
Une enquête explosive de Jeune Afrique détaille les massacres commis par les mercenaires russes de Wagner contre les populations civiles dans les régions du centre et du nord du Mali. Ces crimes, exhibés par leurs auteurs sur la messagerie Telegram, questionnent le silence de la Cour pénale internationale.
Le sable ocre du Sahel malien, déjà gorgé de sang et de larmes, s’est trouvé une nouvelle couleur : celle de l’horreur méthodique, orchestrée avec une froideur clinique par les mercenaires russes du groupe Wagner. Une enquête explosive de nos confrères de Jeune Afrique, publiée le 24 juin 2025 sous le titre glaçant « La chambre rouge de Wagner : un « Netflix de l’horreur » et des abonnés aux crimes de guerre », vient jeter une lumière crue sur l’indicible.
Pendant des mois, les journalistes de l’hebdomadaire panafricain ont infiltré une chaîne Telegram privée, un cloaque numérique où les « Oncles blancs » – surnom cynique que se donnent ces mercenaires – exhibent leurs exactions comme des trophées macabres. Têtes coupées brandies avec fierté, corps dénudés torturés dans le désert, exécutions sommaires filmées pour un public payant à tendance néonazie. Voilà le quotidien que documentent ces bourreaux, non pas en cachette, mais avec une ostentation qui défie l’entendement.
Les images décrites par le magazine ne sont pas seulement choquantes ; elles sont une insulte à l’humanité elle-même. Une mère et ses deux enfants pendus à un arbre, six têtes empalées sur les branches d’un acacia, un homme agonisant, l’oreille tranchée, un drapeau russe planté dans ses parties intimes : ces scènes, soigneusement mises en scène, ne sont pas de simples accidents mais constituent des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, commis avec une brutalité qui dépasse l’imagination. Les mercenaires de Wagner, déployés au Mali depuis fin 2021 pour soutenir la junte militaire d’Assimi Goïta, ne se contentent pas de tuer, ils profanent, humilient, et diffusent leur barbarie sur Telegram, où des abonnés, tels des spectateurs à l’esprit tordu applaudissent avec des smileys et des commentaires enthousiastes.
Mais au-delà de l’horreur de ces révélations, une question brûle les lèvres, aussi lancinante qu’insupportable : où est passée la Cour pénale internationale (CPI) ? Depuis près de cinq ans, la junte militaire dirigée par le général Assimi Goïta, arrivée au pouvoir par deux coups d’État en 2020 et 2021, a scellé un pacte funeste avec Wagner. Depuis cinq ans, les rapports s’accumulent – ceux de Human Rights Watch, de l’ONU, de Forbidden Stories, et maintenant de Jeune Afrique – dénonçant des atrocités systématiques contre les civils maliens : exécutions sommaires, tortures, disparitions forcées, massacres de masse comme celui de Moura en mars 2022, où plus de 500 personnes ont été tuées en cinq jours. Pourtant, la CPI, cette institution censée incarner la justice internationale, reste étrangement silencieuse. Ce silence, à la lumière des preuves accablantes, n’est-il pas une forme de complicité ?
Une litanie de crimes dans l’indifférence de la CPI
Depuis l’arrivée de Wagner au Mali, à la suite de la rupture avec la France et le retrait de l’opération Barkhane, pas un mois ne passe sans qu’une nouvelle horreur ne soit portée à la connaissance du public. En février 2025, près de Tessalit, 28 civils, dont des femmes et des enfants, ont été massacrés par des mercenaires russes et leurs alliés de l’armée malienne. À Sebabougou, en avril 2025, des dizaines de corps en décomposition ont été retrouvés près d’un camp militaire, des victimes présumées torturées et exécutées par Wagner et les forces maliennes. À Gao, des véhicules transportant des migrants vers l’Algérie ont été mitraillés, laissant au moins 20 morts, selon des sources locales.
Ces actes ne sont pas des « bavures » isolées. Ils s’inscrivent dans une stratégie systématique de terreur, où les civils, souvent des Peuls ou des Touaregs, sont ciblés sous prétexte de lutte contre le jihadisme. Les mercenaires russes, avec la bénédiction implicite de la junte, opèrent dans un climat d’impunité totale. Les autorités maliennes, loin de reconnaître leur présence, persistent à parler d’« instructeurs russes », une fable que plus personne ne croit.
Face à cette litanie de crimes, la CPI, créée pour juger les responsables de génocides, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, semble frappée d’une paralysie inexplicable. Selon nos informations, des experts de l’université de Berkeley ont transmis à cette juridiction internationale un rapport détaillant les exactions de Wagner, y compris des actes assimilables à du cannibalisme diffusés sur Telegram. Des vidéos, des photos – 322 vidéos et 647 photos répertoriées par Jeune Afrique – constituent des preuves accablantes, souvent authentifiées, de crimes de guerre. Pourtant, aucune enquête formelle n’a été ouverte contre les responsables, qu’il s’agisse des mercenaires russes ou de la junte malienne qui les a engagés.
La responsabilité pleine et entière d’Assimi Goïta et de sa junte
Il est temps de nommer les choses telles qu’elles sont : Assimi Goïta et sa junte militaire ne sont pas de simples spectateurs de ces atrocités. En signant un accord avec Wagner en 2021, ils ont ouvert la porte à une machine de mort qui s’attaque aux civils maliens avec une brutalité sans nom. La junte, qui a consolidé son pouvoir en rompant avec les partenaires traditionnels du Mali comme la France, l’Union africaine et la CEDEAO, a fait le choix délibéré de s’allier à une organisation paramilitaire connue pour ses exactions en Syrie, en Ukraine et en Centrafrique.
Les Forces armées maliennes (FAMA), sous le commandement du chef de la junte, opèrent aux côtés de Wagner dans des opérations conjointes marquées par des violations systématiques des droits humains. Le massacre de Moura, documenté par l’ONU, a impliqué des unités comme le Bataillon autonome des forces spéciales (BAFS), dirigé à l’époque par des proches de Goïta. La junte, loin de condamner ces actes, les nie ou les minimise, accusant les rapports d’ONG et de médias de « politiser les droits humains ». Cette posture de déni, couplée à l’absence d’enquêtes internes crédibles, fait d’Assimi Goïta et de ses collaborateurs des complices directs de ces crimes.
La CPI, en vertu du Statut de Rome, a le pouvoir et le devoir de poursuivre les responsables de crimes contre l’humanité, qu’ils soient chefs d’État, militaires ou mercenaires. Les disparitions forcées, les tortures systématiques et les exécutions sommaires documentées au Mali remplissent largement les critères d’une attaque généralisée et systématique contre une population civile. Pourquoi, alors, la CPI n’a-t-elle pas ouvert d’enquête contre Goïta et ses lieutenants ? Pourquoi les mercenaires de Wagner, dont les agissements sont désormais exposés au grand jour, échappent-ils à toute reddition de comptes ?
Une exigence de justice
À sa décharge, la CPI est souvent critiquée pour son parti pris envers les pays africains, ciblant presque exclusivement des dirigeants du continent tout en évitant de s’attaquer aux puissances occidentales ou à leurs alliés. En évitant de poursuivre Wagner et la junte malienne, le procureur pourrait chercher à éviter des accusations de partialité, tout en ménageant des relations diplomatiques déjà tendues avec certains États africains. Mais ce calcul, s’il existe, est une trahison des victimes maliennes, qui méritent justice autant que celles des conflits en Libye ou en République démocratique du Congo.
À cela il faut ajouter les difficultés liées aux conditions d’entrée au Mali. Avec le retrait de la MINUSMA, la mission de l’ONU, en 2023, les enquêtes sur place sont devenues quasi impossibles. Les défenseurs des droits humains maliens, confrontés à des menaces constantes, peinent à documenter les exactions dans un climat de peur généralisée. Mais ces obstacles, aussi réels soient-ils, ne sauraient justifier l’inaction face à des crimes d’une telle gravité.
Le silence de la CPI est une insulte faite aux victimes, à ces familles déchirées, à ces communautés décimées, à ces enfants orphelins dont les bourreaux paradent sur Telegram. Il est temps que le procureur se décide à rompe avec sa passivité afin d’ouvrir une enquête formelle contre Assimi Goïta, ses collaborateurs et les mercenaires de Wagner. Les preuves sont là, abondantes, irréfutables, fournies par des ONG, des médias et même par les criminels eux-mêmes, qui documentent leurs exactions avec une arrogance sidérante.
La justice internationale ne peut pas se contenter de rapports et de communiqués indignés. Elle doit agir, au nom des principes qu’elle prétend défendre. Une enquête sur les crimes de Wagner et de la junte malienne serait un signal fort : personne, pas même un chef d’État ou une milice soutenue par une grande puissance, n’est au-dessus des lois. Les Maliens, qui subissent depuis trop longtemps les affres du jihadisme, des coups d’État et de la répression, méritent que leurs bourreaux répondent de leurs actes.
En attendant, le sable du Sahel continue de boire le sang des innocents. Et la CPI, dans son mutisme, risque de devenir un complice involontaire de cette tragédie. Remercions nos confrères de Jeune Afrique pour avoir levé le voile sur l’innommable. Mais la lumière ne suffit pas : il faut désormais des actes. La justice, la vraie, ne peut plus attendre.