Quel est le climat en République centrafricaine depuis les lendemains du référendum constitutionnel controversé de juillet 2023 ? Qu’est devenu le texte de la nouvelle Constitution ? Quel avenir pour le Centrafrique livré à la loi des mercenaires de Wagner ?
Le 30 juillet 2023, les Centrafricains étaient appelés à se prononcer sur une nouvelle Constitution. Nombre de Centrafricains et d’observateurs s’étaient alors interrogé sur le bien-fondé de cette initiative dans un pays confronté à mille autres urgences. L’opération émanait de l’exécutif qui avait décidé, quelques semaines plus tôt, de passer outre l’invalidation de la modification de la Loi fondamentale par la Cour constitutionnelle. Pour justifier cette manipulation opportuniste des institutions, le chef de l’État Faustin Archange Touadéra avait affirmé que «de plus en plus de voix s’élèvent pour exiger une modification de la Constitution ». Seul à entendre ces « voix », il n’hésita pas davantage à déclarer, sans rire, que l’actuelle constitution « comporte des dispositions qui pourraient compromettre le développement économique, social, culturel et politique de notre pays ». Certains opposants n’avaient pas manqué de lui rétorquer que la Loi fondamentale issue du consensus du Forum de Bangui en 2016, n’empêchait en rien le pouvoir d’engager des programmes de développement…
Dans un climat tendu, les Centrafricains avaient dû attendre jusqu’à la veille du référendum pour découvrir l’existence du texte sur lequel ils devaient se prononcer. Pour l’opposition, ce référendum visait essentiellement à prolonger le mandat du président Touadéra élu en 2016 et réélu en 2021. Il est vrai que le nouveau projet de Constitution annule la règle de la limitation des mandats, tout en prolongeant de deux ans celui en cours de l’actuel président. Malgré les alertes de « coup d’État constitutionnel », de « dérive dictatoriale » formulées par les oppositions, le référendum du 30 juillet 2023 s’était conclu par l’ébouriffant résultat du « oui » à plus de 95% des voix. Un scrutin marqué par un taux de participation des plus confidentiels, et dûment encadré par les mercenaires du Groupe Wagner devenu un cogestionnaire du territoire centrafricain, à la demande du régime de Touadéra.
Constitution privée
Mais, après le référendum qualifié d’« escroquerie politique» par l’ancien Premier ministre Martin Ziguélé, le nouveau texte de la Constitution promulgué le 30 août par le chef de l’État, est demeuré invisible. Enfermé dans une zone grise. Inaccessible au commun. Où est donc passée la nouvelle Constitution ? se sont interrogés les citoyens. En vérité, plusieurs versions du texte ont été successivement élaborées, retouchées, puis retirées. Des points litigieux ont été supprimés, reformulés, puis réinsérés dans le texte… Finalement, un document a été rendu public en février 2024, présenté comme la « bonne Constitution ». Un texte que des opposants au régime ont qualifié de « règlement intérieur du gouvernement », évidemment différent de celui soumis au vote des Centrafricains. On s’interroge alors sur la validité légale de ce texte qui, de fait, relève essentiellement de manœuvres administratives inspirées par le pouvoir. Ce que confirme le Centrafricain Jean-François Akandji-Kombé, professeur à l’École de droit de la Sorbonne et président du Conseil de Résistance et de Transition (CRT) : « Il y a manifestement un problème de droit. On peut dire qu’il s’agit là d’une Constitution privée ». Comment évaluer, au regard d’une telle situation, la valeur du mandat présidentiel en cours ? Selon le professeur Akandji-Kombé, « le pays a connu, avec l’organisation de ce référendum, un coup d’État constitutionnel, une rupture de l’ordre constitutionnel. On peut en déduire que le mandat présidentiel actuel est effectif mais pas forcément légitime ». Pour avoir contesté l’organisation du référendum constitutionnel en pointant dans le texte tous les facteurs conflictogènes, Jean-François Akandji-Kombé a été condamné par contumace, par la justice centrafricaine, à deux ans d’emprisonnement et cinq ans de privation de ses droits civiques pour « incitation à la haine contre le gouvernement ». Une condamnation qu’il a, dit-il, « apprise sur Facebook », et qu’il considère ironiquement comme sa « première médaille du mérite centrafricain ».
Alors que plusieurs opposants avaient alerté les opinions sur la liquidation en cours des principes démocratiques dans leur pays, l’adoption d’une nouvelle Constitution consacre l’instauration d’un système de gouvernement dont on a observé les multiples signaux au cours des cinq dernières années. Toutes les manifestations de l’opposition sont désormais interdites, et les leaders contraints au silence ou à l’exil. Les acteurs politiques centrafricains émettant, depuis l’étranger, des propos jugés subversifs par le régime savent à quoi s’en tenir : une arrestation en règle à leur retour à l’aéroport de Bangui, et une détention extrajudiciaire. « On ne peut plus parler, écrire ou manifester sans être visité dans la nuit, et emmené par des éléments du groupe Wagner, parfois vers des destinations inconnues », nous confie un militant de la société civile sous couvert d’anonymat. Dans ce pays où les opposants sont désormais qualifiés d’« ennemis de la paix», les récits abondent sur les exactions commises par le groupe Wagner qui, dit-on, «assurent à la fois les fonctions de police, de gendarmerie, de milice et de garde présidentielle ».
Premier Wagnerland du continent
Tout en formant et en encadrant les effectifs de l’armée nationale, le groupe paramilitaire est en première ligne dans toutes les opérations de sécurité nationale, et constitue la garde rapprochée du chef de l’État. L’on observe aujourd’hui en Centrafrique un processus achevé de captation de l’État par une société de mercenaires qui régente et surveille tous les secteurs de la vie nationale. Le Centrafrique qui héberge l’ensemble du dispositif russe de pénétration en Afrique à travers le groupe Wagner – sécurité, exploitation minière, commerce, outils de stratégies informationnelles et d’influence, projet de première base militaire russe en Afrique – est devenu le premier Wagnerland accompli du continent. Un système qui satisfait pleinement aux desseins de Faustin-Archange Touadéra, l’homme qui aime confier aux membres de son clan que «si Wagner n’était pas là, nous n’aurions pas pu garder notre pouvoir ». Il ne manque pas une occasion pour exprimer sa gratitude envers Vladimir Poutine, parrain et garant de la sous-traitance sécuritaire confiée à Wagner. Touadéra qui avait affirmé en 2020 que les positions de son pays allaient désormais s’aligner sur celles de Moscou, a adressé le 18 mars dernier ses « vives et chaleureuses félicitations » au maître et président à vie du Kremlin, après la sinistre opération de la « réélection » de ce dernier. Dans ce courrier, le néo-dictateur de Bangui salue une « réélection brillante, démocratique et transparente », tout en assurant Vladimir Poutine de sa « disponibilité et ferme détermination à œuvrer au renforcement des liens historiques d’amitié et de coopération exemplaires qui unissent nos deux pays et nos deux peuples ». De nombreux Centrafricains ont commenté une « diplomatie privée » aux allures d’une farce mauvaise. Des internautes ont déploré une « servitude assumée » à l’égard de la Russie.
Alors que la déconfiture de l’État n’est plus à démontrer, que peut encore promettre aux populations un régime avant tout soucieux de sa propre survie et des avantages qui y sont liés ? Les Centrafricains sont aujourd’hui confrontés à une situation où seule émerge la promesse du néant. Crise sécuritaire endémique, protocole tacite de cohabitation entre le pouvoir central et les groupes armés non étatiques actifs sur le territoire, exploitation sauvage et opaque des ressources minières par divers acteurs validés ou non par les autorités de Bangui, irréfrénable paupérisation des populations livrées à leur sort… Dans ce contexte, on se demande aussi à quoi sert la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA) présente dans le pays depuis dix ans. Réponse désabusée d’un habitant : « Elle ne peut qu’accompagner les actions de Wagner, en veillant à ce que les populations ne subissent pas davantage encore de brutalités de la part de ces mercenaires ». La Minusca en est réduite au service minimum, telle une vague agence humanitaire. Dans un communiqué, le 13 mars dernier, elle s’indignait de «la poursuite des violations et abus des droits de l’homme et du droit humanitaire international dans le pays ». Banal constat de la part d’une mission onusienne que la ruine du Centrafrique a transformée en une chambre d’enregistrement des périls récurrents.
Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.
*Publié le 24 mars sur le site internet de Lsi-Africa