Pour l’ancien ministre centrafricain Adrien Poussou, le double standard de la communauté internationale à l’égard de la junte militaire guinéenne, qui multiplie les arrestations arbitraires, les atteintes à la liberté de la presse, tout en organisant la disparition des leaders de la société civile et la mort suspecte d’officiers, ne fait l’ombre d’aucun doute.
Les informations en provenance de la Guinée de Mamadi Doumbouya tendent à démontrer que ce pays d’Afrique de l’Ouest a renoué avec les méthodes autoritaires héritées de la dictature sanguinaire de Sékou Touré. Arrivé au pouvoir à la faveur d’un putsch sanglant, le 5 septembre 2021, le président de la transition ne semble pas s’être aperçu du changement d’époque. Le comble, c’est qu’en dépit de la « loi de la junte » qu’il a réussi à imposer aux Guinéens, laquelle continue de faire des innocentes victimes, l’ancien légionnaire français continue de profiter d’une certaine mansuétude de la communauté internationale.
Hermétiquement fermé à tout compromis, comme il n’a cessé de le montrer dès le lendemain du putsch, avec les restrictions visant les libertés fondamentales, le chef de la junte militaire est implacable avec tous ceux qui sont simplement soupçonnés de contrarier son plan de confiscation du pouvoir. Conséquence, l’impunité et le climat de violence que lui et ses hommes font régner dans le pays ne cessent de faire des victimes. La dernière en date est le colonel Célestin Bilivogui. Disparu depuis près d’un an après son arrestation par des gendarmes à son bureau, le corps de cet officier supérieur a été présenté à son épouse le mercredi 25 septembre à la morgue de l’hôpital Ignace Deen de Conakry.
Zones d’ombre et décès suspects
Avant le colonel Célestin Bilivogui, l’ancien chef d’état-major général des armées, le général Sadiba Koulibaly, est décédé en prison, fin juin. Moins de dix jours auparavant, ce général populaire au sein de la troupe, autrefois numéro deux du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD, la junte au pouvoir), avait été condamné à cinq ans de prison pour des supposés faits de « désertion » et de « détention illégale d’armes ».
Si les conditions de la disparition et du décès de ces militaires ne sont pas encore connues, elles renforcent néanmoins les craintes déjà exprimées sur le sort réservé à Foniké Mengué et Bilo Bah, dirigeants du Front national de la défense de la Constitution (FNDC), eux aussi portés disparus après leur arrestation, le 9 juillet dernier. Un an plus tôt, le 5 juillet 2022 déjà, l’extrême brutalité avec laquelle ces leaders de la société civile avaient été arrêtés, en pleine conférence de presse, en disait long sur la nature du régime de Mamadi Doumbouya.
Les zones d’ombre qui entourent les décès suspects ainsi que la multiplication des enlèvements d’opposants, érigés en méthode de gouvernement, suscitent les inquiétudes des observateurs attentifs. Ces craintes sont d’autant plus justifiées que les considérations tribales ne sont pas étrangères à cette politique de terreur du maître de Conakry. Certains analystes expliquent les enlèvements et les éliminations physiques par l’incapacité de Mamadi Doumbouya, dont la conception du pouvoir ne peut qu’être absolu, à supporter la notoriété des autres officiers malinkés et soussou au sein de l’armée.
Exactions en série et restrictions des libertés
Inutile dans ces conditions de rappeler que le président de la transition n’avait pas hésité de s’en prendre à Cellou Dalein Diallo, leader politique issu de la communauté peule. Le 28 février 2022, en dépit de ses protestations, le président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) a été expulsé manu militari de sa résidence privée, laquelle a été par la suite démolie sans une décision judiciaire. Ensuite, ses plantations de Coyah et Forécariah, dans les environs de Conakry, avaient été saisies par les autorités militaires. L’ancien opposant à Alpha Condé avait dû quitter Conakry pour s’exiler à l’étranger afin de sauver sa peau.
Il est évident que le mutisme des organisations internationales face à ce régime opaque et brutal, en plus de créer un effet de désinhibition chez ses hommes, les encourage à multiplier les exactions et les restrictions des libertés publiques. Surtout en ce moment, où le chef de la junte a tombé le masque, se rendant coupable de parjure en reniant le serment fait aux Guinéens, et s’apprête lui aussi, à l’instar du malien Assimi Goïta, à proposer à l’adoption une Constitution lui permettant de se porter candidat à la future élection présidentielle.
Approche accommodante et double standard
À commencer par la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) qui, malgré les violations des droits humains observées, se montre désormais conciliante à l’égard de la junte militaire de Conakry. Finies ses exigences d’un « chronogramme clair et raisonnable ». L’organisation sous-régionale, trop occupée à se rabibocher avec les juntes de l’AES, semble avoir capitulé devant les oukases d’un Mamadi Doumbouya, persuadé que le temps joue en faveur de ses ambitions personnelles.
Pire, la récente réintégration de la Guinée au sein de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), trois ans après sa suspension liée au putsch du 5 septembre 2021, est un message de découragement adressé à tous ceux qui essaient de résister au relent dictatorial du président de la transition. Preuve est faite qu’il existe bien un « double standard à l’égard des coups d’État » sur le continent.
En tout cas, tout se passe comme si le comportement des autres putschistes du Sahel sert comme une substance favorisant l’absolution des dérives de leurs compères de Conakry. Les puissances occidentales, la France en tête, sans doute échaudées par le raidissement des autres juntes militaires de la sous-région – qui n’entrevoient l’avenir que dans les bras de la Russie de Poutine – à leur endroit, optent maintenant pour une approche excessivement accommandante vis-à-vis du régime guinéen.
Impératifs géostratégiques contre les valeurs
Autrement dit, pour défendre leurs intérêts économiques et se garantir un accès fiable aux matières premières stratégiques, certains membres de la communauté internationale s’associent à la faillite morale des autorités de la transition guinéenne, devenant ainsi de simples spectateurs passifs des injustices dont ce régime se rend coupable ; ils restent silencieux ou détournent leur regard lorsque les militaires du CNRD répriment, embastillent à tour de bras et forcent les citoyens à l’exil. Résultat, ils sont peu raccords avec l’idée que les démocrates africains se font de leur attachement aux principes démocratiques.
Or, réduire les rapports du bloc occidental avec l’Afrique à des questions d’influence et de parts de marché à gagner ou à préserver pousse à faire l’impasse sur la répression et les oppressions. Sans avoir une vision naïve des relations internationales, on ne peut s’empêcher de souligner que quand on se veut hérault de la démocratie, on doit s’intéresser à l’Homme et non aux ressources qui se trouvent dans son sous-sol. C’est la preuve que les impératifs géostratégiques des pays occidentaux emportent leurs soutiens, orientent leurs décisions, et priment souvent sur les valeurs qu’ils proclament. Et après, ils s’étonnent que leurs discours ne fassent plus recette dans ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler le Sud global.
Adrien Poussou