Drôle de soutien occidental à l’Ukraine

Les Ukrainiens auraient préféré recevoir les aides de « partenaires » qui se gardent de faire du bruit inutilement et qui ne les font pas passer pour des voisins nécessiteux.  

Le Premier ministre tchèque, Petr Fiala, très engagé dans la croisade anti-Poutine, a annoncé, le vendredi 8 mars, avoir réuni la somme nécessaire pour l’achat de 300 000 obus, avec un objectif fixé à 800 000, destinés à Kiev. Dans le même temps, et semaine après semaine, l’Union européenne peine à tenir ses promesses de fournir des munitions de gros calibre à l’Ukraine. 

Dix jours auparavant, c’est le président de ce même pays d’Europe centrale, Petr Pavel, ancien général et ancien chef du comité militaire de l’OTAN, qui a déclaré depuis la conférence de Munich sur la sécurité « avoir identifié à travers le monde (…) jusqu’à 500 000 obus de 155 mm aux normes de l’OTAN et jusqu’à 300 000 obus de 122 mm aux normes soviétiques », prêts à être achetés pour être immédiatement envoyés en Ukraine. Détail à ne pas perdre de vue, la République tchèque a assuré avoir convaincu « une quinzaine de pays européens » d’apporter leur contribution. Et la liste de ces pays a été révélée ; on comprendra pourquoi… 

Juste après cette annonce, même la France, qui n’a jamais dissimulé sa réticente à acheter des armes en dehors de l’Union européenne (UE), a exprimé sa disponibilité à apporter son écot à la cagnotte visant à fournir à l’Ukraine des munitions de gros calibre. 

Or, depuis le 24 février 2022, date à laquelle le président russe Vladimir Poutine a fait entrer la guerre en Europe – un continent qui se croyait installé pour toujours dans la paix – on est frappé de voir à quel point les Occidentaux éprouvent le besoin de s’épancher sur la nature de l’aide militaire qu’ils apportent à l’Ukraine. Le type d’équipement fourni, les précisions sur leur puissance, leur portée stratégique, le nombre de soldats formés à leur utilisation ainsi que les sommes colossales nécessaires à leur achat, occupent les manchettes des journaux du monde entier. Il suffirait de peu pour que ces pays donateurs d’armes à l’Ukraine, États-Unis en tête, mettent sur la place publique le mode d’emploi des engins militaires fournis à Kiev.  

On n’est pas loin du grand déballage et du syndrome du m’as-tu-vu, ce besoin presque pathologique de montrer au monde entier le moindre geste d’humanité réalisé. Il s’agit pour l’auteur de ces lignes de l’une des surprises observées dans ce conflit. C’est sans doute la onzième surprise qu’on serait mieux inspiré d’ajouter à la liste des dix autres dénombrées par Emmanuel Todd, dont la première est, selon lui, la résistance militaire de l’Ukraine, pourtant considérée avant le début de cette guerre comme un failed state (État défaillant), et la dixième est la défaite de l’Occident. 

Loin de nous la tentation d’attribuer aux surprises inventoriées par l’auteur de La Chute finale une valeur à l’égal des dix commandements de Moïse, mais nous faisons valoir que l’iconographie de ce curieux déroulement ainsi que ses références n’ont certainement pas échappé aux plus attentifs des Africains. En tout cas, elles rappellent aux plus anciens d’entre nous la tendance des pays occidentaux à gonfler excessivement l’importance de leurs aides à l’endroit de nos États, non sans une certaine condescendance. Autrement dit, les Occidentaux ont à l’égard de l’Ukraine la même attitude qu’ils ont eue pendant plusieurs décennies à l’égard des Africains.  

Faut-il le rappeler, en 1973 déjà, le maréchal Mobutu Sesse Seko, alors président de l’ex-Zaïre, avait fustigé ce comportement des Occidentaux. « De nos jours, il est de bonne presse de parler de l’assistance des pays riches envers les pays pauvres. Quand un pays riche donne ne fût-ce qu’un kilo de médicaments à un pays pauvre, on mobilise la presse, la radio et la télévision. On échange des discours diplomatiques, les uns pour vanter, les autres pour remercier (…) Si on examine bien, on constate que paradoxalement, l’assistance profite avant tout aux pays donateurs », avait-il dénoncé du haut de la tribune des Nations Unies dans un discours resté célèbre et qui n’a visiblement pris aucune ride. 

Car à quelques différences près, l’Ukraine est en train de vivre l’amère expérience que les pays africains ont été contraints de subir chaque fois qu’un État du nord concède à leurs attribuer une petite subvention. Mais pour ce qui la concerne, l’attitude de ses vrais faux amis a une incidence directe sur l’issue de la guerre qui l’oppose à la Russie. Même si, certes, les opinions publiques de ces pays n’ont pas besoin d’être rassurées par leurs dirigeants que tout est fait pour porter secours à Kiev, injustement agressée par Vladimir Poutine. 

Cependant, l’impératif de transparence que les principes démocratiques imposent surpasse-t-il la nécessité pour l’Ukraine de bouter ses agresseurs russes hors de son territoire souverain ? On se demande où peut se situer l’intérêt des Ukrainiens dans cette envie de paraître de ses alliés ? Tous ces dirigeants qui se croient obligés de faire connaître la moindre aiguille qu’ils donnent à l’Ukraine ont-ils songé au fait que les Russes aussi prennent note et organisent leur stratégie de riposte en fonction des annonces du camp occidental ? 

Mieux ou pire, la Russie n’a même plus besoin de déployer ses espions dans les capitales européennes afin de recueillir des informations ou de recruter des sources susceptibles de lui fournir les plans d’aides en faveur de l’Ukraine. Les membres de ses services de renseignements militaires ont juste besoin d’allumer la télévision ou de se connecter aux messageries supposées cryptées pour capter, par exemple, les conversations des généraux allemands. 

D’ailleurs, il n’est pas exclu que l’échec de la contre-offensive ukrainienne annoncée avec tambour et trompette réside dans la course à la communication à laquelle les Occidentaux se sont livrés. Alors qu’en face, les Russes, eux, communiquent peu ou prou. À preuve, depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, on ne les a pas vus un jour fournir le nombre d’obus qu’ils auraient acheté à la Corée du Nord ou à l’Inde. Imagine-t-on la Chine, le Brésil, voire l’Iran, déclarer publiquement qu’ils auraient fourni à la Russie telle quantité de munitions et telle autre somme d’argent pour soutenir son effort de guerre ? Les réponses sont bien évidemment dans les questions. 

En vérité, il ne viendrait pas à l’idée de Poutine, qui aime entourer l’identité de ses alliés d’un halo de mystère, de dévoiler la liste de leur contribution en faveur de la Russie. Le président russe et ses alliés sont plutôt passés maîtres dans l’art de nier les évidences. Par exemple, alors que les soldats de l’Africa Corps russe sont arrivés au camp militaire burkinabè de Loumbila (nord-est de Ouagadougou), le chef de la junte Ibrahim Traoré, qui s’identifie volontiers à Poutine, continue de nier leur présence au Burkina Faso. Ce même processus a été observé au Mali et en République centrafricaine.

Ce besoin de parler est donc là, du côté occidental, une réalité nouvelle (la guerre 2.0), qui est proprement troublante. Il est évident que contrairement à leurs lointains successeurs, ni le général de Gaulle ni encore moins Winston Churchill n’auraient vendu à l’ours de Moscou les plans d’aide destinée à l’Ukraine devant les écrans de télévision. 

À l’évidence, l’époque et les hommes ont changé. Pas seulement au niveau de la qualité du leadership mondial, auquel manque parfois l’expérience, « qui est sagesse concrète tenant sa maturité de l’épreuve seule » selon l’expression du professeur congolais Théophile Obenga, ou dans la propension des acteurs internationaux à se vouer une haine mortelle, mais surtout dans une espèce de désinhibition de la parole. Aujourd’hui, on peut tout se permettre dans l’espace public colonisé par des cancres, y compris ce qui paraissait hier impensable et tabou. 

Au-delà, on aimerait bien comprendre les réelles motivations qui se cachent derrière cette volonté d’apparaître coûte que coûte aux yeux des opinions publiques comme le meilleur soutien de l’Ukraine. L’effet obtenu par les communications intempestives des responsables occidentaux semble être l’inverse de celui escompté. 

On se souvient de la sortie du président français Emmanuel Macron, le 26 février dernier, sur l’envoi possible de troupes en Ukraine, qui avait entraîné une cacophonie politique et diplomatique dans le camp occidental, obligeant ses partenaires de l’OTAN ainsi que de l’Union européenne à prendre position publiquement sur le sujet. Le tollé ainsi suscité par la déclaration du numéro un français, malgré une explication de texte, montre que les Occidentaux ne parlent pas d’une seule et même voix. Vladimir Poutine peut donc se frotter les mains. 

Le moins qu’on puisse dire, c’est que les propos du chef de l’État français ont eu le don de braquer ses partenaires, à commencer par le plus important d’entre eux au sein de l’Union européenne, à savoir l’Allemagne. D’autant plus qu’il est de notoriété publique que les relations entre le chancelier allemand Olaf Scholz et Emmanuel Macron sont exécrables. De leur côté, les États-Unis ont aussi indiqué clairement qu’il était hors de question d’envoyer des soldats en Ukraine. 

En conclusion, il est utile de faire observer que la guerre imposée par la Russie à l’Ukraine charrie déjà suffisamment de victimes sans qu’on insiste sur les soutiens pétaradants de Kiev qui profitent de la situation. Les Ukrainiens auraient préféré recevoir les aides de « partenaires » qui se gardent de faire du bruit inutilement et qui ne les font pas passer pour des voisins nécessiteux.  

Adrien Poussou 

  • Le Courrier Panafricain

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