Tchad-Émirats arabes unis: les enjeux d’un prêt historique

Les Émirats arabes unis ont octroyé au Tchad un prêt d’un demi milliard de dollars à des conditions extrêmement avantageuses. Si ces fonds sont les bienvenus, la question se pose sur leur utilisation par les autorités tchadiennes. Et ce sont ces questions que soulève Éric Topona Mocnga, journaliste à la rédaction francophone de la Deutsche Welle (média international allemand), à Bonn.

C’est une information qui n’a pas manqué de surprendre, aussi bien au Tchad que du côté de ceux qui s’intéressent ou sont spécialistes des évolutions et des tendances des économies africaines, notamment celles d’Afrique subsaharienne francophone, et de la zone Cémac en particulier.

Le 11 octobre 2024, le Conseil national de transition (CNT, parlement de transition) a approuvé, à une très large majorité, un projet de loi de l’exécutif tchadien qui l’autorise à contracter un emprunt de 500 millions de dollars, soit 300 milliards de FCFA, auprès du Fonds d’Abu Dhabi. Ce prêt des Émirats arabes unis est octroyé au gouvernement du Tchad à des conditions extrêmement avantageuses. 

Son remboursement s’étalera sur 15 ans, avec un taux d’intérêt de 1 %  à payer à partir de la quatrième année. Il fait suite à une convention de financement signée en 2023 entre les Émirats arabes unis et le Tchad, répartie ainsi qu’il suit : 150 millions de dollars en prêt, 50 millions de dollars en dons divers.

Besoins d’investissements prioritaires 

L’économie du Tchad, comme celle de nombreux États africains, a grand besoin d’investissements et de capitaux pour dynamiser son appareil de production, diversifier son économie, créer des emplois pour une population très majoritairement jeune et faciliter l’accès de tous aux services sociaux de base. Mais, et c’est un secret de polichinelle, le marché des capitaux n’est pas facile d’accès pour un pays en pleine refondation institutionnelle, confronté à un environnement régional instable ou théâtre de nombreux conflits. Par ailleurs, le Tchad appartient à une zone économique régionale dont les indicateurs sont quasiment au rouge, comme l’a confirmé le récent sommet extraordinaire de la CEMAC à Yaoundé.

Dans une note de conjoncture de mai 2024 intitulée Brèves économiques en Afrique Centrale, zoom sur la situation budgétaire et de l’endettement en zone Cémac, la direction du trésor du ministère de l’Économie et des Finances français, où est logé le compte d’opérations des pays de la zone Cémac, fait le constat global suivant : 

« En zone Cémac, après un excédent budgétaire ponctuel de 2,5 % du PIB en 2022, le solde budgétaire est redevenu déficitaire affichant un déficit de 0,3 % du PIB en 2023. Ce dernier devrait se creuser à moyen terme pour atteindre 0,9 % en 2025. Cette détérioration du solde budgétaire est principalement due à la baisse des recettes pétrolières en lien avec la chute des prix du pétrole sur le marché international (le prix moyen annuel du baril de Brent a chuté de 18 % sur un an, s’établissant à 83 USD/b en 2023) ».

Même si la même note de conjoncture tempère son scepticisme, s’agissant du Tchad et du Cameroun pour ce qui concerne leur niveau d’endettement qui est bien en dessous du seuil communautaire fixé à 70 % du PIB : « Bien que n’étant pas en situation de surendettement, d’autres pays de la zone ont également vu leur niveau d’endettement progresser sur un an, notamment la Guinée équatoriale (+7,8 pp à 42,4 %) et la Centrafrique (+1,5 pp à 55,7 %). Le Cameroun et le Tchad sont les seuls pays de la zone à afficher une diminution de leur ratio de dette, avec des baisses respectives de -3,4 pp et -0,8 pp sur un an, portant leur dette publique à 41,9 % et 35,1 % du PIB respectivement. »

Garanties sur l’utilisation des fonds 

Le prêt émirien n’est donc pas de nature à faire basculer le Tchad dans une situation de surendettement. En revanche, la réflexion et le débat doivent se situer sur le terrain de l’usage des fonds émiratis. Ce débat n’est pas nouveau au Tchad. Il faut se souvenir que, lors des négociations qui ont précédé la construction du pipeline Tchad-Cameroun, le débat sur l’utilisation de cette manne pétrolière a déchaîné les passions au Tchad, au Cameroun et même bien au-delà des deux pays bénéficiaires des retombées de la commercialisation de ces hydrocarbures.

Les partenaires au développement, principaux contributeurs financiers comme en expertise diverses dans la réalisation de ce projet, ont exigé que des garanties leur soient apportées quant à la mobilisation d’une partie de ces revenus pour les projets sociaux prioritaires. C’est ainsi que fut créé au Tchad le Fonds des générations futures (FGF), sous compte séquestre, où ont été logés 10 % des revenus de la commercialisation du pétrole, même si ce fonds a été mis en veilleuse plus tard pour répondre à certaines urgences de l’heure.

En 2025, les urgences au Tchad sont légion et au rang de celles-ci figurent la sempiternelle question de l’électrification du territoire national et l’urgence à moderniser les infrastructures en assainissement, comme nous l’ont rappelé récemment et dramatiquement les inondations dans la ville de N’Djamena.

Nous osons espérer que c’est en ce sens que peuvent s’entendre les propos du ministre des Finances au sujet de ce prêt : « L’objectif de ce financement est de renforcer les capacités financières de l’État tchadien. En termes de garantie, le gouvernement de la République du Tchad s’engage à fournir toutes les assurances nécessaires au Fonds d’Abu Dhabi pour le développement. Cet accord de prêt additionnel répond aux préoccupations exprimées par la population. »

  • Eric Topona Mocnga

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