Tchad-France : après la tempête, le dialogue et la diplomatie

Éric Topona Mocnga, journaliste au Programme francophone de la Deutsche Welle estime que la rupture du volet militaire des relations entre le Tchad et la France ne doit pas être considérée comme une fin en soi. Étant donné que, selon les autorités tchadiennes, les autres aspects de ces relations demeurent valides et continueront.

Le chef de l’État tchadien a précisé sur un ton solennel que cette décision de rupture ne représente en aucun cas un rejet de la coopération internationale ni une remise en cause de nos relations diplomatiques avec la France. Pendant son discours, Mahamat Idriss Déby Itno a déclaré que « le Tchad n’est en aucun cas dans une logique de substitution d’une puissance par une autre, encore moins dans une approche de changement de maître ».

Une décision inimaginable

Comme je l’ai récemment mentionné dans une précédente tribune, intitulée : Faut-il supprimer la présence militaire française au Tchad ? il était impossible de penser au retrait des forces françaises dans les années 70-80 et même jusqu’à récemment. La dépendance des régimes successifs à la tête du pays à l’égard de la France était forte, voire essentielle.

De plus, il convient de souligner que la présence militaire française au Tchad remonte bien avant l’accession du pays à la souveraineté internationale, le 11 août 1960. Plusieurs fois, la France est intervenue dans le pays, à la demande des autorités tchadiennes.

Il est important de se souvenir que le premier accord de défense entre la France et le Tchad a été conclu en 1960 sous le président Tombalbaye. Au nom de cet accord de défense, les troupes françaises sont donc intervenues pour la première fois entre 1969 et 1972 dans le Tibesti (extrême nord) dans le cadre de l’opération Bison (environ 2 000 soldats français étaient engagés). L’époque est marquée par la rébellion du Front de libération nationale du Tchad (Frolinat) contre le régime de François Tombalbaye.

En 1979, la guerre civile s’est terminée avec la création du gouvernement d’union nationale de transition (GUNT), qui représente les « principales factions » présentes dans le pays. Goukouni Oueddei devient président, tandis qu’Hissène Habré devient ministre de la Défense.

L’opération Bison prend fin en 1972. Le 6 mars 1976, un accord de coopération militaire technique est conclu entre les deux pays. C’est cet accord révisé en 2019 qui est en vigueur jusqu’à sa dénonciation fin novembre 2024.

À la suite de la prise de Faya-Largeau, la France met en place l’opération Tacaud contre les forces antigouvernementales du Frolinat (Front de libération national) appuyées par la Libye en 1978. En 1980, les troupes françaises quittent le pays conformément aux accords inter tchadiens. Cependant, pas pendant longtemps.

Goukouni Oueddei est renversé par Hissein Habré le 7 juin 1982. Le régime Habré est menacé par les rebelles menés par Goukouni un an plus tard. L’opération Manta, lancée à Paris d’août 1983 à novembre 1984, a mobilisé au moins 3000 hommes pour répondre à l’intervention des troupes libyennes venues soutenir Goukouni Oueddei dans sa guerre contre les forces de Habré. Un accord a finalement été conclu entre la France et la Libye à la fin de l’opération.  C’était alors la « troisième opération militaire majeure de la France au Tchad » après l’opération Limousin, l’opération Bison (1969-1972) et l’opération Tacaud (1978-1980).

En 1986, les troupes libyennes traversent le 16e parallèle. Hissein Habré fait une nouvelle demande d’aide à la France, Paris répond à sa demande le 1ᵉʳ février et lance l’opération Épervier, la plus longue opération militaire française qui s’est terminée le 1ᵉʳ janvier 2014 et a été remplacée par l’opération Barkhane, principalement axée sur la lutte contre le djihadisme.

Il convient de souligner que c’est sous l’opération Épervier que le régime du président décédé Idriss Déby Itno a reçu à plusieurs reprises le soutien décisif (aérien et de renseignement) de l’armée française à chaque fois qu’il était menacé par l’assaut des rebelles : en 2005, 2006, 2008 ou encore en 2019 et 2021.

De la parole aux actes

Le mécanisme de mise en musique de leur décision de rompre les accords de coopération en matière de défense avec la France n’a pas tardé à être mis en place par les autorités tchadiennes.

Ainsi, le Premier ministre Allamaye Halina a mis en place une commission spéciale mercredi (4 décembre) dernier afin de superviser la dénonciation de ces accords. La Commission a pour fonction de gérer un « retrait organisé des engagements bilatéraux ».

Le ministre des Affaires étrangères préside la commission qui a pour mission « d’informer par voie diplomatique les autorités françaises de la dénonciation de l’accord de coopération militaire ».

Soutien spontané ou populisme dissimulé ?

La rupture des accords de coopération militaire décidée par le président Mahamat Idriss Déby Itno a entraîné une manifestation le jeudi 5 décembre matin à Abéché, dans l’est du pays. La manifestation a commencé à la place de l’indépendance d’Abéché et s’est achevée au gouvernorat de la ville où le gouverneur de la province du Ouaddaï, Bachar Ali Souleymane, les a accueillis.

Des messages tels que « Merci au président de la République pour cette décision », ou encore « Oui à la fin des accords de coopération en matière de défense et de sécurité avec la France » étaient affichés sur des pancartes brandies par les manifestants. Le gouverneur a reçu une motion de soutien au président Mahamat Idriss Déby Itno.

On pouvait lire « Tchad hourra, France barra » sur des pancartes brandies par une centaine de manifestants, principalement des jeunes, à N’Djamena vendredi. Leur objectif était de soutenir le président Mahamat Idriss Déby Itno.

Il est intéressant de constater que même certains leaders religieux musulmans ont participé à ces deux manifestations de N’Djaména ou d’Abéché. C’est la raison pour laquelle de nombreux observateurs de la vie politique au Tchad remettent en question la spontanéité de ces manifestations de soutien au président tchadien. De nombreuses personnes perçoivent cela comme du populisme, comme c’est le cas dans les pays d’Afrique de l’Ouest membres de l’AES et qui sont vent-debout contre la France.

Plusieurs sources affirment que la majorité des manifestants ont été soudoyés afin de les persuader de descendre dans la rue. Certains auraient même refusé de participer à ce jeu organisé par des agents du pouvoir qui cherchent à exploiter l’hostilité d’une partie de l’opinion tchadienne envers la présence militaire française au Tchad afin de justifier leur décision.

De plus, il est noté qu’à la différence de ce qui se déroule dans les pays membres de l’AES, nous n’avons pas remarqué de drapeaux russes lors des manifestations de N’Djaména et d’Abéché.

Cela peut refléter ces affirmations du président Mahamat Idriss Déby Itno du 1ᵉʳ décembre dernier : « Le Tchad n’est en aucun cas dans une logique de substitution d’une puissance par une autre, encore moins dans une approche de changement de maître. »

Wakit-Tama prend ses distances

La coalition Wakit Tamma, qui a depuis de nombreuses années réclamé le départ des forces françaises du Tchad, s’est curieusement distancée de l’organisation de ces manifestations et a signalé une manipulation politique dans le contexte de la rupture des accords de coopération en matière de défense avec la France, selon un communiqué. Ce matin [ samedi 7 décembre 2024], une manifestation s’est tenue dans les rues de N’Djaména, prétendument en soutien à la décision du gouvernement du président Mahamat Idriss Déby Itno de mettre fin à la coopération militaire avec la France. Nous, Coalition des actions citoyennes Wakit Tama, section politique, rejetons toute association avec cet événement.

Selon Wakit-Tama, « des individus mal intentionnés ont usurpé le nom et l’identité de notre organisation en imprimant des banderoles et des affiches à des fins de propagande. Nous dénonçons avec la plus grande fermeté cette manœuvre frauduleuse et condamnons cette tentative de manipulation de l’opinion publique ».

Au total, les relations entre la France et le Tchad sont anciennes et variées. L’annonce par les autorités tchadiennes de la rupture du volet militaire de ces relations ne doit pas être considérée comme une fin en soi. Étant donné que les autres aspects de ces relations demeurent valides et continueront.

« Nous avons pris la décision de mettre fin à cette coopération militaire afin de revoir notre partenariat avec la France vers d’autres domaines qui auront davantage d’impacts positifs sur la vie quotidienne de nos populations respectives », a d’ailleurs déclaré le président tchadien.

Il est essentiel que les deux parties (tchadienne et française) continuent à dialoguer de manière sereine dans le cadre du processus de retrait des soldats français du Tchad, tout en favorisant l’apaisement. Il est préférable que les points de désaccord entre les deux partenaires soient résolus par la voie diplomatique dans leurs intérêts mutuels. Vivement.

Éric Topona Mocnga
Email : topona.eric@gmail.com.

  • Eric Topona Mocnga

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