Au départ, il s’agissait d’un blocus, voire de sabotages ou de perturbations des terroristes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) contre l’approvisionnement en hydrocarbures des principales régions et villes du Mali. L’analyse d’Éric Topona, journaliste à la rédaction Afrique francophone de la Deutsche Welle, à Bonn (Allemagne).
Pour nombre d’observateurs, les attaques des terroristes islamistes, à leurs débuts, n’étaient guère de nature à donner lieu à des inquiétudes alarmistes, car il s’agit de stratégies de combat classiques dans toute guerre. Mais, au fur et à mesure que les nuisances du JNIM s’étendent sur la longue durée, les autorités maliennes, les populations et la communauté internationale réalisent qu’il s’agit en réalité d’une stratégie d’asphyxie de l’État malien tout entier.
Les hydrocarbures sont le poumon sans lequel aucun État ne peut se maintenir, y compris sur une courte durée. Or, à l’observation, le blocus du JNIM porte atteinte à la souveraineté de l’État malien dans sa capacité à assumer ses missions régaliennes, au premier rang desquelles la sécurisation de son territoire. Mais, plus grave, il n’y a pas que les forces de défense et de sécurité qui en sont impactées, mais aussi les activités économiques qui sont à l’arrêt, la liberté de circulation pour les personnes, l’éducation, la santé et tous les rituels périphériques de la vie ordinaire qui rendent possible le fonctionnement classique du corps social.
Cote d’alerte malgré l’inaction des militaires au pouvoir
L’État central malien n’est certes pas demeuré inactif, loin s’en faut. Néanmoins, les populations comme les transporteurs des camions-citernes de carburant ne tarderont pas à réaliser que, en dépit de la forte mobilisation des forces de l’ordre pour sécuriser l’acheminement du carburant vers Bamako et d’autres centres névralgiques du pouvoir, l’emprise du JNIM ne cesse de se resserrer et, dans le même temps, l’incapacité, voire l’impuissance de l’État malien à neutraliser les actes de déstabilisation des terroristes sont de plus en plus vouées à l’échec.
La cote d’alerte a été atteinte lorsque, vers la fin du mois d’octobre, certaines grandes chancelleries occidentales ont vivement recommandé à leurs ressortissants présents au Mali de quitter de toute urgence le pays ou de se garder de s’y rendre. Le président de la Commission de l’Union africaine, Mahmoud Ali Youssouf, dans un communiqué dont cette institution n’est pas coutumière, appelle début novembre la « communauté internationale » à venir en aide sans tarder au Mali, au regard des conséquences désastreuses et de l’effet domino que pourrait induire l’installation d’un régime djihadiste à Bamako.
Où est passée l’AES ?
Au regard de cette dégradation de la situation sécuritaire au Mali et des graves menaces qui pèsent sur sa souveraineté, de nombreux intellectuels et médias africains éludent la question que tout le monde devrait pourtant se poser : où est passée l’Alliance des États du Sahel ? C’est pourtant le moment d’en faire le bilan opérationnel et stratégique au regard des déclarations de bonnes intentions qui ont présidé à sa création.
Aussi, il ne faut jamais perdre de vue que la raison cardinale de la création de l’AES fut la mutualisation des forces de ses trois États membres fondateurs pour combattre efficacement le terrorisme djihadiste, reconquérir leur intégrité territoriale ; bref, réussir là où le G5 Sahel, la France, voire l’Union européenne ont échoué. Bien plus, ces États fondateurs de l’AES ont claqué la porte de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qu’ils disaient inféodée à l’Occident, et, plus récemment, de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).
La force de sécurité commune de 5 000 hommes bruyamment annoncée devrait pourtant faire la preuve de sa capacité opérationnelle au moment où le Mali, l’un des piliers de l’AES, fait face à une menace existentielle. Paradoxalement, l’AES est absente, y compris par le biais d’une communication de réprobation ou offensive.
Protection de la capitale, Bamako
Le pouvoir de Bamako semble ne plus jurer que par la protection de la capitale, siège des institutions, où se sont manifestement repliés les mercenaires de l’Africa Corps qui semblent ne plus avoir pour mission que de protéger ce qui reste du pouvoir central. Dans le même temps, les terroristes du JNIM s’emparent de camps et de bases militaires, rognent chaque jour un peu plus les domaines régaliens de l’État, comme l’instauration d’un port vestimentaire salafiste pour les femmes, dans les villes tombées sous leur contrôle, ou l’assassinat récent d’une jeune TikTokeuse, Mariam Cissé, fidèle aux Forces armées maliennes (FAMa),, dont la mise à mort sur la place publique a ému l’opinion publique malienne et internationale.
Dissensions entre Bamako et Ouagadougou ?
Par ailleurs, certaines informations font état de dissensions persistantes entre les pouvoirs de Bamako et de Ouagadougou, en dépit des efforts de médiation et d’apaisement de leur homologue nigérien. Ironie de l’histoire, c’est surtout vers la Côte d’Ivoire, pays de la CEDEAO, que vont trouver refuge les nombreux Maliens qui redoutent une déferlante djihadiste sur Bamako.
La question qu’il est urgent de poser est de savoir si l’AES pourrait survivre à la chute du pouvoir actuellement aux affaires à Bamako. Comment comprendre que, alors que la Charte qui crée l’Alliance des États du Sahel prévoit une assistance mutuelle en cas d’attaque extérieure de l’un des États membres, ni le Niger ni le Burkina Faso ne se mobilisent pour sauver le pouvoir de Bamako d’un effondrement qui semble chaque jour se rapprocher dangereusement ? Sans céder à quelque catastrophisme que ce soit, il y a de fortes inquiétudes quant à la pérennité de l’AES comme nouvelle entité géopolitique.



