Le 18 octobre dernier, les ministres de la Défense de la République centrafricaine et de la République démocratique du Congo ont signé à Kinshasa un accord de coopération militaire qui laisse songeur.
Certes, officiellement, l’objectif recherché par cet accord de partenariat militaire est de renforcer la collaboration entre les forces armées des deux pays dans l’optique de lutter efficacement contre les défis sécuritaires communs, et promouvoir la paix ainsi que stabilité dans la région. Mais les déclarations faites par les officiels centrafricains soulèvent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses.
À l’évidence, Bangui ambitionne de s’impliquer davantage dans la résolution du conflit qui oppose Rwandais et Congolais. C’est, en tout cas, ce qu’a déclaré le ministre centrafricain de la Défense Claude Rameaux Bireaudès son retour à Bangui, au lendemain de la signature de l’accord de coopération militaire. « On se positionnera en tant que médiateur entre Kigali et Kinshasa » a fait savoir ce proche parent du président Faustin Archange Touadera.
Errement géostratégique
Une affirmation surprenante, lorsqu’on sait que les soldats rwandais, qui sont accusés de prêter main forte aux rebelles du M23 à l’Est de la République démocratique du Congo, assurent également la protection rapprochée du chef de l’État centrafricain. Même si la République centrafricaine noue désormais des partenariats militaires stratégiques avec les deux pays « ennemis », c’est l’Angola qui a été désignée par les instances africaines pour jouer les médiateurs dans ce conflit. Ce qui fait dire à de nombreux observateurs africains que les autorités centrafricaines souhaitent-elles parasiter la médiation angolaise qu’elles ne s’y prendraient pas autrement.
En clair, ce que le pouvoir de Bangui considère comme une prouesse diplomatique est en fait un errement géostratégique. C’est également, comme le soulignent certains observateurs de la vie politique en République centrafricaine, une énième violation de la Constitution du 30 Juillet 2023 toujours aussi contestée par la classe politique locale. Ces commentateurs citent en effet l’article 139 de cette Constitution controversée disposant que « la ratification ou la dénonciation de tout accord ne peut intervenir qu’après autorisation de l’Assemblée nationale ».
Autrement dit, l’administration Touadera se devait de passer par le parlement avant d’engager le pays dans ce nouveau partenariat militaire avec la RDC. Même acquise à sa cause, l’Assemblée nationale, était tenue d’autoriser ou non la signature de cet accord de coopération militaire.
Jeu extrêmement dangereux à scruter
De sources diplomatiques, les ambitions de Claude Rameaux Bireau dans le conflit qui oppose encore Kinshasa et Kigali, prêtent plutôt à sourire. « Les discours du ministre de la Défense n’est pas si étonnant. On sait que le régime a cette manie de faire cohabiter en terre centrafricaine des États en conflit. La preuve, Moscou, Paris et Washington se livrent une guerre par procuration sur son territoire. Mais à tous, le président Touadera laisse entendre qu’il y a de la place pour tout le monde. Sauf que dans la réalité, il a clairement des préférences », confie un diplomate à Bangui.
Il s’agit « d’un jeu extrêmement dangereux, compte tenu de la situation du pays extrêmement fragile sur tous les plans. Kigali tient aujourd’hui le pouvoir en Centrafrique. Les ressortissants de ce pays sont partout, dans la sécurité des hautes autorités du pays, dans les institutions internationales majeures, dans les renseignements, dans le secteur économique, et bien plus encore…si le jeu diplomatique n’est pas franc, alors, cela peut exposer le régime », prévient une autre un autre.
Pour l’heure, les officiels rwandais en poste à Bangui ne souhaitent pas commenter les derniers développements, même si officieusement ils affirment que la République centrafricaine est libre de coopérer avec qui elle veut. Pendant ce temps, le conflit entre Kigali et Kinshasa est loin d’arriver à son épilogue. D’autant que les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda sont accusés d’avoir violé le cessez-le-feu négocié par la médiation angolaise. En tout état de cause, l’offensive menée par le régime de Kinshasa en direction de la République centrafricaine, où le président rwandais Paul Kagamé entend être le seul maître à bord, mérite d’être scrutée comme du lait sur le feu.
Ben-Wilson Ngassan, journaliste