Aucune solution ne viendra des régimes militaires

Il est inutile de faire observer que dans l’Afrique d’aujourd’hui, marquée par des coups d’État militaires en série et les dérives autoritaires croissantes, beaucoup sont tentés par le mirage de l’homme providentiel, de préférence en treillis. Chaque fois, le scénario est le même : un quarteron d’officiers destitue ou prend en otage le chef de l’État élu, dénonce une mauvaise gouvernance imputée au régime renversé, promet monts et merveilles à une jeunesse nombreuse en colère, vitupère contre l’impérialisme, le néocolonialisme, les traîtres à la patrie… Chaque fois, ces militaires feignent de dédaigner le pouvoir (ses privilèges plus exactement), assurent n’être aux commandes de l’État que pour gérer les « affaires courantes » dans un court laps de temps, disent vouloir opérer une rupture avec les pratiques décriées du passé avant de retourner dans leur caserne. Chaque fois, ces promesses de lendemains meilleurs sont vite renvoyées aux calendes grecques. Les putschistes, se prenant pour de vrais chefs d’État, renient in fine leurs propres paroles d’officiers, refusent de restituer le pouvoir aux civils, tout en engageant les pays, dont ils ont confisqué la direction, dans les vallées périlleuses d’une déchéance éthique et morale. 

Certes, au classement des coups d’État, l’Afrique est championne du monde. Une étude réalisée par des chercheurs américains en a dénombré plus de 200 sur le continent depuis 1950, dont 50 % sont considérés comme des succès parce qu’ils ont duré plus de sept jours. Sur la cinquantaine de pays que compte le continent, 45 au moins ont déjà connu une tentative de putsch depuis leur indépendance. Mais ce retour des caporaux avides de diamants et de gloire sur la scène politique africaine – que l’on croyait pourtant révolu depuis la vague de démocratisation entamée dans les années 1990 – s’est accentué avec l’apparition de nouveaux acteurs comme le groupe paramilitaire russe Wagner. Aussi, la perspective s’est concrétisée parce que des néopanafricains du numérique, ces anti-impérialistes autoproclamés au discours virulent et clivant, parfois stipendiés, tentent, avec un certain succès, de convaincre les forces vives du continent que leur salut viendra de certains États comme la Russie, la Chine ou la Turquie. Ces derniers, dont les systèmes politiques n’ont rien de démocratiques, ne s’encombrent pas de scrupules, pour reprendre l’expression d’Achille Mbembe, à obliger les Africains à gager leurs sols, sous-sols et autres biens, ainsi qu’à tout vendre. 

Cependant, l’issue de la présidentielle du 24 mars dernier au Sénégal a montré avec quelle force, en Afrique, la solution reste et demeure éminemment politique. En dépit des scénarios du pire échafaudés par les uns et les autres en raison des craintes alimentées par les principaux acteurs sénégalais, nous avons assisté à une alternance démocratique exemplaire et à une leçon politique pour tous ceux qui sont séduits par les aventures militaires. Voilà des acteurs politiques qui voulaient le pouvoir et qui l’ont conquis par des voies légales, sans avoir besoin de marcher sur le cadavre de leurs compatriotes ou d’exposer leur pays à des sanctions internationales, bien au contraire. Sinon, la victoire de l’opposant Bassirou Diomaye Faye, dès le premier tour, avec près de 54,28 % des voix, n’aurait pas été saluée par l’ensemble de la communauté internationale. C’est la preuve de la maturité du peuple sénégalais. La preuve en outre que lorsqu’un peuple est parvenu à une conscience citoyenne, il est difficile de faire dire aux urnes autre chose que ce qu’il a exprimé. Dans un tel environnement, les différentes personnalités qui dirigent les institutions sont conscientes de leur rôle et des limites imposées par le droit de leurs prérogatives : l’armée nationale reste à sa place, ne se préoccupant que des questions de défense nationale et de sécurité ; le président de la République n’est pas au-dessus des lois et ne peut avoir raison sur tout ; les juges constitutionnels n’ont pour seule boussole que la Constitution. 

Reste à savoir si les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF) sauront être dignes de la confiance de leurs concitoyens. Même si, pour le moment, personne ne peut prévoir la trajectoire du pays durant le mandat du PASTEF, nous sommes unanimes à reconnaître que la dévolution du pouvoir s’est faite d’une façon qui honore le Sénégal et l’Afrique. Et puis d’ailleurs sur le continent, les pays qui progressent, malgré les contraintes de tous ordres et les contingences, sont ceux chez qui les principes démocratiques ne sont pas foulés aux pieds par quelques individus, fussent-ils providentiels. Donc, la démocratie n’est pas le problème, c’est même la solution. Le problème, c’est le non-respect des textes. 

Un dernier mot pour dire que le Courrier Panafricain paraît dans ce contexte de mutations en tout genre et de bascule. Vous avez entre les mains une revue d’analyses et débats, sans tabous, qui n’est que le prolongement de sa sœur aînée, Afrique Nouvelle, créée il y a plus de douze ans. Le lecteur comme la lectrice sont invités à s’approprier cet outil d’éveil des consciences, dont les colonnes demeurent grandement ouvertes à tous ceux qui ont quelque chose à dire et à apporter pour le développement de l’Afrique. 

  • Le Courrier Panafricain

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