Alors que beaucoup s’attendaient à un report des élections législatives et locales, le président tchadien a annoncé aux chefs de partis politiques qu’elles sont maintenues au 29 décembre prochain.
Les opposants de l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade aimaient tant lui rappeler ce proverbe wolof : « On ne peut pas faire son temps et vouloir faire celui de ses enfants et petits-enfants ». Il s’agit là en réalité du pendant africain de la locution « vouloir le beurre et l’argent du beurre », dont la signification ne laisse guère de doute. Car, il semble difficile voire irresponsable d’avoir à la fois le beurre et l’argent du beurre. Autrement dit, c’est quasiment impossible de tout obtenir sans aucune contrepartie. Il faut donc choisir.
Or, en décidant de maintenir les élections législatives et locales au 29 décembre 2024, et en prétendant que les « inondations n’affectent en rien le [déroulement] du processus électoral », Mahamat Idriss Deby Itno et son camp sont dans la même situation de quelqu’un qui veut avoir de l’argent tout en conservant son beurre. En l’espèce, ils veulent l’étiquette de « démocrates » et la respectabilité qui va avec sans se conformer aux principes élémentaires de la démocratie, à savoir le pluralisme et le respect des textes. Tout cela, quelques mois seulement après avoir été déclaré vainqueur d’une élection présidentielle dont les résultats ne présentaient pas toutes les garanties de transparence et d’équité.
Fétichisme calendaire
Au-delà du déni que cette attitude présente, mais aussi du mépris affiché à l’égard des 600 Tchadiens décédés dans les dernières inondations et les quelques deux millions d’autres sinistrés, les autorités de N’Djamena choisissent en conscience de provoquer une crise politique avec surement de graves conséquences sur la stabilité du pays. Sans forcément revenir sur les circonstances dramatiques qui l’ont porté au pouvoir, il faut bien s’interroger sur le soudain « fétichisme calendaire » qui s’est emparé de Mahamat Idriss Deby Itno, le poussant désormais à vouloir « son » parlement avant la fin de l’année 2024. Lui, qui n’a pas hésité à proroger le délai initial de la transition, ce qui avait occasionné les terribles événements du 20 octobre 2022.
Résultat, le parti Les Transformateurs du principal opposant Succès Masra, a décidé de ne pas participer à ce double scrutin. « Participer, aujourd’hui, dans ces conditions, aux élections reviendrait purement et simplement à servir de caution à l’installation de l’apartheid [dans le pays] et de caution à un résultat qui est déjà dans les ordinateurs du camp d’en face », a expliqué l’ancien Premier ministre et candidat à la dernière présidentielle lors d’une cérémonie commémorant justement le deuxième anniversaire de la sanglante répression du « jeudi noir » d’octobre 2022. Il faut rappeler que Succès Masra demandait déjà le report des deux scrutins en raison des graves inondations qui ont récemment endeuillé le Tchad, mais aussi pour prendre le temps de réviser les textes électoraux et de refonder les institutions électorales.
Méfiance et crainte du lendemain
On aimerait bien croire le ministre tchadien des Affaires étrangères et porte-parole du gouvernement, qui a estimé que les « absents ont toujours tort. Le processus sera transparent ». Toutefois, l’organisation de la dernière présidentielle incite plutôt à la méfiance. Abderamane Koulamallah a beau jeu de faire observer que le refus du parti Les Transformateurs et une quinzaine d’autres formations politiques de l’opposition – qui ont fait savoir qu’elles boycotteront purement et simplement ces scrutins qualifiés de « mascarades » – serait « contre-productif » ou relèverait d’un « amateurisme », il pourra difficilement nous faire croire que le dernier scrutin présidentiel était libre et démocratique.
Comme il aura du mal à effacer de la mémoire de ses compatriotes que l’Autorité nationale de gestion des élections (Ange) ne s’était pas précipité pour donner la victoire à Mahamat Idriss Deby Itno en le proclamant vainqueur plutôt que prévu et que de nombreux Tchadiens n’ont trouvé la mort à cause des coups de feu d’intimidation tirés par les soldats de la garde présidentielle.
Surtout dans ce contexte, où la Haute Autorité des Médias et de l’Audiovisuel (HAMA) tente de renforcer son contrôle sur les médias du pays. Désormais au Tchad, « tout journal privé, imprimé ou en ligne, qui diffuserait des productions sonores ou audiovisuelles, au lieu de se limiter à ses articles écrits, verra sa parution suspendue ». Naturellement, l’ONG Reporters sans frontières (RSF) s’est indignée de ces mesures « anachroniques », dont la « mise en œuvre est un risque pour l’information plurielle ».
Il faut un tout pour faire un pays. L’exclusion et les restrictions de l’espace public sont des ingrédients détonants. Le président tchadien gagnerait à privilégier le consensus dans les décisions qui engagent l’avenir de son pays.
Charles Hope