RDC-Rwanda : l’hypocrisie n’a que trop duré

Les discussions prévues ce dimanche 15 décembre 2024 à Luanda, entre les présidents congolais et rwandais sous les auspices de leur homologue angolais João Lourenço, pour tenter de mettre fin au conflit à l’est de la République démocratique du Congo (RDC) ont été annulées. Cet échec est la preuve que l’Afrique et la communauté internationale se doivent d’abandonner les formules diplomatiques creuses pour tenir un langage de vérité à Paul Kagame, et exiger de lui de retirer ses hommes de l’est de la RDC. Sinon, les Congolais n’auront pas d’autres choix que de déclarer la guerre aux Rwanda. 

Pour expliquer l’annulation de dernière minute du sommet de la paix de Luanda, le porte-parole de la présidence congolaise Giscard Kusema a fait savoir qu’il « y a une impasse » imputable aux Rwandais, « qui ont posé comme préalable à la signature d’un accord que la RDC mène un dialogue direct avec le M23. Cependant, les autorités de Kigali ont, par la voix du chef de la diplomatie rwandaise Olivier Nduhungirehe, pointé l’« intransigeance » des négociateurs congolais pour juger que la rencontre entre les deux chefs d’État n’était  plus « pertinente ».

Le Rwanda veut continuer de piller la RDC

Si officiellement ces pourparlers ont achoppé sur la question sensible des négociations avec la « rébellion » du M23, proxy à la solde du Rwanda, il faut reconnaître que la rencontre n’avait pas suscité un enthousiasme excessif des observateurs. D’ailleurs, le simple fait que le principal facilitateur, João Lourenço, ait indiqué avoir seulement « bon espoir que cette réunion aboutisse à la signature ou à la décision de signer prochainement un accord de paix durable entre les deux pays voisins », montrait clairement les difficultés de parvenir à un compromis. À preuve, à la mi-journée du dimanche 15 décembre, seul Félix Tshisekedi était arrivé à Lunda. Paul Kagame, qui est lui connu pour son arrogance, ne s’est pas donné la peine de faire semblant en se rendant dans la capitale angolaise.

En plus du camouflet infligé à l’Union africaine, qui avait chargé l’Angola du rôle de facilitateur dans ce conflit, on est bien obligé d’admettre que l’homme fort de Kigali n’est nullement disposé à faciliter le retour de la paix et la sécurité à l’est de la République démocratique du Congo. Par cette attitude, qui n’est pas nouvelle, on a la confirmation que le principal dessein du Rwanda est de continuer à piller son grand voisin.

Selon un rapport de l’Institut français des relations internationales (IFRI) « des minerais congolais partent illégalement au Rwanda». Pour se rendre compte de l’ampleur du trafic, il suffit de «regarder les statistiques d’exportation des minerais au Rwanda. On s’aperçoit qu’en 2023, le pays « a dépassé la RDC dans ses exportations de coltan alors que, en même temps, le Nord-Kivu, qui est l’une des grandes provinces de production du coltan en RDC, a vu ses exportations diminuer». Résultat, on a observé « un bond des recettes d’exportation du coltan du Rwanda de 2022 à 2023, lesquelles sont passés de 54 à 81 millions de dollars, ce qui constitue donc une augmentation très substantielle. »

Et les auteurs du rapport de constater que la hausse spectaculaire qui a eu lieu entre l’année 2022 et l’année 2023 correspond à la prise de contrôle de la grande zone minière de Rubaya dans le Masisi (Nord-Kivu) par le M23 ».

Velléités expansionnistes

À l’évidence, cette croissance des chiffres d’exportation n’est pas uniquement le signe du succès de la politique minière du Rwanda, qui ne dispose pas de réserves trop spectaculaires, mais le fruit du pillage de la RDC.

Au-delà des enjeux purement économiques, Paul Kagame n’a jamais fait mystère de sa volonté d’annexer l’est de la RDC. C’est dire que les autorités congolaises n’ont pas tort, quand elles estiment que les négociations avec le Rwanda devaient permettre de régler la question de la rébellion du M23, dont les hommes opèrent grâce au soutien de Kigali et de son armée.

On le sait, le président rwandais, dont le modèle est l’actuel Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, avec tout ce que ce nom représente de détestable, a toujours tenté de falsifier l’histoire, considérant que les provinces du Kivu, en RDC, seraient des territoires amputés à son pays par le colonisateur belge. Autrement dit, à défaut de revenir dans le giron de Kigali, leurs sources doivent profiter au Rwanda au même titre que la RDC.

Dans ces conditions, le retour de la paix dans cette région est tributaire de la volonté de Paul Kagame se conformer ou non au droit international tel que défini par les Nations unies et de respecter le principe d’intangibilité des frontières issues de la colonisation. Donc, quand le Rwanda se permet de demander « l’engagement ferme de la RDC à reprendre des pourparlers directs » avec ses appendices du M23, il veut seulement se soustraire aux exigences du droit international.

Car on voit mal comment Paul Kagame, qui a toujours refusé de dialoguer avec les hommes des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDRL), accepterait une telle injonction si elle émanait des autorités de Kinshasa. Autant Kigali considère les FDRL comme des génocidaires, la République démocratique du Congo, elle, a doublement raison de prendre les hommes du M23 pour ce qu’ils sont réellement : des marionnettes à la solde du Rwanda.

Pour la simple et la bonne raison qu’aucun État au monde ne peut accepter qu’un groupuscule puisse s’ériger en défenseur d’une minorité à l’intérieur de son territoire. Si on permettait que chaque ethnie, minoritaire ou pas, constitue une milice pour se défendre, ce serait la porte ouverte à toute sorte de dérives. Que deviendrait l’unité nationale, la paix et la cohésion sociale de la RDC si toutes ses minorités disposaient d’une branche armée comme les rwandophones ? En clair, il n’appartient pas à Kigali de se préoccuper de la sécurité des personnes vivant en RDC au prétexte qu’elles parleraient sa langue. La protection de ces populations, censées être des citoyens congolais, relève du seul gouvernement de Kinshasa.

Intolérable blanc-seing

Le problème, c’est que la communauté internationale, qui dispose des preuves irréfutables de l’implication directe de Paul Kagame dans la déstabilisation de la RDC, le laisse faire. Pourtant, il ne fait l’ombre d’aucun doute que le « M23 n’existe que parce que les rebelles ont un soutien militaire rwandais. Si Kigali est de bonne foi dans les négociations et sur sa promesse de retirer ses troupes du sol congolais, le conflit s’arrêtera avec le M23, en même temps qu’il s’arrêtera avec le Rwanda ».

Combien de victimes congolaises faudrait-il encore pour venir à bout du sentiment de culpabilité des puissants parrains du Rwanda, détenteurs du droit de véto à l’Onu, incapables de dire à Paul Kagame que le génocide de 1994 ne justifie pas toutes ses aventures ? Faut-il rappeler que les populations congolaises qui sont victimes de l’interminable conflit provoqué par l’appât de gain du chef de l’État rwandais mérite aussi l’attention de la communauté internationale.

Au lieu de continuer à faire semblant, ceux qui ont conféré à Paul Kagame le rôle de gendarme de la région devaient taper du poing sur la table pour lui faire entendre raison. Ils devaient commencer à prendre des mesures symboliques. Par exemple, le Conseil de sécurité des Nations unies, dont les protecteurs de Paul Kagame ont les manettes, pourrait renoncer à l’utilisation des soldats rwandais dans ses missions de maintien de la paix dans le monde.

Aussi, l’hypocrisie des pays membres de l’Union africaine et leur politique d’autruche n’ont que trop duré. Nul n’ignore qu’en plus de promouvoir les valeurs de fraternité et de concorde entre les pays du continent, la charte de l’Union africaine pose comme principe, l’inviolabilité des frontières héritées de la colonisation. Pourquoi l’organisation panafricaine ne convoque-t-elle pas Paul Kagame devant le tribunal des pairs pour lui passer un savon, et lui demander de retirer purement et simplement ses soldats de l’est de la RDC ? À défaut, exclure le Rwanda de ses instances et lui imposer des sanctions.

Il arrive un moment où le langage de la vérité vaut mieux que la sophistication des formules diplomatiques et les missions de médiations confiées à certains chefs d’État. Sinon, la seule alternative qui s’offre à la RDC, si tant est qu’elle entend sécuriser ses frontières de l’est, c’est de déclarer la guerre au Rwanda. Une option aussi radicale que personne ne souhaite pourra sans doute pousser la communauté internationale à prendre ses responsabilités. Et le pouvoir congolais de se consacrer à l’unique sujet qui mérite toutes les attentions, plutôt que de se préoccuper du changement de la Constitution.

 

 

  • Adrien Poussou

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