Au Mali, le JNIM dicte sa loi

Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), affilié à Al-Qaïda, multiplie les actes de défiance envers les autorités de Bamako. Après le blocus imposé à plusieurs villes du pays, puis les attaques des convois des camions-citernes de carburant, le groupe djihadiste est passé à un autre palier. Il a émis​ récemment des règles pour les voyageurs au Mali​ et exige désormais le port du voile pour les femmes et la séparation avec les hommes ; dans les transports urbains notamment, selon une vidéo qui fait florès. Ce dernier épisode vient renforcer l’emprise du groupe djihadiste dans le pays. Éric Topona Mocnga, journaliste à la Deutsche Welle, à Bonn (Allemagne).

C’est un nouveau palier qui a été franchi au Mali au mois de septembre dans le conflit armé qui oppose ​le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), affilié à Al-Qaïda, au pouvoir central de Bamako. En effet, réagissant à la décision des autorités ​militaires maliennes de ne plus vendre du carburant hors stations-service en zones rurales, les terroristes djihadistes ont tout simplement pris la décision de perturber gravement l’approvisionnement des principales villes du pays en produits pétroliers, notamment ceux en provenance de Côte d’Ivoire et du Sénégal.

Incendiant, depuis lors, des ​camions-citernes de carburant, ils ne s’attaquent pas seulement aux biens, mais aussi aux personnes. Des militaires et des convoyeurs ont été assassinés, certains ont été pris en otages, y compris certains officiels. Comme pour faire étalage de leur montée en puissance, les djihadistes du JNIM s’empressent de publier sur les réseaux sociaux leurs faits d’armes, accentuant ainsi leur stratégie savamment pensée qui consiste à terroriser la population et à discréditer le pouvoir de Bamako.

Mise sur pied d’une administration parallèle

Après avoir détruit à nouveau des camions-citernes, le 17 octobre 2025, les fantassins du JNIM se sont désormais donné comme objectif de mettre sur pied une administration parallèle. Ainsi exigent-ils désormais que toutes les femmes qui emprunteront des moyens de transport de passage dans leurs zones d’influence arborent un voile conformément aux principes du rigorisme salafiste. Une décision à laquelle les concernées ont accepté de se conformer.​ Avaient-elles le choix ?

Bien plus, la compagnie de voyage Diarra Transport, « sous sanctions » du JNIM depuis quelque temps, verra son interdiction levée le jeudi 23 octobre​ 2025 sur les axes routiers contrôlés par le ​g​roupe djihadiste après avoir fait amende honorable.

Stratégie du chaos

 Cette nouvelle donne dramatique sur le terrain des opérations suscite réflexions, interrogations et inquiétudes. La bataille pour le contrôle des voies d’acheminement des produits pétroliers est grosse de dangers pour l’avenir et l’issue de ce conflit. On peut dire sans exagération aucune que les produits pétroliers sont le « nerf de la guerre », voire le nerf de toute guerre. Ils sont à une armée ce que l’oxygène est à la vie humaine.

Il faut se souvenir, que durant la Seconde Guerre mondiale, le contrôle de cette matière première stratégique fut déterminant pour l’issue du conflit. Le Troisième Reich fit feu de tout bois pour le contrôle du pétrole roumain ou du Caucase. Dans ce dernier exemple, ce fut l’une ​des raisons stratégiques majeures à l’origine de ​l’opération Barbarossa​ (qui a duré de juin 1941 à janvier- février 1942​) et signa l’effondrement du régime hitlérien. Il est évident que, dans l’esprit du JNIM, il s’agit non seulement de s’approvisionner en produits pétroliers, mais aussi de susciter des pénuries qui pourraient engendrer des grognes au sein de la population et provoquer l’effondrement du régime.

En imposant désormais leurs lois obscurantistes aux femmes, leur objectif est d’administrer la preuve de l’incapacité de l’État à remplir ses missions régaliennes, en dépit des messages de ses dirigeants qui se veulent rassurants et de leurs appels à la « résilience ».

Or, il est loisible de constater que les populations maliennes ont fait jusqu’à présent preuve d’une résilience extraordinaire. Au regard des derniers événements, on peut légitimement affirmer sans céder au catastrophisme que la cote d’alerte est atteinte. Il faut toujours avoir à l’esprit que le pouvoir en place à Bamako tient sa légitimité originelle de sa promesse faite au peuple malien de reconquérir l’intégrité territoriale du pays et de mettre les populations à l’abri de la peur.

​Jamais par le passé, notamment depuis la tentative de déferlement des djihadistes sur Bamako​ en 2013, stoppés net par l’armée française​ (dans le cadre de l’opération Serval lancée en janvier 2013​), sous la présidence de François Hollande, l’État malien n’avait autant vacillé sur ses fondements régaliens.

​Et les mercenaires russes de l’Africa Corps​ ?

C’est à se demander quelle est l’efficacité opérationnelle des mercenaires russes au Mali. Il y a lieu de souligner que ce regain de puissance pour le JNIM intervient dans un contexte où l’union sacrée originelle au sein des ​Forces armées maliennes (FAMa) ne cesse de se détériorer. L’arrestation, la mise en détention et la radiation récente de hauts gradés sont encore présentes dans les esprits. Cet épisode que certains considèrent comme une purge a assurément eu un impact sur le moral des troupes, et ce d’autant plus que certains de ces hauts dignitaires de l’armée jouissaient d’une incontestable popularité dans la troupe.

Par ailleurs, et c’est le moins que l’on puisse dire, la collaboration avec les mercenaires de l’Africa Corps, l’ancien groupe Wagner, ne cesse de se détériorer. Un rapport d’octobre 2025 du GITOC (Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée) est assez éloquent à ce sujet. Il relève non seulement des atteintes graves aux droits humains commises par des mercenaires russes, leur manque d’estime pour la FAMa, l’utilisation ou le vol du matériel de guerre de ces derniers. Selon ce rapport, les mercenaires de l’Africa Corps, payés 10 millions de dollars par mois, sont arrivés au Mali bien moins équipés que les discours officiels le laissaient initialement croire.

Les semaines à venir pourraient s’avérer décisives. Sans céder à un catastrophisme hors de propos, il faut espérer que le Mali ne basculera pas dans une situation de non-retour comme celle à laquelle le monde a assisté,​ impuissant, au moment du débarquement des talibans à Kaboul, le 15 août 2021​. Il y a tout juste quatre ans.

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