Pourquoi le Tchad a rompu ses accords de défense avec la France

Dernier pays à accueillir les troupes françaises au Sahel après leur départ forcé du Mali, du Niger et du Burkina Faso, le Tchad s’est retiré des accords de sécurité et de défense qui le liaient avec la France. Passée la surprise, les observateurs sont persuadés que les autorités tchadiennes reviendront sur cette décision. Le Courrier panafricain vous explique pourquoi.  

C’est l’incompréhension à Paris. Alors que l’avion qui ramenait le chef de la diplomatie française Jean-Noël Barrot après une visite de quelques heures à N’Djamena et à Adré était encore dans les airs, le Tchad a annoncé, ce 28 novembre 2024, mettre fin aux accords de sécurité et de défense avec la France. C’est, en substance, ce qu’a déclaré le ministre tchadien des Affaires étrangères Abderaman Koulamallah sur la page Facebook de son ministère.

« La France est un partenaire essentiel mais elle doit aussi considérer désormais que le Tchad est un État souverain et très jaloux de sa souveraineté », a renchéri le chef de la diplomatie tchadienne avant de préciser que « ce n’est pas une rupture avec la France comme le Niger ou ailleurs ». En dépit des contorsions langagières d’Abderaman Koulamallah, soulignant que la décision a été « prise après une analyse approfondie », tout semble indiquer que rien ne va plus entre le Tchad et la France.

Une entrevue catastrophique

Mais contrairement aux affirmations du membre du gouvernement, une source à la présidence tchadienne nous a indiqué que la décision de son pays a été prise dans la précipitation. À l’en croire, la rencontre entre le président Mahamat Idriss Deby Itno et Jean-Noël Barrot a été « catastrophique », l’entrevue s’est très mal passée.

« Même si, pour l’heure, on ignore encore la teneur des échanges entre les deux hommes, je peux vous assurer que la rencontre a eu lieu dans une ambiance électrique, on a élevé les voix de part et d’autre. Le président Mahamat [ Idriss Deby Itno ] n’a vraiment pas apprécié le ton condescendant du ministre français. Comme c’est quelqu’un qui a un tempérament volcanique, éruptif, qui a aussi du mal à dominer sa colère, il a demandé sur le coup à Abderaman Koulamallah d’annoncer la rupture des accords. C’est pour marquer son mécontentement contre la France. Donc, le ministre s’arrange avec la vérité en déclarant que cette décision a été murement réfléchie parce qu’il était le premier à être surpris », explique par ailleurs notre source.

Ingratitude 

À l’évidence, le président tchadien a la réputation de perdre son sang-froid chaque fois qu’il est contrarié. À preuve, « lorsque les autorités de Doha, qui ont accueilli pendant plusieurs mois et financé les pourparlers entre le pouvoir et les groupes rebelles, ont envoyé un ancien ministre africain à Mahamat Idriss Deby Itno pour lui demander de ne pas se présenter à la présidentielle qui a mis fin à trois ans de transition, celui-ci a tempêté comme un ouragan, brandi l’argument de la souveraineté du Tchad. Aujourd’hui, il n’entretient plus aucune relation avec le Qatar. Visiblement, la reconnaissance n’est pas le point fort du numéro un tchadien », relate un fin connaisseur du dossier.

Ce dernier pourrait avoir raison puisque, après le soutien d’Emmanuel Macron à Mahamat Idriss Deby Itno – ce qui lui a permis de s’installer sur le fauteuil présidentiel – il a été reproché à la France un « double standard à l’égard des coups d’État » sur le continent, un manque de « vision politique » et une perte de « connaissance fine du terrain ». Mais le président tchadien semble avoir déjà effacé ce coup de pouce du président français.

Un leader de l’opposition tchadienne ne dit pas autre chose, quand il affirme sous le couvert de l’anonymat que « les rebelles du Front pour l’alternance et la concorde du Tchad (Fact) seraient entrés à N’Djamena, après avoir tué l’ex-président Idriss Deby Itno en avril 2021, si les soldats français ne les avaient pas stoppés. Même en 2008, lorsque les rebelles étaient arrivés jusque devant le palais présidentiel, c’est l’aviation française qui les a bombardé pour sauver la mise au régime en place. Sinon, l’actuel président vivrait en ce moment en exil quelque part dans le monde ».

Foyers de tensions et menace existentielle  

Soulignons qu’en plus d’être en première ligne et d’accueillir sur son sol plusieurs centaines de milliers de réfugiés soudanais – l’une des raisons du déplacement de Jean-Noël Barrot à Ndjamena était également de prendre la mesure de la crise humanitaire provoquée par la guerre au Soudan –, le Tchad fait face à de nombreux foyers de tensions sur l’ensemble de ses frontières terrestres, ce qui représente une réelle menace existentielle.

Faut-il le rappeler, le pays est confronté à l’hostilité des terroristes de Boko Haram se trouvant dans les régions frontalières avec le Cameroun et le Nigeria ; au nord, la désagrégation de l’État libyen lequel abrite certains groupes armés tchadiens, notamment le Fact – et la prolifération des milices armées sont un véritable danger pour sa stabilité ; au sud-ouest, l’instabilité chronique de la Centrafricaine et la présence du groupe paramilitaire russe Wagner, dont la proximité avec certains leaders de l’opposition armée ne fait pas l’ombre d’un doute, sont de vrais sujets d’inquiétude.

D’ailleurs récemment, l’attaque d’un détachement de l’armée tchadienne dans la région du Lac Tchad menée par les terroristes de Boko Haram a causé la mort de plusieurs dizaines de soldats.

Sans compter que la plupart des rébellions qui ont secoué le Tchad ces trente dernières années sont venues du Soudan voisin. Or, il se trouve que le général Burhan accuse N’Djamena de laisser transiter par son territoire les armes destinées à son rival, le chef des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), Mohamad Hamdnane Daglo dit « Hemetti ». En représailles, il pourrait apporter son soutien à un énième groupe rebelle se réclamant du Tchad pour déstabiliser le régime.

Lucidité

Il faut donc mettre en garde contre les risques que ferait courir cette décision aux institutions tchadiennes ainsi qu’à la sous-région. Le Tchad étant une société minée par des divisions régionalistes, et traversée par des réflexes identitaires rétrogrades, il faut absolument se garder de faire un saut dans l’inconnu.

Commentaire d’un spécialiste de la région : « Le simple fait que les autorités tchadiennes laissent entendre qu’elles s’engagent à respecter les modalités prévues pour la résiliation de ces accords montre que le Tchad bluff. Le régime n’a pas intérêt d’aller jusqu’au bout de sa logique ».

Au-delà d’être un maillon important du dispositif militaire français en Afrique, le Tchad a toujours su bénéficier du concours inestimable de ses soldats pour contenir les menaces. L’armée tchadienne est-elle désormais prête pour mener des opérations en toute autonomie ? Rien n’est moins sûr. Formulé autrement, la défense de la souveraineté du pays comme le proclament les tenants du pouvoir à Ndjamena ne saurait se faire au détriment d’un certain réalisme. Mahamat Deby Itno et ses conseillers gagneraient à être lucides.

LCP

  • Le Courrier Panafricain

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