Le clergé catholique camerounais semble bien décider à s’opposer à une nouvelle candidature de l’actuel chef de l’État. Ce qui est loin de plaire aux tenants du pouvoir, qui brandissent les menaces de poursuites judiciaires. À moins d’un an de la prochaine élection présidentielle, chaque camp affûte ses armes et comptent ses troupes. Qui remportera cette bataille rangée ?
« Quand on vous traduira devant les gens des synagogues, les magistrats et les autorités, ne vous inquiétez pas de la façon dont vous vous défendrez, ni de ce que vous direz. Car l’Esprit Saint vous enseignera à cette heure heure-là ce qu’il faudra dire. » Cet extrait tiré de l’Évangile selon saint Luc est sûrement approprié pour décrire l’attitude des prélats camerounais de ces derniers temps. Tout indique que les prêtres du Cameroun sont déterminés à prendre toute leur part dans les événements politiques à venir, si ce n’est une réelle volonté de provoquer une alternance au pouvoir.
En tout cas, ils n’ont pas manqué de cloué au pilori le régime de Paul Biya, sans se soucier de la réaction de ses tenants. Et quand on sait que par le passé, d’autres prélats auxquels le régime reprochait une certaine liberté de ton, tels que Benoît Balla, Joseph Mbassi, Engelbert Mveng, Apollinaire Clément Fopa et Yves Leroy ont soit disparu ou assassiné, les dernières homélies des ecclésiastiques confinent à la témérité.
D’autant que le ministre de l’Administration territoriale Paul Atanga Nji et le secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh, sont vent debout contre les prélats appelant de leurs vœux à un changement de régime, et comptent bien les poursuivre devant les tribunaux du pays.
« Laisser la place à quelqu’un d’autre »
Pour être en conformité avec un autre extrait des Évangiles, qui commande aux prophètes et autres ministres de Dieu de dire la vérité aux rois, les évêques camerounais ont enfoncé le clou lors de la 48e Conférence épiscopale nationale du Cameroun (Cenc), qui se tient en ce moment dans la ville de Buea jusqu’au 11 janvier 2025. Ils ont dénoncé « les dérives des élites et l’échec d’un système incapable d’offrir aux jeunes un avenir digne, juste et équitable ».
Faut-il le rappeler, peu avant l’ouverture de cette plénière, certains prélats ne sont pas allés d’une main morte pour critiquer le régime de Yaoundé. Ainsi, Mgr Samuel Kleda, archevêque de Douala, a jugé « irréaliste » une nouvelle candidature de Paul Biya. « Nous sommes des êtres humains. À un moment donné, nous quittons ce monde, nous ne pouvons pas faire des miracles ».
Le 1er janvier 2025, lors de son homélie, Mgr Yaouda Hourgo, évêque du diocèse de Yagoua a tranché, cinglant : « On ne va pas souffrir plus que ça encore. On a déjà souffert. Le pire ne viendra pas ! Même le diable, qu’il prenne d’abord le pouvoir, et on verra après ».
Sans doute pour préciser sa pensée, celui-ci a-t-il estimé quelques après sur un plateau de télévision qu’il est impossible de confier une « houe ou la machette » à « un grand-père de 92 ans pour qu’il aille à pied travailler au champ ». Cela a au moins le mérite de la clarté.
Cinq jours plus tard, c’est-à-dire le 5 janvier, le Père Albert Legrand, curé de la paroisse Saint Mathias de Foto, dans l’ouest du Cameroun a été catégorique, demandant aux uns et aux autres de penser à l’alternance au pouvoir. « À un moment donné, il faut laisser la place à quelqu’un d’autre », a-t-il martelé.
Les sorties virulentes de ces prélats semblent clairement être une réponse au comportement de certains membres de la majorité présidentielle, qui ne cessent de pousser le président Paul Biya à briguer un nouveau mandat lors de la prochaine élection présidentielle prévue pour le mois d’octobre 2025.
L’on se souvient que le 6 octobre dernier, alors que l’on s’inquiétait de l’état de santé du chef de l’État camerounais, qui avait annulé trois engagements internationaux, certains dirigeants politiques des partis satellites du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir) avaient réitéré leur volonté de soutenir sa prochaine candidature.
Ce qui avait fait dire à de nombreux observateurs que le souhait de Paul Biya de mourir sur le fauteuil présidentiel ne convient qu’à ses thuriféraires, qui profitent de la déliquescence de l’État, de l’incurie ambiante et du pourrissement de la situation.
Sinon, les ennuis récurrents de santé du président camerounais, dont la gravité relève du secret d’État faute de communication officielle, devaient les inciter à plus de réalisme. Mais c’est compter sans la voracité des personnalités composant l’entourage de Paul Biya, qui se détestent cordialement, et qui ne s’entendent sur rien, si ce n’est sur la nécessité de conserver la rente viagère qu’offrent les fonctions étatiques qu’elles occupent.
La Cenc dans les pas de la Cenco ?
Il ne fait l’ombre d’aucun doute que les relations n’ont jamais été bonnes entre les prélats catholiques et certains États africains. On se souvient qu’au début des années 1970, une bataille rangée avait opposé le clergé catholique au maréchal Mobutu Sese Seko, qui avait imposé aux Zaïrois (Congolais démocratiques) l’abandon des prénoms et noms étrangers en vue d’adopter des patronymes bien africains.
La résistance de l’église catholique à cette politique du « recours à l’authenticité » avait provoqué l’ire du défunt maréchal du Zaïre, le poussant à prendre une série de mesures radicales : « confiscation du patrimoine de l’église, nationalisation des écoles catholiques et de l’université Lovanium (actuelle Université de Kinshasa), interdiction d’enseigner la religion, installation de comités du parti unique dans les grands et petits séminaires ». La tension était telle que le cardinal Malula avait dû s’exiler à Rome en 1972.
Plus proche de nous, les évêques membres de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) sont opposés à toute tentative de « tripatouillage » de la Constitution du 18 février 2006, après avoir douté de la sincérité des résultats de la présidentielle de 2018, officiellement remportée par Félix Tshisekedi.
On ne peut s’empêcher de se demander si les prélats camerounais vont suivre l’exemple de leurs frères de la République démocratique du Congo. Rien n’est moins sûr que les prêtres du Cameroun iront jusqu’à demander aux chrétiens catholiques de s’opposer à une nouvelle candidature de Paul Biya. Toutefois, la guerre est désormais déclarée entre ces ecclésiastiques et les tenants du régime de Yaoundé, qui sont convaincus que la Conférence épiscopale nationale ne serait nullement dans son rôle en appelant à une alternance au pouvoir.