Pour ne pas provoquer l’ire des Russes de Wagner, les autorités centrafricaines ont préféré envoyer, en toute discrétion, deux émissaires dans la capitale française pour mener des négociations dans le plus grand secret. Seulement, en dépit des précautions, les hommes de Moscou à Bangui ont été informés de ces manœuvres, et sont désormais vent débout. Révélations.
Paris, la nuit, brille de mille feux. À la différence de Bangui, où l’électricité est un produit de luxe. Là-bas, à l’exception du nouveau quartier Bellevue – sorti de terre grâce au détournement de l’aide internationale par l’élite dirigeante selon le chercheur Thierry Vircoulon – où la nuit on peut entendre le ronronnement de groupes électrogènes alimentant les villas huppées en courant, la ville est généralement plongée dans le noir durant plusieurs mois. Donc, dans la capitale centrafricaine, l’obscurité est un bon moyen de camouflage pour traiter des affaires plus ou moins avouables. Ce qui est loin d’être le cas de la ville Lumière dont la moindre ruelle est éclairée.
À preuve, malgré l’ambiance feutrée et la lumière tamisée de ce restaurant du 16e arrondissement qu’ils ont choisi pour sa discrétion, les deux émissaires du président centrafricain en France, son ministre de l’Intérieur et de la sécurité publique Nicaise Nassin ainsi que le directeur général de la police nationale Bienvenu Zokoue, n’ont pas réussi à se dissimuler.
Les deux hommes, qui ont séjourné dans la capitale française du 2 au 12 novembre dernier, ont été aperçus en train de déambuler dans la capitale française alors qu’ils sont les rouages essentiels de la présence des mercenaires russes de Wagner en Centrafrique. D’ailleurs, ils étaient tous les deux présents à l’inauguration des statues à la gloire d’Evgueni Prigojine, l’ex-patron du groupe Wagner, et son bras droit Dmitri Outkine, morts dans un crash d’avion le 23 août 2023, le mardi 3 décembre dernier, devant la Maison russe de Bangui.
Négociations secrètes avec la France
Le problème, c’est que leur ordre de mission indiquait qu’ils se rendaient à Glasgow, en Écosse, pour un séminaire organisé par Interpol. Mais curieusement, leur trajet s’est arrêté à Paris, où ils ont passé une dizaine de jours aux frais de l’État centrafricain avant de retourner à Bangui, en expliquant avoir essuyé un refus de visas d’entrée sur leur territoire de la part des autorités britanniques.
« Au regard de la politique de délivrance de visa de la Grande-Bretagne aux ressortissants centrafricains, il est évident que ce déplacement avait toutes les chances de ne pas avoir lieu. En réalité, Nicaise Nassin et Bienvenu Zokoue ont utilisé ce prétexte pour déjouer la vigilance de leurs partenaires Russes, dont ils sont proches, et qui devaient chercher à connaître le motif de leur mission à Paris. Ce qui est sûr, les hommes de Wagner ne pouvaient pas apprécier que leurs deux amis séjournent aussi longtemps en France », analyse un cadre du ministère centrafricain de la Défense sous le couvert de l’anonymat.
Selon nos informations, le ministre centrafricain de l’Intérieur et le directeur général de la police nationale ont été dépêchés dans la capitale française pour discuter du volet sécuritaire d’une éventuelle reprise de l’exploitation du gisement d’uranium de Bakouma par la société Orano, ex-Areva. Faut-il le préciser, le site est présentement occupé par les hommes de Wagner.
Toujours d’après la source précédemment citée, Nicaise Nassin et Bienvenu Zokoue se sont rendus à Paris pour poursuivre les négociations secrètes avec les officiels français. On le sait, des tractations discrètes sont à l’œuvre entre Bangui et Paris, notamment sur la question du renouvellement de l’aide budgétaire accordée au régime en place, et que d’ailleurs, Emmanuel Macron, président sans gouvernement, s’est mis tête de se rabibocher avec son homologue Faustin Archange Touadera.
Signe du réchauffement des relations entre les deux chefs de l’État, dès le lendemain du retour des émissaires centrafricains à Bangui, à savoir le 13 novembre 2024, la France a versé pour la première fois depuis trois ans une aide budgétaire, par un don de 10 millions d’euros à la République centrafricaine.
Une aide destinée à financer « directement, sans conditionnalité, ni aucune réserve, des opérations relevant de la souveraineté et de la gouvernance démocratique de l’État centrafricain », selon l’ambassadeur de France, Bruno Foucher, qui voit dans le geste de ses autorités, le « signe du réengagement progressif et de la normalisation des relations bilatérales entre les deux pays ».
La colère des hommes Wagner
Dès lors, il est difficile de ne pas mettre en relations la reprise de la campagne hostile contre les intérêts français, organisées par les hommes de Moscou sur place avec les discussions entamées par Paris et Bangui pour la relance d’une coopération apaisée.
Par exemple, la récente déclaration de Jules Ndjawé, l’un des conseillers camerounais de Faustin Archange Touadera sur une télévision camerounaise, relative à un supposé projet d’assassinat du président centrafricain par la France, s’inscrit dans le cadre de l’opération de désinformation dont l’objectif est de faire échouer la réconciliation entre les deux pays.
Il est donc aisé de comprendre l’attitude des deux émissaires centrafricains, qui ont entouré leur mission à Paris d’un halo de mystère pour ne pas être dans le viseur des hommes de Wagner.