Après le passage dévastateur et apocalyptique du cyclone Chido, Mayotte est apparue, aux yeux du monde et de manière dramatique, comme ce bout de France délaissé par l’État central. En dépit de son lointain rattachement à la métropole, l’ile demeure le département français qui cumule tous les handicaps, voire toutes les misères. Ce qui, selon Éric Topona Mocnga, journaliste à la rédaction Afrique francophone de la Deutsche Welle (média international allemand), à Bonn, ajoute de la complexité à sa reconstruction.
Le 14 décembre 2024, le cyclone Chido était annoncé par les services météorologiques français comme inéluctable et d’une extrême violence, et traversa effectivement l’île de Mayotte. Cette information, qui avait été reprise par les médias parmi les brèves de l’actualité, allait se retrouver quelques heures plus tard à la une de tous les organes d’information, au point de bousculer l’agenda et les priorités politiques dans une France métropolitaine alors à la quête d’un introuvable gouvernement de consensus suite à la censure de la précédente équipe de l’éphémère Premier ministre, Michel Barnier.
Les premières images, qui ont fait le tour du monde, ont frappé les esprits et continuent de susciter interrogations et stupéfaction pour deux raisons essentielles. D’une part, l’étendue et la gravité des destructions laisseraient penser à une attaque atomique ; d’autre part, l’extrême précarité des conditions de vie des Mahorais n’a pas manqué de stupéfier le monde. Tant et si bien que même de très nombreux Français de métropole découvraient Mayotte, pis encore, apprenaient à l’occasion de cette catastrophe apocalyptique que Mayotte, c’est aussi la France.
Un rattachement ancien à la métropole
Si Mayotte est devenue le 101e département français, en 2011, et l’une des 9 régions ultrapériphériques de l’Union européenne, en 2014, bénéficiant de par ce statut des financements de l’UE consacrés à la « politique de cohésion », l’île (avant Nice et la Savoie) est française de fait depuis 1843, en vertu du traité conclu le 25 avril 1841 par le capitaine Passot et le sultan Andriantsoly, et ratifié le 10 février 1843 par le roi Louis-Philippe 1er.
C’est du fait de ce rattachement à la France que l’esclavage est aboli à Mayotte par ordonnance royale le 9 décembre 1846. Or, les habitants de cet archipel, comme ceux des colonies françaises en Afrique, n’ont pas cessé d’être considérés comme des indigènes jusqu’en 1946.
En dépit de ce lointain rattachement à la métropole, Mayotte est apparue, aux yeux du monde et de manière dramatique, comme ce bout de France délaissé par l’État central.
Avant et après le passage dévastateur et apocalyptique du cyclone Chido, Mayotte demeure ce département français qui cumule tous les handicaps, voire toutes les misères. Sur une population d’un peu plus de 300 00 habitants, 77 % vivent en dessous du seuil de pauvreté, 40 % des habitations précaires sont construites en tôle et autres matériaux de fortune, 30 % de la population qui habite des maisons en dur n’ont accès ni à l’eau potable ni à des sanitaires modernes. En 2023, le chômage des jeunes de 15 à 29 ans s’élevait à 37 % de la population active. Il faut par ailleurs relever, et cette précision est d’importance, que la population mahoraise a quasiment doublé en une décennie.
Pression migratoire et sentiment d’abandon
Bien évidemment, lorsque l’on fait état du déclassement social de la majorité des Mahorais et de la précarité de leurs conditions de vie, on ne peut pas éluder la pression migratoire qui s’exerce sur cette île de l’océan Indien. Elle vient principalement de l’archipel des Comores et 1/3 des étrangers sont nés sur le territoire mahorais afin d’acquérir la nationalité française, en vertu du droit du sol auquel l’île est éligible depuis le 1er janvier 1976.
L’une des questions, qui ne manque cependant pas de traverser les esprits depuis que le monde entier découvre, stupéfait, voire tétanisé, le quotidien des Mahorais avant le passage du cyclone Chido, est de savoir quelles politiques publiques ont été menées sur l’île avant ce drame.
Si la pression migratoire a des conséquences indéniables sur l’accès à certains services publics tels que l’école ou l’hôpital, on est en droit de se demander pourquoi il existe un tel décalage entre l’île et la métropole, et ce, depuis bien avant ces mouvements migratoires massifs. Car force est de constater que dans les autres départements français d’outre-mer, quoique dans des proportions moindres, les revendications sociales sont légion et le sentiment d’abandon est ancré de manière générale dans de larges couches de ces Français ultramarins.
Autant il faut s’attaquer vigoureusement à la question de l’immigration irrégulière, autant il faut déplorer qu’en France métropolitaine, lorsque Mayotte est au cœur du débat politique, c’est uniquement sous le prisme de la sécurité et de l’immigration. Les questions relatives aux politiques publiques et à l’inclusion sociale à Mayotte sont évoquées de manière marginale, dans le discours politique comme dans les médias à forte audience.
Reconstruction
La question qui est dès à présent posée est celle de la reconstruction de Mayotte. À cet égard, il faut convenir qu’il ne s’agira pas seulement de reconstruire des habitations modernes ou de résoudre les problèmes d’eau et d’assainissement. C’est l’humain qu’il faut d’abord bâtir à Mayotte.
Mayotte est riche d’un important potentiel touristique qu’il convient de valoriser et qui constitue un vivier de création de richesses, d’emplois et de réduction de la pauvreté. L’île compte 170 plages, l’une des plus importantes biodiversités insulaires au monde, et elle est riche entre autres de 2 300 espèces marines et 25 espèces de mammifères marins.
Il est impératif, pour la cohésion nationale en France, de donner aux Mahorais le sentiment qu’ils font partie intégrante de la communauté nationale, qu’ils sont égaux en droits et en devoirs.
C’est l’option que semble par ailleurs avoir choisie le nouveau Premier ministre François Bayrou, qui s’est rendu à Mayotte avec une délégation interministérielle afin de prendre la mesure de ces urgences multidimensionnelles et d’y répondre de manière appropriée. Cependant, l’instabilité politique actuelle en France et un gouvernement qui ne dispose pas d’une majorité au parlement, et susceptible de tomber dans un avenir proche suite à une motion de censure, ne sont guère de nature à rassurer les Mahorais quant à l’implémentation des décisions qui seront prises.