En Centrafrique, la gestion opaque du port sec de PK 26 révèle la prédation au sommet de d’État

Un président de la République qui est actionnaire dans toutes les affaires florissantes, un État en quasi-faillite qui peine à boucler ses fins de mois et qui ne compte que sur les aides internationales pour faire face à ses dépenses régaliennes. Pourtant, les maigres recettes collectées par certains services publics atterrissent directement dans les poches des principaux responsables du pays. Révélations sur un scandale d’État.

Les Centrafricains se souviendront sans doute de la présidence de Faustin Archange Touadera comme de celle durant laquelle les structures étatiques ont été mises au service d’obscurs intérêts privés, où des dirigeants sans scrupule et prédateurs, nourrissant aucune empathie pour le petit peuple, ne se privent pas d’instaurer des taxes tous azimuts sur les produits de grande consommation. Ces taxes, faut-il le souligner, asphyxient littéralement les populations et leur pouvoir d’achat aléatoire.

Qu’il s’agisse de celles qui ont fait grimper les prix des produits pétroliers à la pompe, lesquels sont qualifiés par la population de « taxes-Wagner » du nom du groupe paramilitaire russe, et qui ont imposé la République centrafricaine en tête de liste du classement des pays au monde où les carburants sont les plus chers. Qu’il s’agisse des prélèvements instaurés sur les transactions effectuées par mobil money, ces solutions de paiement développées par les sociétés de télécommunications. Qu’il s’agisse des frais supplémentaires payés par les usagers à la société privée chargée de la délivrance des cartes nationales d’identité, contrairement au prix prévu par la Loi des finances.

Affairisme à tous crins

Ces taxes ont une particularité, et lorsqu’on tente de remonter leur fil, elles conduisent toutes vers le président centrafricain, Faustin Archange Touadera. « Si vous observez bien, les propriétaires des sociétés qui pratiquent des prix exorbitants sur leurs biens et services, sont des partenaires d’affaires du chef de l’État. Car avant d’obtenir les marchés et les autorisations d’exercer, il leur est exigé d’attribuer gratuitement des parts de leurs sociétés à ce dernier, qui est donc directement l’un des bénéficiaires des dividendes générées », nous confie une source au ministère des Finances, qui précise que la « pratique est connue de tout le monde ».

Celle-ci est formelle : la condition essentielle ayant conduit à l’attribution par l’État de l’exploitation du port sec de PK 26, situé à la sortie nord de Bangui, au groupe Mercure Logistics, appartenant à un ressortissant libanais qui est déjà propriétaire d’un supermarché dans la capitale centrafricaine, était d’inclure à titre personnel le président centrafricain parmi les actionnaires. Il ne faut pas s’étonner, assure notre source que Mercure Logistics décide de la hausse du prix les taxes liées à l’importation des marchandises dans le pays.

Des taxes exclusivement payées en espèces

Depuis que l’exploitation du port sec de PK 26 a été confiée au groupe Mercure Logistics, les taxes prévues pour les containers de 40 pieds ont bondi à 700 mille F CFA, alors qu’elles coûtaient 425 à l’époque où elles étaient collectées par Bolloré Logistics. Une augmentation de plus de 50 %, soit 275 mille FCFA de différence. Désormais, les propriétaires des véhicules de 6 roues doivent débourser 500 mille FCFA au lieu des 225 qu’ils payaient à l’État. Là encore, on le constate, l’augmentation a atteint presque 50 %.

Le problème, c’est que cette société exige non seulement que ses services soient payés exclusivement en espèce, mais lesdites recettes ne figurent pas dans la Loi des finances depuis la signature en 2021 du partenariat public-privé entre l’État et le groupe Mercure Logistics. « C’est la preuve que l’argent ainsi collecté prend une autre direction que celle du Trésor public. C’est d’ailleurs la principale explication de l’arrogance des agents de Mercure Logistics envers les usagers ; ils savent qu’ils sont intouchables et n’ont de compte à rendre à personne d’autre que le président de la République, l’un des actionnaires », déclare la source citée précédemment. Or, théoriquement le contrat prévoyait que les revenus issus de l’exploitation soient répartis comme suit : 65 % à la société libanaise et 35 % à l’État centrafricain.

Toutefois, pour justifier ces hausses vertigineuses, Mercure Logistics, qui n’a d’ailleurs pas encore achevé la construction de l’ensemble des infrastructures, dit vouloir se rembourser les 23 milliards de FCFA qu’elle aurait investis pour la mise en service de ce port sec. Seulement, même le montant du prêt avancé est contesté par certains experts. Contactés, les responsables du groupe Mercure Logistics n’ont pas souhaité réagir.

Un véritable braquage d’État

En vérité, le phénomène d’aliénation des services de l’État au profit d’intérêts autres que ceux de la collectivité ne se limite pas seulement, comme on vient de le voir, à l’exploitation des installations du port sec de PK 26. Tout se passe comme si chaque détenteur d’une délégation de service public se fait fort de frapper les Centrafricains à la poche. C’est en effet l’exemple du ministère des Transports, qui a exigé, par une simple circulaire signée du ministre, aux propriétaires de véhicules ayant des vitres teintées d’obtenir une autorisation préalable, dont le prix est fixé à 100 mille FCFA, avant de circuler dans le pays.

Là encore, aucune trace dans la Loi des finances. Les recettes sont gérées par le ministre des Transports lui-même, tant et si bien que le directeur général de la gendarmerie, dont les hommes sont chargés d’effectuer les contrôles demande aux gendarmes de faire payer 50 mille FCFA aux automobilistes ne possédant pas la fameuse autorisation spéciale. Charge à eux de se débrouiller avec les services du ministère des Transports pour régulariser la situation.

Au-delà du fait que les vitres des véhicules de nouvelle génération sont presque toutes teintées, l’autorisation délivrée par le ministère des transports n’a aucune valeur et ne règle aucunement les problèmes d’insécurité contre lesquels elle est censée lutter. Car elle n’empêche personne de transporter dans son véhicule des armes et d’autres produits dangereux. D’autant que dans la plupart des cas, la présentation du sésame dispense les conducteurs d’ouvrir le coffre des véhicules afin de permettre une vérification approfondie.

Un chef de l’État transformé en loueur d’engins

À cela, il faut ajouter, et c’est peut-être le scandale le plus grave connu sous l’actuel régime, les pratiques peu orthodoxes de l’Office national du matériel (ONM). Plusieurs sources indiquent que cet organisme public utilise les engins appartenant à l’État pour des chantiers privés, et fait payer aux pouvoirs publics les travaux d’intérêt général que le gouvernement lui confie. « Savez-vous que le président de la République fait louer à l’ONM des camions que la Chine avait donné gracieusement à l’État ? Le directeur général, qui est un membre de la famille présidentielle, traite directement avec ce dernier », croit savoir un cadre du ministère des Travaux publics.

Dans ce dossier, en plus de la violation des textes en vigueur interdisant au président de la République d’exercer toute autre fonction et activité, commerciale ou non, se pose la question, et c’est sans doute la plus triste, de la concurrence déloyale que le principal dirigeant du pays fait aux opérateurs économiques, qui ne peuvent plus prétendre au marché de l’ONM. Inutile d’être surpris que dans ces conditions l’économie centrafricaine soit en perdition et que les caisses de l’État sont vides. Sans compter le mépris des donateurs pour le chef de l’État, qui n’hésite pas à accaparer le matériel destiné à l’État. En réalité, ce qui menace les fondements de la République centrafricaine, c’est la prédation éhontée des actuelles autorités.

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