En Russie, contrairement à la propagande, les droits humains des africaines sont bafoués

Selon toute vraisemblance, la Russie se livre à la traite d’êtres humains en recrutant des jeunes femmes africaines dans ses usines pour servir de petites mains pour la fabrication des drones. Une réalité qui contredit la propagande officielle. Éric Topona Mocnga, journaliste à la Deutsche Welle.

 

C’est une réflexion pertinente et une critique très souvent faite à l’endroit des relais tonitruants de la Russie de Vladimir Poutine en Afrique. Pour rien au monde il ne leur viendrait à l’esprit de porter en Afrique leur propagande anti-occidentale à partir de Moscou ou de l’un des pays satellites du Kremlin​.

Comment parviennent-ils à expliquer à leur public fanatisé des réseaux sociaux leur propension à diaboliser l’Europe, lui attribuant la responsabilité de tous les maux qui minent le continent africain, tout en tirant avantage pour leur confort personnel et celui de leurs familles, des droits et libertés que leur offre cette précieuse base arrière occidentale dont ils sont par ailleurs pour la plupart devenus des citoyens ?

Droits de l’Homme bafoués en Russie

Ces incohérences, voire ces inconséquences s’expliquent au regard des récents développements de l’actualité sur les violations des droits humains dont sont victimes les Africaines en Russie, et c’est le moins qu’on puisse en dire.

En réalité, tous ces contempteurs de l’Europe, qui avancent pour la plupart sous la bannière respectable et très commode du combat panafricaniste, sont conscients qu’ils bénéficient en Occident, précisément en Europe, d’un espace de civilisation parmi les plus avancés de notre temps en termes de respect des libertés fondamentales, au premier rang desquels la liberté d’expression. Mais pas seulement ! Les droits sociaux aussi, entre autres, ceux des travailleurs.

Un reportage récent ​du quotidien français Le Monde est extrêmement édifiant à cet égard. On y voit une jeune Africaine en plein désarroi, qui se retrouve dans une usine de fabrication de drones pour l’industrie russe de l’armement​ destinés à la guerre en Ukraine. Mais ce n’est pas tant cet emploi qui pose problème que les conditions de son recrutement, si toutefois c’en est un.

En effet, non seulement cette jeune femme n’a pas été recrutée pour servir comme petite main dans cette usine, mais, en outre, elle se retrouve sous-rémunérée et ne jouit d’aucun des droits reconnus à tout travailleur, conformément aux conventions internationales actuelles auxquelles la Russie est pourtant partie prenante.​

Moscou a profité de l’indigence de ces jeunes femmes pour les appâter en mettant en place le programme Alabuga Start, un programme de formation professionnelle et d’emploi lancé en 2022 dans la Zone économique spéciale d’Alabuga. Grâce à ce programme, des jeunes femmes âgées de 18 à 22 ans sont recrutées pour travailler sur le site Alabuga SEZ. Promesse leur est faite de leur permettre de suivre des cours de langue russe et une formation professionnelle avec à la clé un salaire décent et un logement​.

Corvée dans des conditions déshumanisantes 

Plus récemment, sur les antennes de la BBC, en date du 7 novembre 2025, une jeune femme, originaire du Soudan du sud faisait un témoignage tout aussi pathétique. La scène se passe en Russie, précisément en république du Tatarstan, dans une zone économique spéciale. La jeune femme avait répondu à une promesse d’emploi à temps plein. ​Quelle ne sera pas sa stupéfaction lorsque, une fois sur place, elle découvre qu’elle a été mobilisée pour une ​corvée, qui plus est dans des conditions déshumanisantes : « On nous a donné nos uniformes sans même nous dire exactement ce que nous allions faire. Dès le premier jour, on nous a emmenées à l’usine de drones. On est entrées et on a vu des drones partout et des gens qui travaillaient. Ensuite, on nous a conduites à nos différents postes de travail ». ​Il ne s’agit là que d’un travail en usine.

Enrôlement forcé des Africains dans l’armée russe

En effet, la condition des Africains enrôlés contre leur volonté et initialement à leur insu, dans l’armée russe, pour être aussitôt envoyés en ligne de front est tout aussi préoccupante, voire plus. Non seulement ces Africains n’en reviennent quasiment jamais, mais ils sont immédiatement envoyés sur la ligne de front pour servir de chair à canon.

À cet égard, dans une sortie récente sur les réseaux sociaux, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, ​Andrii Sybiha,​ s’en était indigné. Il s’était alors fendu d’une mise en garde à l’endroit des jeunes Africains et de leurs gouvernants, en réponse à une sollicitation du chef de l’État kenyan, William Ruto, qui plaidait pour la libération de l’un de ses jeunes compatriotes : « J’exhorte tous les gouvernements africains à faire des déclarations publiques, avertissant leurs citoyens de ne pas rejoindre l’armée d’invasion russe ».

C’est le lieu de rappeler que, depuis le début de cette guerre, toujours selon le ministère ukrainien des Affaires étrangères, 1 436 citoyens de 36 pays africains combattent aux côtés de la Russie.

Les mises en garde de Pretoria

Ce système de recrutement de femmes pour aller travailler en Russie a également fait grand bruit en Afrique du Sud​. Sur les réseaux sociaux, rapporte le journal Le Monde, « des influenceurs sud-africains sont accusés d’avoir encouragé des jeunes femmes africaines à se rendre au Tatarstan pour fabriquer des drones, en faisant la promotion du programme Alabuga Start ».

C’est pourquoi, début octobre 2025, le ministère sud-africain des Femmes et des Jeunes a, dans un communiqué, exprimé sa « vive préoccupation » au sujet du recrutement dans des conditions opaques des Sud-Africaines pour décrocher un emploi en Russie.

« Nous exhortons les jeunes à faire preuve d’une prudence extrême concernant les offres non sollicitées d’emploi à l’étranger, en particulier celles diffusées sur les réseaux sociaux et autres plateformes en ligne », a en substance affirmé le porte-parole Cassius Selala.

Manque de dignité et de respect

Au-delà de cet asservissement des Africains en Russie, ces exemples illustrent le peu de cas que la Russie de Poutine accorde aux Africains en termes de dignité et de respect. On peut d’ailleurs relever pour le déplorer que l’on assiste même à un recul considérable par rapport aux années de la Guerre froide.

Durant cette période, les Africains étaient traités dans l’ancienne URSS avec davantage de considération qu’ils ne le sont aujourd’hui. De nombreux étudiants africains y ont effectué des études de très haut niveau, puis ont regagné, pour nombre d’entre eux, leurs pays​ nouvellement indépendants, pour contribuer à leur édification. Le temps où l’on érigeait l’université Patrice Lumumba ​de Moscou en hommage au leader nationaliste et panafricaniste congolais n’est plus qu’un lointain souvenir.

Fort malheureusement, face à ces violations massives et récurrentes des droits humains des Africains en Russie depuis l’invasion de l’Ukraine, les porte-voix prétendument panafricanistes du Kremlin en Afrique se gardent bien de les dénoncer.

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