Au Cameroun, la prochaine présidentielle suscite doutes et espoirs

Le 13 juillet dernier, le président camerounais Paul Biya a mis fin au suspens en officialisant sa candidature à un nouveau mandat. Toutefois, entre la désunion des principaux lieutenants du président sortant, qui peinent à afficher une ligne de communication commune, la démission du gouvernement de ses anciens alliés du Nord, et la détermination de ses opposants à lui ravir le fauteuil présidentiel, tout indique que la prochaine élection présidentielle pourrait déboucher sur une crise majeure dans le pays. Cette perspective inquiète Éric Topona Mocnga, journaliste à la rédaction francophone de la Deutsche Welle, à Bonn (Allemagne).

 

Les Camerounais, comme les Ivoiriens, sont appelés aux urnes en octobre prochain pour désigner leur président de la République. Le Cameroun et la Côte d’Ivoire, deux pays phares de l’Afrique francophones, par un hasard des calendriers électoraux, auront à faire des choix historiques et décisifs pour les prochaines décennies. 

Si en Côte d’Ivoire, on continue de s’interroger sur le degré d’inclusion de la prochaine élection présidentielle en raison de l’absence sur la liste électorale nationale des principaux ténors de l’opposition: Tidjane Thiam, Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé et Guillaume Soro,  au Cameroun, les attentes sont similaires mais bien plus grandes.

Paul Biya, un chef omnipotent

Depuis son accession à l’indépendance le 1er janvier 1960, le Cameroun n’a connu que deux présidents de la République et une seule alternance au sommet de l’État. À savoir Ahmadou Ahidjo en 1960, puis Paul Biya son successeur constitutionnel qui accède aux affaires le 6 novembre 1982, suite à la démission de son prédécesseur.

Depuis 43 ans, la vie politique au Cameroun s’ordonne autour de la personne de Paul Biya. Aujourd’hui âgé de 92 ans, dont 43 à la tête de son pays,  tous les observateurs s’accordent à reconnaître que tout au long de son parcours politique, Paul Biya a eu mille vies et autant de résurrections. Il est à ce jour, après son homologue Teodoro Obiang Nguema Mbasogo de Guinée équatoriale, le chef de l’État qui revendique le plus grand record de longévité au pouvoir et incontestablement le plus âgé.

Depuis son retour au Cameroun en 1963 après des études supérieures en France, ce fils de catéchiste qui aurait fait carrière dans les ordres religieux a intégré la plus haute administration dans les services de la présidence de la République camerounaise, pour gravir toutes les marches du pouvoir, sans un seul jour d’interruption, jusqu’à la magistrature suprême.

Lorsque Ahmadou Ahidjo, à la surprise générale, annonce aux Camerounais sa démission, il recommande vivement à ses concitoyens, notamment ses collaborateurs, de faire allégeance à son successeur. Si cette alternance au sommet de l’Etat fut saluée en son temps comme un modèle du genre, à l’instar de la passation des pouvoirs au Sénégal entre Léopold Sédar Senghor et son Premier Ministre Abdou Diouf, le Cameroun basculera deux années plus tard dans une zone de fortes turbulences.

En 1984 (dans la nuit du 5 au 6 avril), une tentative de coup d’État qui manqua de peu de renverser Paul Biya fut violemment réprimée. Et depuis lors, on pourrait dire sans verser dans la caricature que Paul Biya a inscrit au premier rang de ses priorités, la sécurisation et la perpétuation de son pouvoir.

Si à l’instar de nombreux chefs d’État africains des régimes à parti unique, le Cameroun a connu de fortes secousses socio-politiques à l’occasion des processus démocratiques des années 90, dont le point culminant fut l’élection présidentielle de 1992, lors de laquelle il faillit de très peu être défait par l’opposant Ni John Fru Ndi, Paul Biya a depuis lors verrouillé son pouvoir au point de rendre quasiment impossible toute alternance politique par les urnes.

Les scrutins présidentiels et législatifs qui ont suivi cette période, n’ont guère été que de simples formalismes démocratiques, sans grands enjeux. Mais en 2025, la conjoncture historique est bien différente, et Paul Biya du moment n’est plus le fringant président des années 90 ou du début des années 2000. 

Un président affaibli et en retrait

Depuis l’élection présidentielle de 2018, à l’issue de laquelle il a été réélu face à l’opposant Maurice Kamto, son principal adversaire du moment, les Camerounais découvrent au fil des ans un chef de l’État de plus en plus affaibli et en retrait. 

À peine réélu, Paul Biya signe un décret de « délégation de signature » qui confère à l’actuel Secrétaire général de la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh, des pouvoirs exorbitants, à telle enseigne que ses détracteurs le considèrent comme le chef de l’Etat véritable. 

Des situations d’une extrême gravité telles que les détournements massifs de fonds publics lors de la dernière coupe d’Afrique des Nations organisée au Cameroun (du 9 janvier au 6 février 2022), le détournement des fonds alloués à la lutte contre la pandémie de la Covid-19, ou l’assassinat du journaliste Martinez Zogo dans des conditions crapuleuses, n’ont toujours pas donné lieu aux sanctions judiciaires appropriées.

Si l’adversité à Paul Biya s’est davantage exprimée dans les rangs de certains partis politiques d’opposition, le doute et la perplexité ont gagné les rangs du parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC). Des voix se font entendre pour dénoncer une gouvernance par procuration, au service de clans familiaux qui ont pris en otage le Cameroun et le président de la République.

Le coup de tonnerre suscité par la démission récente de personnalités politiques de poids issu du septentrion du pays ne font que donner du crédit à ceux qui estiment qu’il n’y a plus de capitaine à bord du navire Cameroun et que le parti au pouvoir, le RDPC, qui bâti son existence autour d’un seul homme, ne sera plus la machine de guerre tant redoutée lors de la prochaine élection présidentielle.

En effet, en prévision de la présidentielle du 12 octobre 2025, deux personnalités politiques alliées du pouvoir ont quitté le gouvernement: Issa Tchiroma Bakary, ministre chargé de l’Emploi et de la Formation professionnelle et président du Front pour le salut national du Cameroun (FSNC) et le ministre d’État, ministre du Tourisme et des Loisirs, Bello Bouba Maïgari, qui fut Premier ministre et dirigeant de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP). Ces deux alliés du président Paul Biya ont annoncé dans la foulée leur candidature au scrutin d’octobre, rebattant ainsi les cartes.

C’est dans ce contexte que le président Paul Biya a annoncé le dimanche 13 juillet 2025 sa huitième candidature à l’élection présidentielle du 12 octobre dans son pays. Pourtant, le débat politique reste dominé par la possibilité d’un retrait de Paul Biya de la vie politique, donc de l’impossibilité de sa candidature. Ce n’est malheureusement pas le cas.

 

  • Related Posts

    Note de lecture : « L’Afrique contre la Démocratie, Mythes, Déni et Péril »

    Ces temps derniers, certains, notamment au sein des juntes militaires de l’Alliance des États du Sahel (AES) et au-delà, tentent d’expliquer avec force conviction que la démocratie ne serait que…

    Lire Plus
    En Centrafrique, le report des élections de décembre 2025 devient inéluctable

    Malgré l’adoption d’une Constitution controversée en 2023, laquelle était censée lui permettre de briguer un troisième mandat, le président centrafricain semble être le prisonnier d’un texte confus. Pour Adrien Poussou,…

    Lire Plus