Faut-il supprimer l’Onu ?

Le retour en force des anciens empires du XIXsiècle sobrement baptisés Sud global prouve que l’Organisation des Nations unies n’a pas seulement besoin de réformer son Conseil de sécurité pour y faire entrer de nouveaux membres permanents disposant du droit de véto. Elle a besoin de se donner les moyens de ses ambitions ou de disparaître.

Il y a quelques semaines en arrière, afin de montrer l’exaspération des prélats camerounais devant l’entêtement des partisans du président Paul Biya à vouloir présenter sa candidature lors de la prochaine élection présidentielle prévue en octobre 2025, Mgr Yaouda Hourgo, évêque du diocèse de Yagoua, s’est agacé en ces termes : « Pourquoi exige-t-on toujours qu’il soit candidat ? Vous pourriez donner la houe ou la machette à votre grand-père de 92 ans pour qu’il aille à pied travailler au champ ? ».

Retour des anciens empires du XIXe siècle

Il en va de même de cette grand-mère de 80 ans qu’est l’Organisation des nations unies (Onu) qui, en plus de ses faiblesses rédhibitoires, présente de grands signes d’essoufflement, au moment où le monde traverse une période tout à fait hallucinante, marquée par une crise de la démocratie, de la forme de l’État, la montée en puissance des extrémismes violents, les menaces collectives transnationales, le spectre croissant de conflits entre nations détentrices de l’arme nucléaire ; sans compter l’irrésistible croissance d’acteurs non étatiques au dessein inavoué disposant de moyens illimités, le délabrement des tissus socio-économiques et éducationnels, les défis majeurs de l’information électronique, de l’intelligence dite artificielle, des maladies et famines chroniques. D’ailleurs, ce bref inventaire des maux auxquels le monde actuel est confronté ne prétend pas à l’exhaustivité.

Devant un tel tableau alarmant, inutile de rappeler l’évidence en indiquant que les structures actuelles de l’Onu sont inadaptées à cette époque, propice à l’irrationnalité. Le monde ayant basculé dans une nouvelle ère, celle du retour en force des anciens empires du XIXe siècle qu’on a eu tort de croire morts à jamais, et qui n’ont que faire du droit international.

Pis, les rangs de l’ « internationale réactionnaire », dénoncée par le président français Emmanuel Macron dans son discours aux ambassadeurs, se sont garnis de Donald Trump, investi 47e président des États-Unis, ce lundi 20 janvier 2025. Or, cet homme est pathologiquement convaincu que la politique est une affaire de testostérone. Tel un gladiateur des temps modernes, il veut tout régler à coups de marteau-piqueur. L’humilité n’est nullement son fort, « l’effervescence » lui tenant lieu de raisonnement, affectionnant « l’autoglorification » et ne connaissant que « l’autocélébration ».

« Fictions identitaires pour perpétuer le mensonge du despotisme totalitaire »

C’est cet individu, dont l’équilibre mental est sujet à caution, qui rejoint sur la scène internationale la bande à Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdogan, Ali Khamenei, Xi Jinping, Narenda Modi, et le petit dernier Kim Jong Un, ces dirigeants qui entendent « disloquer la mappemonde avant de, séparément, se la disputer ». Leur point commun ?

«Chacun d’entre eux règne férocement sur sa population, exploite systématiquement son pays, écrase impitoyablement ses opposants, ses minorités, ses élites. Chacun d’entre eux arme militairement ses ambitions, camoufle diplomatiquement ses agressions, revendique crûment ses expansions. Chacun d’entre eux nie l’État de droit et les droits humains dans ses frontières, le droit international et les droits fondamentaux hors de ses frontières. Tous fabriquent des fictions identitaires pour perpétuer le mensonge du despotisme totalitaire[1]. »

Malheureusement, dans ce monde où la mode du moment impose d’être sur le ring avec tous ceux que l’on n’aime pas ou que l’on déteste pour s’envoyer des méchancetés à la figure, les Nations unies sont dépassées. On ne compte plus le nombre de rapports produits par ses experts, ni le nombre de fois où elle a condamné des crimes odieux heurtant la conscience humaine, sans résultats tangibles. L’Onu est aujourd’hui réduite à quémander l’indulgence d’acteurs troublant l’ordre international. On ne parle même pas du mépris affiché par les dirigeants israéliens devant ses résolutions, et son impuissance face au drame de la bande de Gaza.

Aussi, à côté des tenants de l’ « international réactionnaire », il y a des roitelets qui tentent de se soustraire du contrôle de la communauté internationale en s’émancipant des règles internationales, sans subir les conséquences. C’est l’exemple du président rwandais Paul Kagame, qui ne cesse d’agresser la République démocratique du Congo (RDC) depuis de nombreuses années au prétexte qu’elle hébergerait de résidus des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) ne présentant pourtant aucune espèce de menaces pour la sécurité de Kigali.

Repenser les structures du l’Onu ou la supprimer

Faut-il le souligner, le dernier rapport du Groupe d’experts des Nations unies sur la situation dans l’est de la RDC, rendu public le 7 janvier dernier, avance que la prise de la localité de Rubaya «n’aurait pas été possible sans l’aide militaire apportée par le Rwanda au M23 », tout en précisant que « 3 000 à 4 000 militaires rwandais combattent activement aux côtés des rebelles ».

Et depuis la conquête de cette cité minière, le 30 avril 2024, le M23 contrôle « le commerce et le transport mensuel de 120 tonnes de coltan pour un gain d’au moins 800 000 dollars par mois en imposant des taxes aux mineurs et aux négociants », affirment les experts de l’Onu.

Au-delà, cet énième rapport, qui rassemble des témoignages, images satellites et documents à l’appui, montre clairement que l’occupation d’une partie de l’est de la RDC bénéficie directement à l’économie rwandaise. Ce qui confirme l’assertion qui veut qu’en suivant l’argent, on saura forcément à qui profite un crime.

Évidemment, il ne suffit plus de se scandaliser de cette situation ou de pousser des cris d’orfraie. Chaque fois qu’un dirigeant s’octroie indûment des libertés avec le principe des relations internationales, il doit sentir passer le vent du boulet et la rigueur du droit. Sinon, à quoi sert-il de se donner des règles que personne n’applique ?

Le tout n’est pas de réclamer à cor et à cri la réforme du Conseil de sécurité. L’urgence, à n’en point douter, est de repenser les structures de l’Onu, de lui donner des moyens de coercitions, à défaut de la supprimer purement et simplement.  Car, si le vin vous gêne dans votre travail, supprimez le travail.

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[1] Jean-François Colosimo, Occident, ennemi mondial n°1, Albin Michel

  • Adrien Poussou

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