
L’ancien Premier ministre malien a été placé en détention préventive le 1er août dernier par le procureur du Pôle national de lutte contre la cybercriminalité. La justice lui reproche un message de solidarité avec des « détenus d’opinion », publié sur ses réseaux sociaux. Toutefois, Éric Mocnga Topona, journaliste à la rédaction Afrique francophone de la Deutsche Welle, à Bonn (Allemagne), estime que le feuilleton judiciaire est loin de livrer tous ses secrets.
Les convocations successives de Moussa Mara par la Brigade d’investigations judiciaires (BIJ), depuis quelque temps, ne laissaient rien augurer d’autre que son placement sous mandat de dépôt. C’est bien le dénouement du premier acte de ce feuilleton judiciaire qui, assurément, en promet d’autres.
Quelques jours avant cette décision des autorités judiciaires maliennes à l’encontre de l’ancien Premier ministre, celui-ci avait été interdit de sortie du territoire national alors qu’il se rendait à une conférence internationale sur la paix au Sahel (à Saly, près de Dakar). Comme de coutume dans ces régimes où l’administration et la police politique ne font qu’un, cette interdiction de voyager annonçait déjà, de fait, des restrictions drastiques de sa liberté de mouvement.
Des menaces à l’acte
La nouvelle de la mise en détention de Moussa Mara n’a cependant pas manqué de surprendre. En effet, contrairement à de nombreux responsables politiques, opposés aux nouveaux régimes militaires de la nouvelle Confédération « Alliance des États du Sahel » (AES), y compris dans la Guinée voisine du général Mamadi Doumbouya, Moussa Mara n’a pas opté pour le chemin de l’exil, afin de préserver sa liberté de parole, voire ses prises de position parfois critiques sur la conduite des affaires de la Cité, depuis l’accession au pouvoir du régime militaire du général Assimi Goïta, lequel a d’abord participé au coup d’État d’août 2020 qui a renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta avant de mener en mai 2021 un second coup d’État qui a conduit à la démission du président de transition Bah N’Daw et du Premier ministre Moctar Ouane.
Prolixe sur les réseaux sociaux, notamment sur sa page Facebook et son compte X, Moussa Mara s’exprime régulièrement sur la gouvernance de son pays sans s’embarrasser de circonvolutions. Il est également très présent dans les médias internationaux. Sa décision de demeurer au Mali, tout en gardant sa liberté d’expression, de ton et de conscience, est indubitablement un acte de courage politique qu’il faut a priori saluer à sa juste valeur, quel que soit le destin judiciaire qui sera le sien dans les mois et les années à venir.
Analyse lucide et critique au vitriol
C’est ainsi que, le 30 janvier 2024, dans le quotidien français Le Figaro, Moussa Mara portait un regard sans concession ni complaisance sur les causes endogènes de la crise sécuritaire dans les États du Sahel et le délitement du lien social qui s’ensuit : « Les faiblesses étatiques sont élargies par les insuffisances significatives de gouvernance, sur fond de corruption des élites. Ces attitudes frauduleuses finissent par alourdir le climat social, affaiblir et discréditer les pouvoirs publics et sont autant de justifications des actions déstabilisatrices. Cela avec d’autant plus d’énergie que les populations sahéliennes présentent des déficits majeurs en termes de capital humain. »
Cette critique au vitriol de la situation sociale des populations au Sahel n’est pas celle que souhaitent entendre les nouveaux hommes forts du Sahel. À plusieurs reprises, par ailleurs, Moussa Mara a été accusé d’être le cheval de Troie des intérêts français au Mali, l’agent de l’ennemi néocolonial extérieur chargé de déstabiliser de l’intérieur son propre pays.
Or, l’ancien Premier ministre ne s’est jamais laissé démonter par ces accusations qui sont en réalité de véritables procès en sorcellerie. Sa parole publique sur la gouvernance au Mali et au Sahel a été d’autant plus redoutée qu’il a été aux affaires, et à l’un des niveaux les plus élevés de l’appareil d’État ; c’est d’ailleurs à ce titre que ses sorties sont de nature à susciter l’ire du pouvoir central de Bamako.
Arrestation dans un contexte trouble
Le contexte de son interpellation est aussi extrêmement révélateur quant à l’état actuel du pouvoir militaire malien. Il y a à peine une année, les forces armées maliennes et leurs supplétifs russes du réseau Wagner enregistraient de sévères revers militaires dont les images, qui ont laissé incrédules de très nombreux Maliens et observateurs internationaux, ont fait le tour des réseaux sociaux.
Dans la même séquence temporelle, les terroristes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM ou JNIM, son acronyme arabe) ont lancé quelques mois plus tard de violentes attaques sur Bamako, mettant en déroute les forces de défense régulières, au point d’investir des lieux de pouvoir hautement sensibles dans la capitale malienne, infligeant au passage de lourdes pertes aux Forces armées maliennes (FAMa) et aux mercenaires de Wagner rebaptisés Africa Corps.
Depuis lors, le pouvoir de Bamako a perdu en assurance et en crédibilité quant à sa capacité à protéger ses populations et le mythe d’invincibilité du bouclier Wagner a été largement écorné, tandis qu’au plan géopolitique, l’AES, qui était annoncée comme l’acte de libération ultime des peuples de ses États membres, ne parvient toujours pas à décoller par des actes concrets qui impactent significativement le niveau de vie des populations les plus vulnérables.
Certains signaux suscitent même de vives inquiétudes, à l’instar du Niger où, pour la première fois depuis plusieurs décennies, le gouvernement peine à payer les salaires et les pensions des fonctionnaires et des retraités qui ont récemment exprimé leur ras-le-bol face aux mois d’arriérés.
Or, il faut se souvenir que Moussa Mara, au moment de la décision des trois États de l’AES de claquer la porte de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), n’avait guère fait mystère de sa désapprobation, voire de son scepticisme au regard d’un choix qui, rétrospectivement, apparaît chaque jour un peu plus comme une aventure géopolitique sans lendemain : « Quitter la CEDEAO, c’est aller contre la marche de l’Histoire », avait-il déclaré.
Cette opinion lui avait alors valu d’essuyer les foudres de ses nombreux contempteurs fidèles à la junte au pouvoir, alors que pour d’autres, l’ancien Premier ministre ne faisait que défendre les intérêts des puissances impérialistes foncièrement hostiles à cet acte de souveraineté du Niger, du Burkina Faso et du Mali.
Moussa Mara paie assurément le prix de sa crédibilité, de sa popularité et de la pertinence de ses analyses antérieures auxquelles les faits semblent donner raison avec le recul du temps. Dans un pays où les partis politiques sont réduits au silence, la société civile n’est plus que nominative. Le processus de neutralisation des contre-pouvoirs semble parvenu à son terme avec la décision unilatérale du général Assimi Goïta de s’arroger, sans élection et en l’absence de tout pluralisme démocratique, un mandat de 5 ans, reconductible indéfiniment ; il s’agit visiblement de taire désormais toutes les grandes voix.
À cet égard, il y a lieu de suivre avec grand intérêt l’épée de Damoclès qui pèse depuis quelques mois sur la tête l’ancien Premier ministre Choguel Kokalla Maïga. Des rumeurs incessantes, tout comme des prises de parole de certains pontes du régime, l’annoncent comme le prochain pensionnaire de la Maison d’arrêt de Bamako, aussi appelée Maison centrale d’arrêt (MCA), pour des motifs de détournements de deniers publics. La Révolution commencerait-elle à dévorer ses propres enfants ?
Des accusations inconsistantes
Il faut mettre à son actif que l’ancien Premier ministre aujourd’hui incarcéré n’est pas poursuivi pour avoir pris des libertés avec la gestion de la fortune publique, mais pour « atteinte à la crédibilité de l’État et opposition à l’autorité légitime », des accusations somme toute inconsistantes, voire farfelues, qui ne laissent pas sans sidération s’agissant d’un haut commis de l’État et d’une personnalité publique de premier plan.
À titre de rappel, Moussa Mara n’a pas attendu la junte au pouvoir pour s’exprimer sur la gouvernance dans son pays et ses perspectives d’avenir. Déjà en 2016, celui qui devint expert-comptable à 25 ans et Premier ministre à 39 ans, publie un ouvrage intitulé Jeunesse africaine, le grand défi à relever.
Lorsqu’il crée le parti politique Yéléma en juillet 2010, il fait le choix d’aller à la rencontre des Maliens afin de recevoir l’onction du suffrage universel. De manière progressive, méthodique et déterminée, il tisse sa toile politique sur l’ensemble du territoire après des débuts modestes, au point de devenir une force politique incontournable. Sa formation politique s’assure ainsi une présence à l’Assemblée nationale et dans certaines municipalités. C’est au regard de cette irrésistible ascension politique et de ses qualités de gestionnaire reconnu que le chef de l’État, Ibrahim Boubacar Keïta, le nomme Premier ministre en 2014.
Son patriotisme jamais remis en cause s’est notamment illustré dans la tentative de reconquérir la ville stratégique de Kidal (ville et une région administrative du nord du Mali), même si quelques-uns de ses concitoyens lui attribuent jusqu’à ce jour, à tort ou à raison, le fiasco de cette opération militaire.
Une idée claire du panafricanisme
En 2021, bien avant le panafricanisme incantatoire dont se réclament certains leaders actuels de l’Alliance des États du Sahel, Moussa Mara publie un essai intitulé Cultivons nos Afriques. Pour une renaissance culturelle africaine. Il s’agit d’une véritable vision panafricaniste, solidement argumentée, comme très peu de leaders politiques l’ont fait en Afrique depuis les pères fondateurs de ce mouvement : « La culture doit être l’un des plus ambitieux projets africains au XXIe siècle. […] Prise dans son acception la plus large, englobant la littérature, les arts vivants, les langues, les arts plastiques, les productions audiovisuelles et cinématographiques, la musique ou l’architecture. La culture doit faire l’objet d’une promotion et d’une stratégie de développement à l’échelle continentale par une volonté commune. »
Moussa Mara est sans conteste l’un de ces leaders politiques dont peut s’enorgueillir et s’inspirer la jeunesse africaine. Les messages de soutien, de reconnaissance et de gratitude qu’expriment sur les réseaux sociaux de nombreux Maliens, voire de jeunes Africains, en sont la preuve éclatante. Son humanisme et son leadership sont salués, même si quelques-uns ne résistent pas à la tentation de le ramener à un bilan qui n’est pas le sien.
Pour la jeunesse malienne et africaine en général, son courage politique doit être salué. Il aurait pu se complaire dans les facilités d’un exil doré pour se mettre à l’abri de toute atteinte à ses droits fondamentaux dans un pays étranger. Il a fait le choix de demeurer au plus près des réalités de ses concitoyens et d’exprimer, par sa voix, leurs attentes et leurs espérances frustrées. Il y a maintenant lieu d’espérer qu’il bénéficiera d’un procès équitable. Ce sera pour lui l’occasion idoine d’exprimer dans un prétoire et en public sa vision du Mali, du Sahel et de l’Afrique.