Avis de tempête dans le ciel de la Cémac

Éric Topona Mocnga, journaliste à la rédaction francophone de la Deutsche Welle (Bonn), pointe le décalage abyssal entre le potentiel de la Communauté économique et monétaire des États de l’État centrale (Cémac) et le niveau de vie de ses populations ainsi que de son capital infrastructurel.

La Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cémac) est décidément coutumière des sommets extraordinaires. Les uns succèdent aux autres non pas pour annoncer à leurs peuples d’heureuses nouvelles, mais toujours pour tirer sur la sonnette d’alarme.

Le sommet extraordinaire qui s’est tenu à Yaoundé le 16 décembre 2024 n’a pas dérogé à cette tradition alarmiste. Convoqué à l’initiative du Fonds monétaire international (FMI), le gendarme financier et l’huissier de justice des bailleurs de fonds des États membres, le récent sommet de Yaoundé s’est tenu dans une atmosphère bien plus préoccupante que les précédents.

Certes, le sommet extraordinaire de 2017 avait été suivi par la pandémie mondiale de la COVID-19, qui avait impacté l’ensemble de l’économie mondiale, fournissant ainsi une raison objective pour ne pas atteindre les objectifs fixés par le FMI ni respecter ses préconisations.  Mais la situation est tout autre en 2024.

En effet, en dépit de la hausse des cours du pétrole dont sont producteurs et exportateurs, tous les États de la Cémac à l’exception de la République ​centrafricaine, le Fonds monétaire international relève que, globalement, les pays membres de la zone présentent « un endettement élevé, des déséquilibres budgétaires et extérieurs croissants, ainsi que des problèmes de diversification économique et de gouvernance (…) des améliorations modestes en matière de pauvreté et de niveau de vie ».

Enfin, et c’est un constat qui est au cœur de la présente réflexion, le Fonds monétaire international estime que « la mise en œuvre du programme de réformes limite le potentiel de croissance de la région et appelle à redoubler d’efforts pour accroître durablement et de manière significative le potentiel de la Cémac afin d’offrir de meilleures perspectives à sa population jeune et dynamique».

Charmant paradoxe

Le paradoxe en zone Cémac, qui intrigue aussi bien ses peuples que les observateurs extérieurs, c’est le décalage stupéfiant entre son potentiel énorme en richesses humaines, économiques (sol, sous-sol) et le niveau de vie de ses populations comme celui de son capital infrastructurel.

Les pays de la Cémac connaissent tous un déficit abyssal en matière d’approvisionnement en énergie, aussi bien pour les usages domestiques des populations qu’à des fins économiques, voire industrielles.

Or, ces pays disposent de ressources énergétiques qui sont parmi les plus importantes en Afrique, qu’il s’agisse de l’énergie solaire, de la biomasse ou d’énergie hydroélectrique.

Le potentiel hydroélectrique des pays de la zone Cémac est évalué à 33 GW. C’est le 3ᵉ en Afrique après celui de l’Éthiopie (40 GW) et de la République démocratique du Congo (100 GW). Ou, comme le mentionne son programme économique et régional, la zone Cémac n’exploite que 3% de son potentiel hydroélectrique. Elle ne tire actuellement profit que de 1009 MW sur les 33 GW de son potentiel hydroélectrique.

Mais c’est aussi la zone économique où ces sources d’énergies sont le moins valorisées. En matière de fourniture d’énergie électrique aux ménages, les délestages électriques demeurent nombreux et l’arrière-pays, dans tous les États de cette zone, continue de percevoir l’électricité comme un luxe providentiel.

Dans les zones urbaines, plus de six décennies après l’accession de ces pays à l’indépendance, l’approvisionnement en électricité demeure périodique, incertain, voire inexistant à certains endroits, y compris des capitales.

Pour les économies de​ ces pays, les incidences négatives de ce déficit énergétique sont considérables en termes de productivité, mais aussi d’attractivité.

Dans un article du livre blanc de la CEEAC et de la Cémac intitulé Politique régionale pour un accès universel aux services énergétiques modernes et le développement économique et social, 2014-2030 (PP. 12-13), les experts des pays membres font le constat ci-après :

« Le niveau d’énergie consommée pour tirer pleinement parti de l’enrichissement d’un minerai, par exemple pour la fusion du cuivre ou de l’aluminium, peut être un multiple élevé de celui que requièrent les opérations de creusage, de concassage et de tri. Pour le cuivre, le cobalt et le nickel, les processus de transformation de base et intermédiaires sont déjà par eux-mêmes très intenses en énergie. Ainsi, les coûts de l’électricité représentent souvent une portion importante de la structure des coûts d’une exploitation minière, en particulier si la mine est contrainte de s’auto-approvisionner, avec une production d’électricité généralement basée sur des carburants coûteux : diesel ou fioul lourd. »

Le potentiel économique de la zone Cémac est tout aussi important. S’agissant d’autres richesses naturelles, mais très peu valorisées. En plus de son potentiel énergétique considérable, la zone Cémac est extrêmement riche en nombreux minéraux tels que la bauxite (les gisements parmi les plus importants au monde), le cobalt (le gisement de Cobalt-Nickel de Lomié, dans l’est du Cameroun, est considéré comme l’un des plus importants au monde), le fer, l’or, le diamant, l’uranium et les terres rares.

Sans évoquer les ressources forestières qui tiennent une part significative dans ses exportations et contribuent pour une part importante au budget de ces États, notamment ceux qui sont rattachés au bassin du Congo (Cameroun, République centrafricaine, République démocratique du Congo, République du Congo, Guinée équatoriale et Gabon).

Manque d’attractivité, déficit de compétitivité, faible intégration

La zone Cémac demeure non seulement la moins compétitive en Afrique, mais elle est aussi la zone économique qui attire le moins d’investissements directs étrangers (IDE). Les raisons de ces déficits de compétitivité ou dans les processus des formes de production des richesses sont nombreuses.

En premier figure le faible niveau d’intégration entre ses pays membres. En dépit des projets intégrateurs en cours et des textes de lois qui consacrent la libre circulation dans cette zone économique, cet impératif peine à devenir réalité dans les faits. La circulation des personnes et des biens ainsi que des opérateurs économiques dans la Cémac demeure laborieuse. Par conséquent, la zone valorise peu son immense potentiel humain, encore moins ses énormes possibilités en termes de création de richesses.

Bataille de leadership et déficit de gouvernance

L’autre obstacle au décollage économique de la zone est la bataille larvée de leadership entre les États membres et leurs dirigeants, voire la tentation de faire parfois cavalier seul.

Comment comprendre qu’alors que la Cémac a de fortes chances de voir son candidat porté en mai 2025 à la présidence de la​ Banque africaine de développement (BAD), puisqu’un ressortissant d’Afrique centrale n’a jamais été à la tête de cette banque panafricaine, les États membres peinent à s’accorder sur un candidat unique ?

La même cacophonie s’est fait entendre récemment à l’occasion de la désignation​ à Dakar du directeur général de l’Asecna. En définitive, la zone Cémac devrait faire sienne la fable de Jean de Lafontaine, Le laboureur et ses enfants.   Elle est en réalité un trésor. Il lui appartient donc de « creuser, fouiller, bêcher ; de ne laisser nulle place où la main ne passe et ne repasse ».

Éric Topona Mocnga
Courriel : topona.eric@gmail.com

 

 

 

 

  • Eric Topona Mocnga

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