-à-dire de soutenir la candidature de Paul Biya lors du prochain scrutin présidentiel. Surréaliste.
On aimerait tant se joindre à ces caciques gravitant dans les cercles intimes du pouvoir de Yaoundé, plus préoccupés par leurs privilèges que par l’avenir du pays, pour exécuter à leur côté les ultimes pas de cette danse bachique, mais la santé de Paul Biya incite plutôt à la prudence. À 91 ans, dont plus de 42 au pouvoir, le chef de l’État camerounais, qui est gêné par des ennuis récurrents de santé, dont la gravité relève du secret d’État faute de communication officielle, devait songer à suivre les conseils de ses médecins et s’astreindre à un repos mérité en se retirant dans ses plantations.
Craindre le pire
À l’évidence, son souhait de mourir sur le fauteuil présidentiel, loin d’être un programme politique en faveur des Camerounais, ne peut convenir qu’à ses thuriféraires qui profitent de la déliquescence de l’État, de l’incurie ambiante et du pourrissement de la situation. La question est de savoir si ces personnalités composant l’entourage de Paul Biya, qui se détestent cordialement, qui ne s’entendent sur rien, si ce n’est sur la nécessité de conserver la rente viagère qu’offrent les fonctions étatiques qu’elles occupent vont-elles enfin recouvrir la vue et entendre le chant des cygnes, pour paraphraser ce bref mais célèbre passage de l’Évangile selon Mathieu ?
La vérité, c’est que leurs yeux doivent se dessiller pour s’apercevoir que le Cameroun inquiète tout le monde, y compris ses faux amis de la fameuse communauté internationale, concept ambiguë s’il en est. Qu’il s’agisse de son addiction à la violence contre les corps intermédiaires, avec les assassinats de journalistes ou de syndicalistes. Qu’il s’agisse des revendications de sa partie anglophone qui s’est sentie lésée, victime de la mal gouvernance, du chômage, peu représentée politiquement et qui à travers des mouvements sécessionnistes, mène une guerre sans merci contre le pouvoir central depuis de nombreuses années. Qu’il s’agisse des menaces de la secte Boko Haram ou de l’instabilité chronique de son voisin centrafricain, dont les populations fuyant les affrontements grossissent le nombre de réfugiés et des déplacés internes. Toutes ces problématiques font craindre le pire.
Et ce n’est nullement un hasard si certains leaders de l’opposition ainsi que des membres de la diaspora camerounaise se mobilisent pour exiger la transparence complète sur la situation sanitaire de leur président. Car le pays a besoin d’un dirigeant à plein temps ayant la possession de l’ensemble de ses moyens physiques et psychologiques pour s’occuper des affaires de l’État. Pas d’un leader fantôme dont les apparitions publiques confinent à un exploit.
Un dialogue inclusif pour éviter un schéma de succession obscur
Il est impératif et urgent de clarifier la question de la succession de Paul Biya par l’ouverture d’un dialogue inclusif et sincère entre toutes les forces vives du pays afin d’éviter un grand saut dans l’inconnu, consécutif à l’inéluctable guerre de clan qui suivra une disparition subite de l’actuel président, et qui va créer des fissures profondes au sein de l’appareil de l’État. Bien que la Constitution dispose qu’en cas de vacance de la présidence de la République, l’intérim soit exercé de plein droit, « jusqu’à l’élection du nouveau président de la République par le président du Sénat », il faut craindre que ce dernier, également de santé fragile, soit écarté sans ménagement par ceux qui détiennent la réalité du pouvoir au profit d’un autre schéma obscur.
Surtout dans ce pays, où l’absence de l’État depuis de nombreuses années a favorisé l’émergence des forces occultes et la montée en puissance de l’Armée, le seul corps organisé en présence. Il n’est pas exclu qu’un quarteron de colonels soit tenté de suivre l’exemple des Tchadiens en confisquant le pouvoir. Or, l’unique modèle successoral susceptible de garantir la paix et la stabilité politique au Cameroun est celui qui aura l’adhésion de l’ensemble des Camerounais. Il ne fait donc l’ombre d’aucun doute que les leçons du passé et surtout les affres de la crise socio-politique actuelle militent en faveur d’une solution consensuelle, avant qu’il ne soit trop tard.
La classe politique camerounaise gagnerait à préparer le pays dans la douceur pour affronter les changements qui se profilent à l’horizon et à en fixer les modalités. Même si les populations aspirent vivre dans un pays stable, l’absence de consensus sur la question de la succession du président Paul Biya ouvrira la boite de Pandore.
Adrien Poussou