Au Cameroun, Paul Biya est réélu, et après?

Âgé de 92 ans, dont 43 ans passés à la tête de son pays, le président sortant, Paul Biya, a été sans surprise réélu pour un huitième mandat de sept ans à l’issue de la présidentielle du 12 octobre 2025. Selon le Conseil constitutionnel, il a recueilli 53,66% des suffrages. Le candidat Issa Tchiroma Bakary arrive deuxième avec 35,19% des voix. Celui-ci conteste et revendique sa victoire. Analyse d’Éric Topona Mocnga, journaliste à la Deutsche Welle, à Bonn (Allemagne).
« Biya doit accepter de partir avant qu’il ne soit trop tard ».C’est dans le journal français Libération que s’exprime ainsi Issa Tchiroma Bakary, le 27 octobre 2025, peu avant la proclamation des résultats de l’élection présidentielle par le Conseil constitutionnel qui a eu lieu deux semaines plus tôt.
L’opposant et challenger de Paul Biya, est arrivé selon le Conseil constitutionnel en deuxième position avec 35,19% des suffrages exprimés, contre 53,66% pour le candidat sortant Paul Biya. Le Chef de l’État actuel, âgé de 92 ans, au pouvoir depuis le 6 novembre 1982, rempile donc pour un huitième mandat de 7 ans.
Appel à manifester en faveur de la vérité des urnes…
Mais les choses ne s’annoncent pas aussi radieuses que l’aurait souhaité tout candidat à une élection à la magistrature suprême de son pays. En effet, sans attendre la proclamation des résultats officiels et définitifs par le Conseil Constitutionnel, Issa Tchiroma Bakary a lancé à l’endroit de ses partisans un mot d’ordre pour manifester sur toute l’étendue du territoire national, le 26 octobre, en signe de contestation du résultat d’une élection qu’il estimait connu d’avance.
Au cours de ces manifestations qui se sont déroulées dans plusieurs villes du Cameroun, notamment dans les provinces du septentrion (Extrême-Nord, Nord, Adamaoua), l’Ouest, le Littoral et dans certains quartiers de la capitale politique, Yaoundé, 4 personnes ont été tués dans la ville de Douala, la capitale économique, selon un communiqué du gouverneur de la province du Littoral.
...et zone de turbulence
Ce qu’il faut d’ores et déjà relever pour s’en inquiéter, avec la crise postélectorale qui se dessine, le Cameroun pourrait rentrer dans une zone de turbulences violentes dont nul, à ce stade, ne pourrait présager de l’issue. Le 13 octobre 2025, le lendemain du scrutin, Issa Tchiroma Bakary a revendiqué une « victoire claire » face à Paul Biya.
Quelques jours plus tard, sur sa page Facebook, le candidatFront pour le salut national du Cameroun (FSNC), sur la base de procès-verbaux des bureaux de vote qu’il estime en sa possession, a publié jour après jour ses propres tendances. Elles sont construites selon lui à partir de « procès-verbaux » issus de la vérité sortie des urnes.
En réponse à son initiative, le gouvernement camerounais, par la voix de son Ministre de l’Administration Territoriale Paul Atanga Nji, s’est fendu d’un communiqué virulent qui voyait dans ces publications un acte insurrectionnel auquel il a promis une réponse ferme du gouvernement camerounais.
La crispation du climat politique s’est accentuée depuis 72h avec l’arrestation de soutiens proches du candidat Issa Tchiroma Bakary : le professeur d’université Abah Oyono, Anicet Ekane et Djeukam Tchameni de l’Union pour le Changement (UPC) qui ont soutenu sa candidature aux premières heures de la campagne électorale après le rejet de celle de Maurice Kamto.
Tensions dans quelques villes après la proclamation des résultats
Depuis la proclamation officielle des résultats, des manifestations ont repris de plus belle dans plusieurs villes du Cameroun. Certains manifestants auraient été tués à balles réelles par des éléments des forces de l’ordre. Des informations font par ailleurs état de l’incendie de bâtiments publics.
Longtemps réputé comme un havre de paix sociale et de stabilité politique dans une Afrique en proie à de constantes convulsions sociopolitiques, la question fort inquiètante que l’on est en droit de se poser dès aujourd’hui est celle de savoir où va le Cameroun?
Absence d’alternance au sommet de l’État
Depuis son accession à l’indépendance le 1er janvier 1960, le Cameroun n’a connu que deux chefs d’Etat ; Ahmadou Ahidjo de 1960 à 1982, puis Paul Biya, son successeur constitutionnel de 1982 à nos jours.
Aujourd’hui âgé de 92 ans, affaibli par le poids de l’âge et la maladie, certains Camerounais estiment que ce n’est plus Paul Biya qui tient les rênes du pouvoir. Mais un clan constitué de ses plus proches collaborateurs et de son épouse Chantal Biya, lesquels gouverneraient SUR « hautes instructions », en référence à une délégation de pouvoirs accordée par Paul Biya au Secrétaire général de la présidence de la République Ferdinand Ngoh Ngoh, à l’entame de son septième mandat en 2018.
C’est d’ailleurs la principale raison évoquée par Issa Tchiroma Bakary pour démissionner du gouvernement le 24 juin 2025 pour se porter candidat à la présidence de la République.
Lutte de clans
Cette captation de la fonction présidentielle et de ses attributs est également critiquée en sourdine, et parfois ostensiblement, par certains proches du régime. Depuis que l’imminence d’une succession à la tête de l’Etat n’est plus un secret de polichinelle, une féroce lutte de clans s’est faite jour au sein même du régime, laquelle n’est pas sans rapport avec la bataille post électorale qui s’amorce entre Paul Biya et Issa Tchiroma Bakary.
Dans sa toute première déclaration de victoire, Issa Tchiroma Bakary dit avoir reçu des « félicitations » de hauts gradés de l’armée et de certains membres de l’actuel gouvernement auquel il a appartenu durant un peu plus de 30 ans sur la base d’un accord politique avec Paul Biya et son parti, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC).
« Cameroun : mieux vaut prévenir que guérir », c’est le titre d’une note de l’International Crisis Group publiée en 2014. Le think tank, dans cette note qui est en réalité une alerte, présageait de graves troubles au Cameroun si des dispositions n’étaient pas prises par la communauté internationale pour désamorcer des guerres de succession qui ne manqueraient pas de survenir au fur et à mesure que Paul Biya se rapprocherait de la sortie.
Rétrospectivement, on pourrait dire que nous n’en sommes plus éloignés. Les regards sont maintenant tournés vers la communauté internationale, notamment ceux des partenaires du Cameroun ou des acteurs qui peuvent peser d’un poids réel afin que ce pays ne bascule dans l’irréparable.
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