En enterrant définitivement l’accord de paix d’Alger, censé donner plus d’autonomie aux régions du Nord-Mali et maintenir un cessez-le-feu entre les troupes gouvernementales et les groupes armés qui lui avaient déclaré la guerre en 2012, les putschistes de Bamako, aidés par ceux de Niamey et de Ouagadougou, font faire au Sahel un grand saut dans l’inconnu. Voici comment.
Malgré les températures extrêmes atteignant parfois 50° Celsius à l’ombre, c’est par un froid sibérien que les spécialistes de la région avaient accueilli le communiqué de la junte de Bamako, annonçant la « fin, avec effet immédiat » de l’accord de paix d’Alger, signé en 2015 entre l’État malien et les groupes rebelles indépendantistes touareg et arabes du nord du pays, sous l’égide de l’Algérie.
Ce 25 janvier 2024 donc, tout le monde ou presque, à commencer par le médiateur algérien, avait exprimé une « profonde préoccupation » face à la décision des putschistes, dont la « gravité particulière pour le Mali lui-même et pour toute la région » ne faisait l’ombre d’aucun doute.
Il faut souligner que même si le cessez-le-feu entre les belligérants était fragile et que les autorités issues du coup d’État de mai 2021 au Mali l’avaient rompu en août 2023, l’Algérie continuait tant bien que mal de conserver un canal de discussion entre toutes les parties en conflit.
Le choix de la guerre
L’inquiétude des observateurs est d’autant plus justifiée que les différents accords de paix négociés pour la plupart par l’Algérie ne sont jamais parvenus à instaurer une paix durable, et que depuis 1960, le Nord-Mali est l’épicentre de crises identitaires et des revendications irrédentistes. Les rebellions arabo-touareg y sont intensifiées.
D’ailleurs, à la fin des années 2010, il y a eu une radicalisation des groupes armés. C’est ainsi qu’en 2017, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) – organisation armée jihadiste regroupant les groupes Ansar Dine du leader touareg Iyad Ag Ghali, la katiba de Macina du prédicateur islamiste peul Amadou Koufa, les groupes AQMI et AL Mourabitoune – avait été créé.
En dépit du déploiement de la Mission des Nations-Unies au Mali (Minusma), le conflit a pris la forme d’une insurrection armée jihadiste qui s’est métastasée très rapidement chez les voisins Nigériens et Burkinabè. Particularité : la gangrène terroriste s’est développée de manière fulgurante au Burkina Faso, devenu de fait le foyer incandescent de la menace jihadiste pour toute l’Afrique de l’Ouest.
Désormais, le JNIM et son rival, l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), mènent en concurrence, au Mali, au Niger et au Burkina Faso, une cruelle lutte armée terroriste d’attentats suicides et de prises d’otages.
De fait, la junte malienne a privilégié l’option de la confrontation militaire comme mode de règlement du conflit l’opposant aux groupes armés. L’une des illustrations de cette option est l’exigence formulée par le gouvernement du Mali pour le non-renouvellement du mandat de la MINUSMA en juin 2023, contre l’avis des autres parties signataires des accords de paix, en particulier la coalition des mouvements politico militaires du CSP-DPA.
L’implication des mercenaires de Wagner dans la guerre contre les groupes armés jihadistes et les mouvements armés séparatistes a levé tout doute sur les véritables intentions des autorités maliennes, qui ne font aucune différence entre les indépendantistes et les terroristes. La participation du Niger et du Burkina Faso aux opérations militaires entreprises par les soldats maliens a achevé de généralisé le conflit dans toute la sous-région.
Effets amplificateurs du conflit armé
Au-delà de la dénonciation brutale de l’accord de paix d’Alger, la reprise de la ville de Kidal – bastion de la rébellion indépendantiste – en novembre 2023 est la manifestation la plus illustrative d’une déclaration de guerre contre les mouvements séparatistes de l’Azawad, essentiellement touareg, signataires de l’accord de paix et regroupés au sein du CSP-DPA. Un nouveau front est ainsi ouvert par les Forces armées maliennes (FAMA) en plus de celui déjà complexe contre les groupes armés jihadistes.
Pire, les actuelles autorités maliennes s’en prennent de manière extrêmement violente à l’Algérie voisine, acteur régional incontournable, jusqu’alors pays médiateur dans les différents conflits au Mali, mettant ainsi un terme au fragile processus de paix d’Alger.
Les nombreuses exactions et les crimes commises par le tandem constitué des FAMA et les mercenaires de Wagner contre les populations civiles du Nord-Mali exacerbent les ressentiments et les actions de représailles tous azimuts.
On le constate, la participation ouverte des hommes de Wagner au combat suscite la réaction des groupes armés séparatistes qui dénoncent l’ingérence de la Russie dans un conflit interne à caractère politique au Mali. Il n’est donc pas surprenant d’observer les groupes armés du Nord-Mali chercher eux aussi à recourir à l’assistance de l’Ukraine (présentement en guerre contre la Russie) pour mener des actions militaires contre les troupes gouvernementales et leurs alliés.
Il est évident qu’en impliquant la Russie dans le conflit armé du Nord-Mali, après avoir congédié les troupes occidentales (Barkane, Takouba, entre autres), la junte de Bamako a ouvert la voie à une confrontation Est-Ouest au Sahel centrale, FAMA et Wagner d’un côté, contre CSP-DPA et l’Ukraine de l’autre.
En tout état de cause, les groupes armés séparatistes sont ouvertement en guerre contre la junte qu’elle considère comme étant hostile à toute solution de paix négociée. La junte malienne, par ces actions conjointes avec les mercenaires russes de Wagner et ses décisions de rompre avec les processus de paix d’Alger a donné au conflit armé une dimension régionale et une ampleur sans précédent.
Mais tout cela participe d’un dessein qu’il est aisé de deviner, à savoir celui de conserver le pouvoir de l’État ad vitam aeternam, en s’imposant par la brutalité des fusils et de la baïonnette. Autrement dit, les trois dirigeants des juntes de l’AES font feu de tout bois pour museler les voix discordantes et créer les conditions d’une instabilité chronique favorisée par les affrontements armés et la guerre civile, qui annihilent toutes les possibilités d’un transfert pacifique du pouvoir à des autorités démocratiquement élues.