Centrafrique : la très problématique structure des prix des produits pétroliers

Un prélèvement d’au moins 386 FCFA est effectué sur chaque litre d’hydrocarbures vendu à la pompe en République centrafricaine. Seulement, les fonds ponctionnés ne sont pas comptabilisés parmi les recettes de l’État et sont tout simplement introuvables. Explications. 

La mission du Fonds monétaire international (FMI) qui s’est rendue au début de ce mois d’octobre dans la capitale centrafricaine n’en revenait pas. Certains de ses membres ont presque failli accuser leurs lunettes de vue, tant ils ne croyaient pas à ce qui était pourtant devant leurs yeux.

Et pour cause : la structure des prix des produits pétroliers que la mission réclamait depuis de nombreux mois lui a finalement été fournie par le ministre centrafricain de l’Énergie, Arthur Bertrand Piri. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette structure des prix comporte de nombreuses bizarreries, particulièrement une rubrique qui a retenu toutes les attentions.

Elle est intitulée « soutien/reversement État », et c’est la ligne 26 du document signé le 2 août 2024 par Arthur Bertrand Piri. Première anomalie, l’intitulé ne correspond à aucune nomenclature budgétaire. La seconde est liée à la nature même du bénéficiaire : l’État.  En d’autres termes, l’État centrafricain, qui subventionne l’achat des hydrocarbures, se fait payer des ristournes en dehors des taxes qui sont légalement prélevées. Mais pour quel intérêt ?

Des sommes introuvables

La réponse est apportée par une lecture attentive de cette rubrique « soutien/reversement État », qui correspond, selon le document du ministère, aux prix TTC des produits pétroliers vendus à la pompe moins le prix des distributeurs. Pour l’obtenir, il faut soustraire 995,003 FCFA correspondant au prix distributeur sur les 1100 FCFA du prix de l’essence à la pompe. Ce qui donne : 1100 -995,003 =104,997 pour le super et 281,080 pour le gasoil. Donc sur chaque litre vendu de ces produits, près de 400 FCFA sont prélevés et censés être reversés à l’État. En somme, une petite fortune.

Le problème, c’est qu’on ne trouve nulle trace de cet argent dans les livres du Trésor public centrafricain. « Ces sommes vont directement dans les poches du ministre Arthur Bertrand Piri lui-même et certains pontes bien connus du régime. Je suppose qu’une grosse partie sert à financer les mercenaires de Wagner ainsi que les activités du MCU, et c’est l’autre partie qu’on voit à travers les constructions d’immeubles, qui poussent comme des champignons dans la ville de Bangui », croit savoir un cadre des régies financières.

Celui-ci relève par ailleurs l’absence du Fonds d’entretien routier (FER) parmi les entités bénéficiaires de la vente des hydrocarbures en Centrafrique. « Avant, une partie des taxes collectées sur la vente des produits pétroliers était destinée aux Fonds  pour l’entretien des routes. Or aujourd’hui, pour cette tâche, les autorités préfèrent utiliser l’Office national de Matériel (ONM) auquel le président de la République Faustin Archange Touadera loue ses propres camions. Cela se passe au vu et au su de tout le monde mais c’est assumer par les principaux concernés ».

Comédie et pratiques mafieuses 

Il faut rappeler que le FMI demande avec insistance aux autorités centrafricaines de baisser les coût des produits pétroliers – les plus chers au monde. Fin septembre dernier, le ministre de l’Énergie s’est rendu à Douala, au Cameroun, pour essayer de convaincre le propriétaire de la société Neptune Oil, qui détient le monopole des importations des produits pétroliers en Centrafrique de revoir ses prix. Mais le neveu du président centrafricain s’est heurté au refus catégorique d’Antoine Nzengue, qui a même menacé de se retirer du marché centrafricain si le gouvernement s’obstine à suivre les recommandations du FMI.

Commentaire d’un fin connaisseur du dossier : « Le ministre de l’Énergie fait la comédie quand en donnant l’impression de mettre la pression sur la société Neptune. C’est pour donner le change aux partenaires extérieurs. En réalité, c’est lui qui a besoin de maintenir les prix à ce niveau afin de garantir ses marges. Car, il suffit de supprimer 105 FCFA des 1100 FCFA pour que le prix du super retombe à 995 FCFA et 281,080 de 1088,920 pour avoir le gasoil à 807,84 FCFA».

Un récent rapport du Groupe de travail de la société civile (GTSC) a dénoncé la mafia dans le secteur des hydrocarbures. Ce rapport d’une vingtaine de pages pointe notamment la responsabilité directe du membre du gouvernement dans les pratiques peu orthodoxes observées.

Contacté par la Rédaction, Arthur Bertrand Piri n’avait pas encore réagi à l’heure de la publication de cet article pour donner des précisions sur cette structure des prix des produits pétroliers.

Charles Hope 

 

 

  • Le Courrier Panafricain

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