Sénégal-France : des jalons pour un nouveau départ ?

Après avoir pris part à la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD), un forum international sur le thème du développement en Afrique, le président sénégalais Bassirou Diomaye était fin août à Paris, où il été reçu à l’Élysée par son homologue français, Emmanuel Macron. ​Par Éric Topona Mocnga, journaliste à la rédaction Afrique francophone de la Deutsche Welle 

Lorsque le tandem Diomaye-Sonko a remporté haut la main l’élection présidentielle de 2024 au Sénégal, ils étaient nombreux, au Sénégal et en Afrique, ceux qui célébraient déjà l’imminence d’une rupture avec la France. Certains en avaient fait une espérance et d’autres une préoccupation.

Et sans surprise, au rang de ceux qui ont espéré voir le nouveau duo de l’exécutif sénégalais renverser la table de la séculaire relation franco-sénégalaise, il y avait d’abord leurs militants et sympathisants des ​Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF).

Décoloniser les relations franco-sénégalaises, l’une des ambitions du PASTEF

Sur la longue route jonchée de difficultés et d’obstacles de toutes sortes qui aura porté les nouveaux dirigeants du Sénégal au pouvoir, en passant par la case prison, leurs partisans ont toujours reproché à la France d’être la main noire et l’éminence grise de Macky Sall pour les empêcher d’accéder à la magistrature suprême. Lors des violentes émeutes qui ont secoué le Sénégal avant le dénouement victorieux de l’élection présidentielle​ du 24 mars 2024, de nombreuses enseignes et biens divers, identifiés comme français, ont été gravement endommagés par la rue sénégalaise.

Outre la rue sénégalaise, le programme politique du PASTEF, notamment dans son volet diplomatique, ne faisait pas mystère de son intention de décoloniser la relation franco-sénégalaise pour une relation diplomatique saine, entre peuples libres et souverains. Dès leur prise de pouvoir, comme un pied de nez à la France officielle, le nouveau pouvoir de Dakar, précisément Ousmane Sonko, en tant que président du PASTEF, mais déjà investi des fonctions de Premier ​ministre, ​a reçu Jean-Luc Mélenchon. Or, sur la scène politique française, le leader de la France insoumise est notoirement connu pour être l’adversaire le plus farouche du chef de l’État, Emmanuel Macron.

Fin dans l’ordre de la présence militaire française

S’agissant d’un volet hautement stratégique, celui de la coopération militaire joignant l’acte à la parole, les nouvelles autorités sénégalaises, certes de manière apaisée et en concertation avec les autorités françaises, ont mis un terme à la présence militaire française au Sénégal​.

Les emprises que les soldats français occupaient ont été restituées aux forces armées sénégalaises​ le 17 juillet 2025, “camp Geille”, la plus grande installation militaire française au Sénégal,​ dont le camp Geille​, l’escale aéronautique militaire et les quartiers Maréchal et Saint-Exupéry en mars 2025.

Toutefois, l’on pouvait déjà relever à cette occasion que ce départ ne s’est pas fait avec la brusquerie et l’impréparation comme c’est souvent le cas lorsqu’il s’agit d’une rupture sans lendemain. Au contraire, ​le chef de l’État sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, dans une interview à la chaîne de télévision française France 24, a clairement laissé entendre que cette coopération allait être repensée.

Retour aux relations classiques

Au regard de cet arrière-plan, la récente visite officielle en France de Bassirou Diomaye Faye peut être considérée comme un retour aux relations classiques entre États et entre deux partenaires historiques dont la force des liens séculaires, preuve en est faite, transcende les aléas de la vie politique. Il ne faut jamais perdre de vue que cette relation est antérieure de plus d’un siècle aux États sénégalais et français modernes, et que le Sénégal fut l’une des portes d’entrée de la France en Afrique.

Par ailleurs, les premiers brassages entre les élites politiques et intellectuelles françaises et africaines ont débuté du côté africain par le truchement du Sénégal et, dans une moindre mesure, de la Côte d’Ivoire.

Blaise Diagne, fut le premier député d’origine africaine à siéger au Parlement français sous la quatrième République, de 1914 à 1932, en tant que député des quatre communes (Dakar, Gorée, Rufisque, Saint-Louis).

Il n’est pas superflu non plus de rappeler le rôle de premier plan de Léopold Sédar Senghor dans la création de ce qui devint plus tard l’Organisation ​internationale de la francophonie (OIF),​ le 20 mars 1970 à Niamey. Cette organisation à vocation culturelle au départ, aujourd’hui organisation géopolitique, est l’un des leviers de la diplomatie française.

Le président Bassirou Diomaye Faye a bel et bien conscience que, au-delà des drames de l’histoire, ces brassages ont créé des liens que ne pourraient effacer les alternances politiques, quelle que soit leur radicalité dans le discours. Les gestes en diplomatie étant parfois plus parlants que les mots, le chef de l’État français est descendu du perron de l’Élysée pour accueillir, ​le mercredi 27 août ​2025, son hôte dans la cour de l’Élysée p​a​r une accolade à l’africaine.

L’autre temps fort de la visite officielle du​ président sénégalais en France fut sa rencontre avec le Mouvement des entrepreneurs de France (MEDEF)​ dont il a été l’“invité spécial”. Son discours et son exhortation vibrante à l’endroit du patronat français, à prendre massivement le chemin de la destination Sénégal, constituent indéniablement la preuve qu’une page nouvelle s’ouvre entre les deux pays.

​De cette nouvelle dynamique, il s’en dégage de très utiles enseignements pour ceux qui avaient tôt fait de conclure à la vague déferlante d’un sentiment anti-français en Afrique, sentiment qui viendra balayer sur son passage des relations séculaires qui ne sont pas seulement étatiques, mais aussi des histoires communes entre individus, mouvements de la société civile, universitaires, ​journalistes, artistes, écrivains, hommes et femmes de science que ne peuvent défaire les moments de tensions ​(éphémères) entre politiques qui sont naturellement contingents.

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