De la République démocratique du Congo (RDC), cet immense pays qui peine à se relever de sa décomposition afin de transformer son énorme potentiel en puissance économique et militaire réelle, ne nous parviennent que les craintes des leaders de l’opposition traqués par l’appareil sécuritaire, les souffrances et désolations de la population. Éclairage.
En observant le fonctionnement du président congolais Félix Tshisekedi, qui avait pourtant promis de rompre avec les pratiques du passé, on constate qu’il montre quelques signes de fébrilité, lesquels se traduisent par la multiplication des arrestations, dont les motifs sont pour le moins curieux. Et comme pour ajouter le malheur à cette désespérance, ce lundi 7 octobre, dans la province du Kongo-Central, des policiers et des hommes en tenue civile ont tiré à balle réelle sur des enfants, des élèves qui manifestaient pour la reprise des cours. Un énième incident inqualifiable, illustrant les dérives de l’appareil sécuritaire du pays, plus enclin à s’en prendre aux acteurs politiques qu’à lutter véritablement contre les menaces.
Le dernier homme politique qui semble visiblement être victime de l’appareil sécuritaire congolais est l’opposant et ancien député national, Daniel Safu. Dans une émouvante vidéo publiée sur les réseaux sociaux, le 3 octobre dernier, la mère de l’ancien parlementaire, tout en s’inquiétant de sa disparition depuis plusieurs jours, n’a pas manqué d’interpeler directement les autorités congolaises afin de retrouver son fils.
Dérives autoritaires
Depuis quelques jours, c’est le président d’Ensemble pour la République, l’opposant Moïse Katumbi, qui est dans le collimateur du régime congolais. Début octobre, des militaires envoyés spécialement de Kinshasa ont fait irruption dans l’une de ses propriétés, dans la localité de Mulonde, pour semble-t-il enquêter sur la réhabilitation d’une piste d’atterrissage. Alors que l’entourage de l’opposant assure que le réaménagement de la piste d’atterrissage existante s’inscrit dans le cadre de ses activités caritatives – Moise Katumbi construit un hôpital à Mulondé, située à 500 kilomètres de la ville de Lubumbashi, le pouvoir y voit des manœuvres de déstabilisation.
Dans le contexte actuel, où les militants du parti au pouvoir appellent à un changement de Constitution, il ne faut pas s’étonner que ses partisans soupçonnent le pouvoir de chercher à « instrumentaliser » la justice contre leur leader. « Il ne sera jamais question de toucher impunément à Moïse Katumbi pour le soumettre à une parodie de justice », écrit son directeur de cabinet Olivier Kamitatu sur X (anciennement Twitter).
Un autre opposant, Seth Kikuni, arrêté par les hommes de l’Agence nationale de renseignement (ANR) et poursuivi pour « incitation à la désobéissance civile et propagation de faux bruits », a été placé en détention après avoir passé plusieurs jours au secret dans les geôles des services congolais. Il risque jusqu’à trois ans de prison ferme.
Bien avant lui, l’ex-président intérimaire de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UPDS), au pouvoir, Jean-Marc Kabund, poursuivi pour « injures publiques, imputations dommageables, offenses à chef de l’État, propagation de faux bruits » et incarcéré depuis le mois d’août 2022 la prison de Makala, a été condamné le 13 septembre 2023 à sept ans de réclusion. Pourtant, quand il militait encore dans l’opposition à l’ancien président Joseph Kabila, l’actuel chef de l’État, qui nous avait habitué avec ses sorties médiatiques tonitruantes, n’a jamais été inquiété ni condamné à une peine de prison ferme.
Il faut rappeler que Jean-Marc Kabund avait rejoint François Beya, l’ex-conseiller spécial en matière de sécurité du président congolais, arrêté lui aussi le 5 février 2022 pour avoir supposément « participé à un complot en vue d’atteinte contre la personne du président de la République ». Toutefois, après plusieurs mois de détention, il avait été autorisé à se rendre à l’étranger pour suivre des soins. À l’évidence, les poursuites judiciaires engagées contre ces acteurs de la vie publique relèvent d’un règlement de compte. Par exemple, dans l’affaire François Beya, même si nous ne sommes pas dans le secret de l’instruction judiciaire, tout indique que l’ex-monsieur sécurité a payé sa fidélité et sa loyauté envers le prédécesseur de Félix Tshisekedi.
Manifestement, on lui reprochait d’avoir conservé des liens étroits avec Joseph Kabila, dont il est proche. Or, dans un pays où la loyauté se monnaye, où les responsables politiques changent d’alliance comme leur chemise, pourvu qu’ils conservent leur bifteck, être fidèle à son ancien patron était une marque de grandeur. François Beya devait plutôt être décoré pour son attachement à des valeurs d’amitié et de probité, qui tendent à disparaitre sous les latitudes congolaises. Le déclin étant consubstantiel à chaque règne, le président congolais aurait dû se réjouir d’avoir un collaborateur qui ne lui tournera pas le dos pour conserver ses avantages, quand viendra la période de vache maigre.
Félix Tshisekedi est d’autant moins fondé à se plaindre de l’attitude du Rwanda envers son pays, lorsqu’on observe que lui et son gouvernement copient eux-mêmes les méthodes brutales de Paul Kagame. Pas surprenant qu’il puisse se dire ni demandeur ni preneur du dialogue de « cohésion nationale » proposé par l’opposant Martin Fayulu pour trouver des solutions aux problèmes que connaît la RDC, à commencer par l’insécurité dans l’Est du pays. Commentaire d’un diplomate africain : « le refus du président congolais de participer au huit clos des chefs d’État lors de la seconde journée du sommet de la Francophonie afin de protester contre l’omission du président français Emmanuel Macron de mentionner la guerre contre le M23 soutenu par le Rwanda n’aura servi qu’à flatter l’orgueil de ses partisans s’il est incapable de saisir la main tendue de ses adversaires. L’intransigeance de Félix Tshisekedi n’est utile que si elle sert une vision politique clairement définie ».
Syndrome de l’opposant historique
Face à cette situation, on ne peut s’empêcher de se demander si le président congolais souffre du « syndrome de l’opposant historique », lequel constitue pour l’Afrique, comme le souligne Francis Laloupo, l’un des référentiels politiques et sociologiques de l’ère postcoloniale. « Ce syndrome illustre le mensonge de certains leaders politiques africains qui, une fois portés au sommet de l’État, reproduisent la ténébreuse dramaturgie qu’ils pourfendaient jadis, en choisissant de mener une guerre sans merci à tous ceux qui se dressent contre les systèmes liberticides et prédateurs de leur pouvoir ».
Ainsi, l’opposant historique se réduit à une « banale incarnation du pouvoir personnel, adepte de la gestion privative de l’espace national, pathologiquement convaincu que sa destinée se confond à celle de la collectivité qui lui a accordé un bail temporaire à la tête du pays dont il détourne méthodiquement les clauses essentielles ».
Refus de dialoguer avec ses adversaires
On l’aura compris, l’opposant d’hier se révèle pire aujourd’hui que ceux qu’il a combattus quand il battait le pavé de Kinshasa. Peu imprégné de culture démocratique, pétri de projets de revanche et de vanité, mentalement colonisé par ses adversaires de naguère, frustré de maintes occasions de jouissance des attributs du pouvoir, Félix Tshisekedi ne souffre ni la contestation ni le débat. Chargé de réaliser la promesse du changement, il s’est transmué en propriétaire du pouvoir, rompu aux plus triviales manœuvres politiciennes et mentales. Devenu maître du monde, il n’hésite plus à se référer à la volonté divine pour affirmer son bon droit sur le pays.
Cependant, une chose reste certaine : tous ceux qui usent leurs langues présentement à lécher les babouches du président congolais seront les premiers demain à le vilipender, à vitupérer contre lui et à l’accuser de tous les maux dont souffre le pays. Car ils sont connus pour être des transhumants politiques professionnels. Et que dire de plus, si ce n’est de rappeler, à toutes fins utiles, que les énigmes politiques sont soumises au verdict du temps…
Le Courrier Panafricain