Le Togo est-il à la croisée des chemins ?

Au Togo, la répression des manifestations contre la nouvelle Constitution tenues fin juin, à Lomé, qui aurait fait au moins sept morts et des dizaines de blessés, suscite l’inquiétude de nombreux observateurs. À l’instar d’Éric Topona Mocnga, journaliste à la rédaction Afriquefrancophone de la Deutsche Welle, à Bonn (Allemagne).

Tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles au Togo depuis la modification constitutionnelle, en 2024, qui a institué un régime aux allures parlementaires, mais dont le socle institutionnel demeure d’essence présidentialiste. À mi-chemin des institutions des quatrième et cinquième Républiques françaises, dans la Ve République togolaise, Faure Gnassingbé, désormais président du Conseil, est en réalité le chef de l’État et détient l’essentiel du pouvoir exécutif.

Un soulèvement était cependant fort peu envisageable en dépit des dénonciations de l’opposition qui reprochait au pouvoir de Lomé une volonté à peine dissimulée de conforter le chef de l’État actuel en vue de l’exercice d’une présidence à vie.

Élément déclencheur

Comme dans la Tunisie de Zine el-Abidine Ben Ali (décédé le 19 septembre 2019 à Djeddah, en Arabie Saoudite), tout est parti d’un sentiment d’injustice qui a coalisé des milliers de voix indignées.

En effet, si l’arrestation de l’artiste militant et engagé, Tchala Essowè Narcisse alias Aamron, interpellé nuitamment le 26 mai 2025 par des dizaines de gendarmes, aura servi de détonateur aux mouvements de contestation quasi insurrectionnels actuels, la comparaison avec le Tunisien Mohamed Bouazizi (dont le suicide a été à l’origine des émeutes qui concourent au déclenchement de la révolution tunisienne et par extension aux protestations et révolutions dans d’autres pays arabes, connues sous le nom de Printemps arabe), n’est certes pas raison.

Ce que les deux situations ont en commun, c’est la forte réprobation d’une injustice par une partie de la population, en raison d’une défiance installée envers l’ordre dominant. Interné dans un asile à l’est de la capitale togolaise, le rappeur est apparu quelques jours plus tard pour s’excuser des propos offensants qu’il a tenus à l’endroit du président du Conseil.

La vague de contestation qui n’a cessé de croître autour de sa personne n’a pas faibli. Sa libération, le 21 juin, n’a pas apaisé le courroux des manifestants. D’une revendication pour l’exercice d’une liberté constitutionnelle, d’autres revendications ont émergé autour des problématiques de justice sociale, voire le départ du pouvoir du président du Conseil, Faure Gnassingbé.

Amplifiés par les réseaux sociaux, ces mouvements de rue ont été violemment réprimés par les forces de l’ordre, comme on peut le voir dans les nombreuses vidéos qui circulent actuellement sur les réseaux sociaux.

 Extension des revendications

Il est cependant important de comprendre comment des manifestations de rue, initiées pour défendre l’exercice de libertés et de droits fondamentaux, se sont étendues à des revendications sociales et à une contestation du pouvoir en place et des institutions républicaines.

Si, dans leurs sorties publiques, les autorités y voient la main noire de manipulateurs tapis dans l’ombre et venus de l’extérieur, on n’est cependant pas loin de penser que ces manifestations sont avant tout la traduction d’un malaise bien plus profond. Comme dans de nombreux États africains, majoritairement  où la jeunesse ne croit plus en son avenir.

Cet artiste interpellé est à ses yeux le symbole de leurs aspirations profondes, la voix des sans-voix de sa génération qui n’ont point de bouche. Ils sont nombreux, ces jeunes qui se reconnaissent dans ses textes, notamment dans son magistère assumé de la parole dissidente. Aussi, le réduire au silence reviendrait à les faire taire, donc à les priver de l’exutoire de la parole qui tient lieu de voie de canalisation et d’évacuation de leurs frustrations.

 Violente répression

Par ailleurs, il y a également lieu de s’inquiéter quant à la violence de la répression exercée par les forces de l’ordre sur des manifestants aux mains nues. Celle-ci est pour le moins inquiétante, tant il est évident qu’elle s’éloigne des règles de droit applicables en pareilles circonstances.

Le bilan provisoire publié par plusieurs organisations de la société civile fait état de la mort d’au moins sept manifestants (dont les corps auraient été repêchés dans des cours d’eau de la capitale togolaise). Selon la société civile, ces exactions ont été commises par des éléments des forces de l’ordre et des miliciens étrangers recrutés par les autorités.

Autant le maintien de l’ordre est indispensable pour garantir la sécurité des personnes et des biens, autant l’exercice du monopole de la « violence légitime », au sens où l’entend le sociologue allemand Max Weber, ne se doit guère d’être disproportionné. Cette exigence doit être d’autant plus scrupuleusement respectée qu’à l’ère des réseaux sociaux et des autoroutes de l’information et de la communication il en va de l’image du Togo hors de ses frontières et de la considération que le pays accorde à ses propres institutions, notamment sa constitution.

Mission de bons offices

Pour les jours et les semaines à venir, il est important que la CEDEAO, voire l’Union africaine, dans un souci d’apaisement et de prévention, dépêchent au mieux une mission conjointe, à Lomé, pour un retour à une paix véritable et durable. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest a exprimé son inquiétude face à ces manifestations antigouvernementales qui ont eu lieu la semaine dernière au Togo et qui ont été violemment réprimées par la police.

Dans un esprit de « cohésion sociale », la CEDEAO a appelé toutes les parties prenantes au dialogue, afin de favoriser un climat socioéconomique et politique apaisé, propice au développement.

La France a appelé, le mercredi 2 juillet, les autorités du Togo « à faire toute la lumière sur (les) accusations de torture », après la mort de sept personnes lors des dernières manifestations contre le pouvoir dans la capitale Lomé. En début de semaine, des organisations de la société civile togolaise et des partis de l’opposition ont demandé une « enquête internationale » sur les circonstances de la mort des sept manifestants.

La pérennisation de la confrontation actuelle entre les forces de l’ordre et une partie de la population est préoccupante. L’exacerbation des tensions que l’on observe actuellement pourrait à tout moment déboucher sur une situation incontrôlable. Or, il est vital pour l’ensemble de la région ouest-africaine d’éviter que la crise actuelle échappe aux autorités.

Le Togo, c’est notoirement connu, est un pays pivot dans la région, qui joue un rôle décisif dans les échanges commerciaux, ainsi que dans la circulation des personnes. Son embrasement pourrait faire peser des périls graves bien au-delà de ses seules frontières.

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