François : un pape iconoclaste dans son temps et hors de son temps

Jusqu’à cet ultime moment où il tire sa révérence,​ ce 21 avril 2025, le pape François​ (de son nom Jorge Mario Bergoglio​) aura été une fois de plus, à cet instant unique et crucial que ne vaut nul autre dans la vie des hommes hormis la naissance, un homme de paradoxes. Éric Topona Mocnga, journaliste à la Deutsche Welle

Il rejoint « la maison du Père », comme l’exprime le communiqué du Vatican qui annonce son décès, le lundi de Pâques. Ce jour où les fidèles chrétiens sont encore dans les joies de la célébration de la résurrection du Christ des entrailles de la mort, du triomphe éternel des forces de la lumière sur les puissances des ténèbres.

Si, pour certains​, le paradoxe de son décès tient à ce que l’on se serait plutôt attendu à une rémission durable du souverain pontife, comme le laissait présager sa convalescence commençante, pour d’autres, le pape François est plutôt entré avec le Christ dans la félicité divine ce saint lundi de Pâques.

Ce pape qui disait, au lendemain de son élection ​(le 13 mars 2013), que Dieu et le Collège des cardinaux « sont allés chercher un pape au bout du monde » a justement, dès les premiers actes fondateurs de son pontificat, tenu à prouver qu’il venait d’un monde dont n’étaient pas coutumier les évêques de Rome. Il n’a effectivement jamais perdu de vue qu’il venait du « bout du monde ».

Pape sobre et proche des vulnérables

Jorge Mario Bergoglio n’a jamais oublié que sa foi s’est affermie au contact permanent de la détresse humaine, de la marginalisation des plus vulnérables dans les taudis et les bidonvilles de Buenos Aires dont il fut l’archevêque. Il n’a jamais oublié qu’il est le fils d’une Amérique latine qui, durant le XXe siècle, fut le paradis des dictatures, des totalitarismes, du piétinement des libertés individuelles et collectives.

C’est donc parce qu’il vient du bout du monde que François, dès son entrée en fonction à Rome, se dépouille des apparats et autres pompes habituellement rattachés à la fonction pontificale depuis des lustres. Il délaisse les ors des appartements pontificaux pour un appartement modeste et convivial de la chapelle Sainte Marthe. Il ôte à la papamobile son impressionnant faste pour un véhicule ramené à l’essentiel de sa mission de successeur de Pierre et de pasteur du Christ.

Pour l’un de ses premiers déplacements hors de Rome à l’issue de son élection, ce pape ​a inscrit son pontificat sur les traces de saint François d’Assise​ (il a révélé la force de l’Évangile et donné espoir aux pauvres tout en manifestant sa passion pour le Christ). Il fait don à un mendiant de son manteau luxueux, se rend à Lampedusa, en 2013, et à Lesbos, en 2016, ces lieux d’échouages et de naufrages permanents de migrants venus du « bout du monde », à la recherche désespérée du gîte et du couvert, au risque de ne jamais atteindre le rivage tant espéré au moment de la traversée du « cimetière méditerranéen », selon les termes du souverain pontife​ lui-même.

Le 16 avril 2016, sur l’île grecque de Lesbos, le pape François déclare : « Nous sommes tous des migrants. C’est triste et douloureux de voir les portes fermées : les portes fermées de notre égoïsme, de notre indifférence à l’égard de ceux qui souffrent, de ceux qui sont étrangers, différents, migrants, pauvres. »

Un pape ouvert et conciliant

Le pontificat de Jorge Mario Bergoglio n’a pas seulement innové par l’extraordinaire fibre sociale du successeur de Pierre. Les papes qui l’ont précédé sont davantage entrés dans l’histoire en s’illustrant sur les terrains périlleux et glissants des questions doctrinales, théologiques ou géopolitiques. Jean XXIII, saint Jean-Paul II et Benoît XVI furent de ceux-là. Le pape François n’a pas esquivé ce terrain, tant s’en faut.

En 2 000 ans d’histoire de l’Église, il est l’un des cinq papes qui auront réformé sa constitution pour promouvoir des femmes aux postes à responsabilités au sein de la curie romaine. Il aura secoué les colonnes du Temple sur des questions aussi sensibles que l’homosexualité au sein de l’Église, le mariage des divorcés, tant et si bien que, pour une rare fois dans l’histoire de la papauté, des prélats, notamment du clergé africain, ont publiquement et frontalement exprimé leur opposition au souverain pontife, avec comme chef de file le cardinal Fridolin Ambombo de la République démocratique du Congo, le plus grand pays catholique d’Afrique, après la publication de la Déclaration Fiducia Supplicanspar le dicastère de la foi.

Une fronde que le pape François désamorça en recevant au Vatican les prélats africains contestataires. Le jésuite qu’il était ne se doutait pas que cette sortie susciterait au minimum une levée de boucliers, au pire déboucherait sur un ​schisme. Mais, dans son approche stratégique sur des questions doctrinales hautement sensibles, il sait que le plus difficile, c’est oser.

Les résultats du conclave qui se réunira à Rome à l’issue de ses funérailles, ​le samedi​26 avril, donneront des indications sur la volonté majoritaire des gardiens du Temple que sont les cardinaux du Sacré Collège.

Du pontificat de François, on retiendra son art du contrepied et des paradoxes, mais que ce fut aussi probablement l’un des papes les moins dogmatiques et des plus iconoclastes de l’histoire de l’Église. Il fut à la fois un prélat de son temps et hors de son temps.

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