À l’exception sans doute de quelques extrémistes religieux auxquels la mesure peut faire plaisir, la majeure partie du pays est en émoi après la publication par le ministère de l’Éducation nationale sénégalaise, le 6 octobre dernier, d’un arrêté sur le respect des croyances religieuses dans les établissements scolaires.
De fait, le texte impose à l’ensemble des établissements, publics ou privés, d’accepter le port de signe religieux comme le voile, la croix ou les chapelets, tant qu’ils ne nuisent pas à l’identification des élèves.
Le nouveau texte, qui n’a pas manqué de susciter la réprobation des forces vives, a été adopté quelques semaines après les déclarations du Premier ministre Ousmane Sonko, relançant le débat sur le foulard islamique en milieu scolaire, en juillet dernier, à l’occasion de la cérémonie récompensant les meilleurs élèves du Sénégal. Le chef du gouvernement avait affirmé qu’il ne serait plus autorisé d’interdire le port du voile dans les écoles et qu’un arrêté était nécessaire. C’est désormais chose faite.
Cohésion sociale menacée
Faut-il le rappeler, les propos du chef du gouvernement sénégalais avaient déjà soulevé une vive polémique parce qu’ils touchaient directement à la coexistence des différentes communautés religieuses du pays. C’est pourquoi les établissements catholiques privés s’étaient insurgé contre « le fait de se concentrer sur le port du voile plutôt que sur la qualité de l’enseignement ».
Même si les partisans du Premier ministre se sont empressés de signaler que l’arrêté clarifie un vide juridique dans le domaine et qu’il « réaffirme également le principe du vivre ensemble » comme l’a indiqué le ministre de l’Éducation, Moustapha Guirassy, certains Sénégalais trouvent qu’il n’était ni nécessaire ni urgent, au regard des problèmes pressants que connaît le pays.
Au-delà de la réaction du syndicat majoritaire de l’enseignement secondaire, regrettant que le texte ait été pris « sans une véritable consultation et un consensus entre tous les acteurs de l’éducation nationale, ainsi que les établissements catholiques privés », plusieurs personnalités ont exprimé leurs profonds désaccords avec le Premier ministre. « Ousmane Sonko est dans un règne permanent de posture. Peut-être parce qu’il veut faire oublier son manque de résultat, et la lenteur que son gouvernement met à résoudre les préoccupations urgentes des Sénégalais. Il prend donc une mesure cosmétique pour occuper l’esprit du petit peuple parce qu’il aime la tambouille », analyse un ancien ministre sous le couvert de l’anonymat.
Cette personnalité pointe également un « populisme exacerbé » de la part du président du Parti africain du Sénégal pour solidarité l’éthique et la fraternité (Pastef) qui veut ainsi « montrer qu’il prend le contre-pied de la France, qui a interdit le port des signes religieux ostentatoires à l’école. Alors que cette question n’est nullement essentielle, bien au contraire ».
Détonateur de revendications dangereuses
Un acteur de la société civile estime de son côté qu’Ousmane Sonko « ne semble pas s’apercevoir que sa mesure peut servir de détonateur à d’autres revendications beaucoup plus dangereuses. Les extrémistes sont connus pour être insatiables et gourmands : quand tu leur tends la main, ils veulent le bras. Je ne serai pas surpris d’entendre la petite musique d’une application light de la loi islamique. D’autant qu’il n’a échappé à personne que cette décision intervient à un moment où le président de la République Bassirou Diomaye Faye entend renforcer la coopération avec les Emirats Arabes Unis, dont on connaît la grande propension à financer le djihad. Il n’est pas exclu que la décision est un clin d’œil dans cette direction. C’est une régression caractérisée ».
Au moment où l’on s’interroge à juste titre sur la tentation autoritaire du nouveau pouvoir, cet arrêté vient renforcer les doutes sur les véritables priorités des autorités sénégalaises. « Si comparaison n’est pas raison, on ne peut s’empêcher de constater que la mesure prise par le Premier ministre est du même ordre que les restrictions de libertés publiques dans les pays dirigés par les putschistes du Sahel. C’est une intrusion dans la vie privée des Sénégalais », insiste un cadre de l’ex-majorité présidentielle.
Il faut dire que depuis l’arrivée au pouvoir des dirigeants du Pastef, de nombreux leaders d’opinion ont déjà eu maille à partir avec la justice sénégalaise. Les premiers à être inquiétés pour leur opinion sont le militant Bah Diakhaté et l’imam Cheikh Tidiane Ndao, tous les deux condamnés, le 3 juin 2024, à trois mois de prison ferme pour avoir reproché à Ousmane Sonko une supposée complaisance envers l’homosexualité, interdite au Sénégal.
Début octobre, l’opposant Bougane Gueye Dany a été convoqué par les policiers pour répondre des charges de «diffamation » et «d’injures », finalement abandonnées par le procureur après une levée de bouclier des organisations de journalistes. Il en a été de même pour le journaliste Cheikh Yerim Seck et le chroniqueur Kader Dia, convoqués pour avoir contesté les chiffres fournis par le Premier ministre sur le taux d’endettement et le déficit public du Sénégal.
Or, quand ils étaient encore dans l’opposition, Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye se plaignaient d’être victimes de persécutions pour avoir exprimé des opinions politiques contre Macky Sall. Aujourd’hui au pouvoir, ils n’ont pas hésité de s’inscrire dans les pas de leurs prédécesseurs. C’est à ce demander s’il existe une malédiction du pouvoir en Afrique.
La Rédaction