Le Courrier Panafricain : Au mois de février dernier, votre parti, le Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC) a célébré ses 45 ans. L’ex-parti au pouvoir a-t-il atteint l’âge de raison ?
Martin Ziguélé : Le MLPC est né le 22 février 1979, dans le feu de la lutte contre l’empire instauré en 1976 par Jean-Bedel Bokassa et pour la restauration de la République et ses valeurs que nous connaissons tous : souveraineté du peuple et non pas d’une personne, respect de la dignité humaine tirée de la philosophie de Zo kwe Zo du père fondateur de la République centrafricaine Barthelemy Boganda et enfin respect des libertés individuelles et collectives. Le MLPC a fêté donc ses 45 ans le 22 février 2024 et nous sommes effectivement arrivés à l’âge adulte. J’ajoute que si le combat pour la restauration de la République a été gagné dès 1979, le combat pour la défense des valeurs républicaines continue.
Il y a des dissensions et des divisions au sein du parti. Certains cadres historiques vous reprochent une gestion exclusive et familiale. Selon vous, qu’est-ce qui pourrait bien justifier cette levée de boucliers ?
Comme un adulte de cet âge, le parti a connu ou connaît des péripéties dans son parcours. Cela fait près d’un demi-siècle que le MLPC existe, il est normal que le cours de son existence connaisse des soubresauts lorsque les options entre ses membres deviennent divergentes. En l’occurrence, il s’agit de la position exprimée par le parti au sujet du fameux dialogue républicain de mars 2023. Le Bureau politique avait exigé un dialogue inclusif et une démarche collective avec toute l’opposition démocratique, tandis que ceux qui pactisent aujourd’hui avec le pouvoir se sont satisfaits du dialogue républicain qu’il proposait. Ils ont rejoint la mangeoire avec armes et bagages, ont soutenu le coup d’État constitutionnel, participent à toutes les activités du parti au pouvoir. Personne n’est dupe de leur appellation d’opposition constructive.
Quant à la question de la gestion du parti, qui serait familiale et clanique, je dis simplement qu’aucun membre de ma famille n’est membre des organes dirigeants du MLPC. Figurez-vous que c’est quand j’ai été élu président du parti en juin 2007, j’ai fait ouvrir dans une banque de la place, puis dans plusieurs autres, les premiers comptes bancaires afin de mettre en place une vraie comptabilité et un budget. Dans notre tradition, et comme nos textes l’exigent, à l’ouverture de chaque congrès il y a un rapport moral et financier du Bureau politique soumis aux congressistes. Tous ceux qui me diffament et me calomnient aujourd’hui l’avaient approuvé en son temps. Ils utilisent des fausses accusations pour brouiller les pistes de leur allégeance au pouvoir qui les instrumentalise contre le MLPC, comme contre d’autres partis politiques de l’opposition, mais c’est peine perdue.
Que pouvez-vous nous dire sur la situation socio-économique et politique du pays ?
La situation socio-économique est catastrophique. D’ailleurs, ce constat ne vient pas de moi, il est écrit dans les Cahiers économiques de la Banque mondiale sur la République centrafricaine de 2023 : deux Centrafricains sur trois vivent sous le seuil de pauvreté, avec moins de 1000 F CFA (1,5 €) par jour et six sur dix vivotent avec moins de 500 F CFA. La misère est la chose la plus partagée en Centrafrique sous le régime de Touadera et, là encore, les chiffres ne sont pas de moi mais proviennent du dernier rapport du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) consacré au développement humain. La République centrafricaine est classée au 188e rang sur 189 pays, c’est-à-dire avant-derniers pays pauvres. En réalité, depuis le sommet de Bruxelles en 2016, qui a mobilisé des ressources pour l’urgence et le relèvement, le gouvernement en place est resté dans l’urgence. Il n’a mené aucune politique macroéconomique crédible. Je n’en veux pour preuves que les taux de croissance de notre richesse nationale qui ne décolle pas de zéro ou d’un pour cent. Sur le plan politique, nous retournons à grands pas vers un empire sous une république formelle. L’espace civique et politique se rétrécit tous les jours avec des violations récurrentes de la loi et des atteintes intolérables aux libertés individuelles et collectives.
Récemment, le coordonnateur du Bloc républicain pour la défense de la Constitution (BRDC), Crépin Mboli-Goumba, a eu maille à partir avec la justice. Un député proche de l’opposition se trouve présentement incarcéré, malgré son immunité parlementaire. Vous diriez qu’il est difficile d’être opposant en Centrafrique ?
Comme sous l’empire de Bokassa, être opposant politique est considéré par beaucoup comme un suicide volontaire et conscient. Chaque jour, le pouvoir ne fait pas dans la dentelle pour ostraciser, persécuter et humilier les membres de l’opposition démocratique. Dominique Yandocka est un député qui jouit toujours de l’immunité parlementaire mais il est détenu et malade. Crépin Mboli-Goumba est condamné à un an de prison avec sursis, après avoir été débarqué d’un avion et conduit dans une unité de lutte contre le grand banditisme alors qu’il exerce la profession d’avocat. La question que je me pose est de savoir pourquoi et à qui profite cette stratégie de la tension ? Est-ce que ce n’est pas pour détourner le regard sur l’absence de résultats de ce régime ?
Les observateurs ont l’impression que l’opposition centrafricaine est inaudible, notamment auprès de la communauté internationale. Est-ce le cas ?
C’est l’opposition, et au-delà le peuple centrafricain, qui a la nette impression que c’est plutôt la communauté internationale qui est inaudible aujourd’hui auprès de l’opinion nationale. Je ne me souviens pas avoir entendu cette communauté internationale condamner le coup d’État constitutionnel opéré par le président Touadéra en 2023 comme elle l’a fait au Sénégal le mois dernier. Je ne me souviens pas avoir lu ou vu un simple communiqué de sa part lors du limogeage de la présidente de la Cour constitutionnelle et de son collègue parce qu’ils ont eu le tort d’appliquer la loi. Un député jouissant encore de son immunité parlementaire est jeté en prison ? Silence radio de la communauté internationale. Un avocat, président de parti politique est arrêté et détenu comme un bandit de grand chemin. Avez-vous écouté ces gens s’exprimer ? Nous avons compris depuis les élections calamiteuses de 2020-2021 dans quel rôle les uns et les autres souhaitent cantonner l’opposition centrafricaine, et nous avons pris la résolution de ne compter que sur nos propres forces, c’est-à-dire sur notre peuple.
Ces mêmes observateurs estiment que les partis politiques membres de l’opposition finiront par accepter de participer aux élections locales que la communauté internationale appelle de ses vœux. Faites-vous l’objet de pressions dans ce sens ?
C’est effectivement le rôle dans lequel le pouvoir et les autres intervenants veulent nous cantonner, à savoir faire de la figuration pour accompagner et crédibiliser des parodies électorales. Comme dans les élections passées, avec les mêmes arguments d’ailleurs : avancées démocratiques, concorde nationale, paix civile, développement, etc. Mais justement, les élections truquées n’ont pas apporté un début de démocratie dans notre pays. L’esclave, aussi craintif soit-il, finit par se révolter. Pressions ou pas, nos conditions sont connues de tous : retour à la Constitution du 30 mars 2016, réformes de l’Autorité nationale et des élections (ANE) et de la Cour constitutionnelle. Sans cela les élections seront comme les précédentes, une vaste escroquerie politique.
Quelles sont les exigences de l’opposition pour reprendre le fil du dialogue avec le pouvoir et reconnaître enfin les institutions issues de la nouvelle Constitution du 30 août 2023 ?
« Même si la femme est enceinte et qu’on sait qu’elle finira par accoucher, on ne donne pas le nom à l’enfant avant sa naissance », selon un proverbe de mon terroir. Aujourd’hui, le pouvoir dans toutes ses composantes n’a que du mépris pour l’opposition. Donc la question du dialogue n’est pas à l’ordre du jour. On se reparlera lorsque nous aurons la conviction qu’il y a une volonté sincère de sortir de l’arbitraire.
Propos recueillis par Adrien Poussou